Pierrefonds, Caroline et ses Jules, Séverine et son Jules.

Curieux titre pour une bien étrange femme. Oubliée aujourd’hui ou seulement connue des spécialistes du mouvement social ou de l’émancipation des femmes, Caroline Rémy, née à Paris le 27 avril 1855 est parvenue par le hasard des rencontres et sa force de caractère à sortir de son milieu et à épouser diverses causes, sinon plusieurs hommes. Pierrefonds fait partie d’un temps de sa vie ; sa tombe et celle d’Adrien Guebhard apportent dans le cimetière du village une note art-déco de massive fantaisie et de force tout en invitant au questionnement.

« Séverine » = Caroline Rémy, gravure de l’album Mariani

L’album Mariani met en avant des personnalités de tous bords qui ont accepté de promouvoir l’élixir Mariani créé en 1863 par Angelo Mariani. Il contenait du vin de Bordeaux et des extraits de coca.

Fille d’un petit fonctionnaire à la Préfecture de police de Paris, née à Paris en 1855, mariée contrainte en1872 à Antoine-Henri Montrobert, homme violent qui la bat, elle s’en sépare vite bien que mère d’un petit Louis. Elle devient bientôt l’amante d’un jeune bourgeois professeur de médecine, licencié en mathématiques et en physique, Adrien Guebhard dont la famille, amie de son oncle Vuillaume, l’emploie. Elle a avec lui un fils, Roland, né à Bruxelles car la famille Guebhard rejette cette union non conforme à la normalité en cours. Lors de  son séjour wallon elle rencontre en 1879 ou début 1880 à Bruxelles celui qui va donner à sa vie une orientation politique marquée, Jules Vallès. Elle devient sa secrétaire, sa confidente et une collaboratrice de premier plan. Elle a 25 ans, lui 48 ans. Lorsque ce dernier relance en 1883 « le Cri du peuple » elle lui en procure le financement par Adrien Guebhard et en dirige avec lui les feuilles. A la mort de Vallès en 1885 elle prend la direction de ce célèbre quotidien socialiste. La même année, le divorce étant rétabli, elle épouse Adrien. En 1888 à la suite d’une opposition vive avec Jules Guesde, marxiste, elle doit quitter le journal et écrit alors quantité d’articles dans diverses revues à caractère politico-sociales. Dans ce contexte elle tombe amoureuse du journaliste Georges de Labruyère, vit avec lui jusque sa mort en 1920, année au cours de laquelle elle reprend vie commune avec Adrien Guebhard jusque la mort de ce dernier en 1924. Elle a des choix d’amitiés qui aujourd’hui surprennent, comme par exemple lorsqu’elle soutient un moment le général Boulanger ou même, rarement, des idées antisémites alors qu’elle est dreyfusarde. Féministe remarquée elle combat également pour la défense des petits et des faibles contre les puissants, en politique ou par la richesse. Ainsi se bat-elle en 1927 pour Sacco et Vanzetti et prend-elle la cause du pacifisme après la loi sur ‘l’organisation générale de la Nation sur le temps de guerre’, rejoignant alors de célèbres personnalités militantes de ce mouvement dont Alain et Jules Romains notamment.

Si vous doutez encore de la force de ce tempérament hors du commun lisez ces lignes qu’elle adresse, parmi quantité d’autres, à JulesVallès, celles-ci du 17 juillet 1883 :

« …Etoilé d’idées pour vous, étoilé de horions pour les autres ! Vivant en somnambule, vous parlez en somnambule, par interjections, par tiers de mot, par quart de syllabe. Vous croyez être très clair et vos phrase s’achèvent en dedans : vous pensez vos paroles, et elles ne sortent pas. Il en résulte pour ceux qui vous entourent une existence de clowns. … …Seulement je voudrais que vous vous rendiez compte de l’inconséquence, de la brièveté, du décousu et souvent même de l’illogisme des instructions ou des ordres que vous jetez à vos féales. » extrait de : Jules Vallès-Séverine, Correspondance, préface et notes de Lucien Scheler, EFR, 1972, p. 98-99

Et Pierrefonds dans tout cela ?

Figurent à l’état-civil de Pierrefonds des Rémy dont je n’aie pu vérifier l’éventuel lien de parenté avec notre Caroline ‘Séverine’. Toujours est-il qu’en 1896 elle quitte Paris pour s’installer dans cette paisible bourgade alors dans l’effervescence des bains et d’une certaine mode du thermalisme lancée en partie par l’impératrice et Napoléon III une trentaine d’années auparavant. Elle y loue des maisons puis en achète une, en face de la gare, qu’elle nomme « les trois marches ». Elle l’agrandit en réhaussant les ailes basses latérales, y reçoit ses nombreux amis et apprécie la compagnie de nombreux chiens.

villa 'Séverine' à Pierrefonds

La ‘villa Séverine’ en 2013 à Pierrefonds, face à la gare.

