La compagnie du lierre

Aujourd’hui je vous propose un échange d’écriture illustrée dans le cadre des « Vases communicants » plateforme d’échanges épistolaires cathodiques. JW Chan [un promeneur] publie sur mon blog le texte ci-dessous et en correspondance de thème j’écris sur le sien : « Un Promeneur »

la compagnie du lierre

(pour Joelle G.)

Que je l’aborde avec cette infinie patience dont il fait preuve, et avec cet amour, ou au moins ce même attachement qu’il montre pour son territoire, et ses commensaux humains, à tous nos bâtiments dévastés qu’il retient de s’abaisser encore. Lierre anagramme de relier, c’est que la plante parle de la gravité, du cheminement tortueux que désire la verticalité entre ses noeuds, ces enjambements ces retours, sacrifices et toute cette poussière d’encens qu’elle traîne.

Jamais ces feuilles ne meurent visiblement : elles s’absorbent, changent de nature, deviennent granulé, épices, quand elles figuraient hier encore le motif d’un carton à dessin : vertes tachetées de noir et vernies. Fantassins devenus fantômes en une saison.

Fin septembre le parfum de ses fleurettes est intime : l’aisselle, ou le linge de corps des anges après le sport ; une odeur acide, discrète, qui serpente entre deux hautes rives sombres, l’entêtement d’une fenêtre ouverte sur l’émeraude d’un estuaire quand résonnent les derniers carillons de l’enfance, ou bien cette image de promenade entre les buis dans une allée exposée au nord. Ombelles dit-on, et dans quelques jours des baies sombres comme une de ces molécules dans les livres de chimie (atomes rouges et noirs, liens, casse tête …).

Le pouvoir couvrant du lierre est immense, comme sont l’oubli, l’été, ou encore cette malédiction qui condamne l’homme à la construction des murailles, quand le lierre n’est lui, fait que pour tapisser une niche autour d’un bassin de pierre au centre de quoi la petite statue en stuc d’Hermès semble tendre une main vers les oiseaux, ou s’apprêter à relancer un avion en papier. Deux petites infantes, s’y tiennent la main en écoutant tomber l’eau et, au loin, un gémissement d’ambulances braconne un homme dont le destin tourne.

C’est une plante qui ne méprise personne mais la canicule et le retour de flamme d’octobre l’indiffèrent tout comme la blancheur dévastée, l’eau qui gifle son imperméable, les myriades ascétiques qu’il abrite et digère lentement ou encore ce couple de jeunes merles dont le chant autorise la nuit à tomber. Il restera patient, stoïque, sombre, chercheur inconsolable.

On attaque son mausolée à la hachette, l’acier mal peint laissera un peu de bleu sur les copeaux blonds et gras. Le soir on rapporte quelques feuilles pour disposer les fromages.

Tremblant comme la beauté, mais avec une préférence pour les ruines et les abris de fortune où il imprime ses deltas verts, tigre calme qui essuie ses moustaches sur le pelage des maisons.

Si on abandonne un village, un arbre, et peut-être un homme à son sort, tout se couvrira de lierre, où que ce soit car la plante s’adapte à chaque terre. A l’argile, au granit, aux sous-bois : marque du temps, plante de l’ombre d’une très grande adaptabilité — donc très intelligente— avec cette sorte de laisser-aller — comme la rouille, comme elle tributaire de l’activité humaine.

Il y a dans les communs du château de Leannagh Mansion en Écosse une remise dont le toit s’effondre : du lierre a fait souche à l’intérieur du bâtiment, sa racine atteint l’épaisseur d’une cuisse d’homme et fit éclater le mur ou cohabitent de petits rongeurs et des toiles d’araignée vaporeuses légèrement bleutées. Le bouquet sommital a l’ampleur d’un beau hêtre, et remue dans les bourrasques de vent qui l’inclinent légèrement vers l’est. Le village de Leannagh lui-même est quelconque: une distillerie, l’école abandonnée, des maisons d’hortensias retraités avec un élevage de lapins etc. Je sais tout cela bien que je n’aie jamais voyagé par là, et pour cause. Telle est la puissance de la littérature.

Janvier arrive, on cueille entre les feuilles vertes des myrtilles d’hiver, ces mois froids, le lierre les consacre à la gravité du souvenir.

JW Chan oct 2012, texte illustré par ce croquis au lavis :

 

 

4 réflexions au sujet de « La compagnie du lierre »

  1. un promeneur

    si ce « lierre » est un début, nous ne sommes pas au bout de nos peines : il va falloir inventorier tout le reste du banal, du « rien », et au bout on verra que le paysage nous ressemble, qu’il y a un peu de regard qui contamine la chose vue (ensuite il faudra définir ce qu’est un regard …). Qu’il n’y a pas d’observation neutre. Merci pour cet échange.

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    1. voirdit Auteur de l’article

      à Promeneur,
      Oui, échange qui montre la focalisation de regards subjectifs vers une même chose aperçue, observée, étudiée. Il n’y a pas de regard neutre, peut-être au mieux une observation à caractère scientifique qui dresse des barrières contre l’interprétation hâtive. Mais de la richesse dans les approches, sûr, et merci également !

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  2. lignesbleues

    croix de fonte rouillées, lierre de métal, mais il existe aussi, du moins faut-il le craindre des guirlandes de plastique, de lierre vert devenu jaune , odeurs fétides des couronnes artificielles des cimetières ensoleillés

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    1. voirdit Auteur de l’article

      à louisevs,
      Serait-ce ce temps maussade, une atmosphère de vieux cimetière anglais qui d’un coup vous entraînerait vers ce spleen tout automnal ? Alors une prochaine fois il me faudra traiter de l’if, celui des cimetières encore, comme symbole de résurrection mais aussi celui des arcs de la flèche desquels nos ancêtres se protégeaient en prières vaines sans doute mais laissant une toute petite part à l’espérance. Merci pour le rayon de soleil qui perce…

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