Outre cette villa, propriété privée qui ne se visite pas, demeurent encore à Pierrefonds dans le cimetière communal, la tombe d’Adrien Guebhard et, face à elle, légèrement décalée, celle de Séverine. La photographie suivante montre ces deux tombes, celle de Séverine étant contre le mur d’enceinte au nord-est du cimetière.

les deux tombes Guebhard, celle d’Adrien gris bleuté, celle de Séverine, ocre rosé

Sur la tombe de son mari Séverine a fait graver : « Il a vécu comme un sage et il est mort comme un juste »

monument funéraire de Caroline Rémy, dite Séverine, à Pierrefonds

J’ai toujours Lutté pour la Paix la Justice et la Fraternité

A côté de la tombe de son mari, à gauche vers l’ouest gît également Rosa Vignier, 1884-1932, dame de compagnie, fidèle compagne sans doute des époux Guebhard

« Rosa Vignier, 1884-1932, elle consacra sa vie à Séverine qui l’affectionnait et qui mourut dans ses bras »

Il me plaît de temps à autre de rechercher des lambeaux d’histoires humaines, des traces de l’Histoire, des fragments d’Art. Un jour peut-être mettrai-je ici ou là, aux pieds des tombes, des « Query codes » qui permettront aux promeneurs de s’informer sur tel ou tel parcours original, humaniste ou simplement attrayant ? Un jour peut-être car alors il y aura tant à écrire sur la toile que j’y laisserais ma vie. Mais d’ici là les Query codes ne seront sans doute plus de mode….

 

19 réflexions au sujet de « Pierrefonds, Caroline et ses Jules, Séverine et son Jules. »

    1. voirdit Auteur de l’article

      Il est certain que la virulence de tons fut forte en politique entre les années 1880 et 1939 environ car il y eut alors un formidable engagement qui prend d’autres formes après cette période. Cette femme n’emploie pas la langue de bois et ose s’affirmer dans ses combats.

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  1. SICAULT monique

    Monsieur,
    Louise SICAULT fut domestique de Séverine à Pierrefonds jusqu’à son mariage (celui de Louise) en 1901. Pendant cette période elle a été photographiée avec le costume berrichon (notre famille est berrichonne) et aurait été exposée au Musée du Louvre sous le titre « une berrichonne ». Cette photo pourrait avoir été réalisée par Séverine, Hugues Lapaire ? Auriez-vous quelques éléments qui puissent nous mettre sur la piste ?
    Recevez tous mes remerciements anticipés si vous pouvez nous communiquer quoique ce soit sur cette période de la vie de notre ancêtre auprès de la vôtre.
    M. Sicault

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  2. Roy

    Mysa
    Étant enfant j’allais au square Séverine à la porte de Bagnolet , plus tard j’ai voulu savoir qui était cette femme, et j’ai découvert un esprit qui correspondait au mien.
    J’ai prénommé ma fille Séverine et lui ait précisé pourquoi, je pense qu’elle aime ce prénom.

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    1. voirdit Auteur de l’article

      Merci Mysa de ce point de vue très personnel affirmé. Votre Séverine aura de quoi s’inspirer dans le futur pour mener des combats pour la liberté personnelle et la défense des démunis. Longue vie à Séverine et merci de votre témoignage !

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  3. Archeoresiste

    Bonjour, Je suis la Séverine dont la mère était passionnée par votre aïeule. Je suis fière de porter ce prénom plein de ferveur, de prises de positions et de féminisme… cela me correspond bien. Je peux peut-être aider pour la photographie de la berrichonne mais il me faudrait plus d’éléments : une image de la dite photo, une date approximative de cette exposition au Louvre, le format. Est-ce l’originale que la personne possède ? Vous pouvez donner mes coordonnées à m Sicaut.
    Je suis actuellement dans un service patrimonial, étant archéologue mais j’ai fait de nombreuses années d’histoire de l’art … Merci encore à vous pour vos encouragements et à votre ancêtre pour être une pionnière dans ce monde souvent machiste. Je me plais à dire souvent « L’homme est un loup pour l’homme et surtout pour la femme »

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  4. Joëlle Poncet

    Mon père (1912_1987) habitait pierrefonds, ses parents connaissaient bien Séverine et c’est ainsi que ma mère s’est vu offrir le sceau de Séverine car son prénom commençait par un S. De Suzanne. Je suis en possession de ce sceau, je précise que mes parents avait acquis une maison secondaire rue Séverine à Pierrefonds.
    J’ai donc passé une partie de ma jeunesse en vacances dans ce lieu et que la vie de Séverine ne m’est pas inconnue.

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  5. Lucie Hubleur

    Bonjour,

    Je suis étudiante à l’Université de Neuchâtel en Suisse et je travaille sur Séverine dans le cadre de mon mémoire de master. Adrien Guébhard était d’origine neuchâteloise. Je souhaiterais pouvoir contacter Madame Gschwind, qui a écrit plus haut. Cela est-ce possible ? Ce serait magnifique.

    Merci pour votre article et les photos. Je suis si heureuse de voir en vrai les tombes et la maison de Pierrefonds dont je lis tant et tant … Je me réjouis de m’y rendre en vrai !

    Merci pour votre travail.

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    1. jpbrx Auteur de l’article

      Bonjour Séverine,
      Je n’en connais pas le choix. Cependant ce choix apparaît en 1882-3, d’abord sous celui de Séverin (masculin, c’est plus sérieux, vous savez bien…) En fait Séverine tout autant que Vallès vont souvent adopter des pseudonymes différents dans leurs multiples écrits. Pour Séverine ce sera donc Séverin, Line, Jacqueline, Séverine. Cette femme mériterait d’être davantage connue.
      Si vous tapez dans un moteur quelque chose comme « Caroline Rémy + pseudonyme vous trouverez des infos.
      J’espère. avoir répondu partiellement à votre demande. Bien à vous, JPB

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      1. Séverine

        Bonjour,
        Je vous remercie pour vos lumières. L’origine de ce choix semble en effet être inconnu… Je viens tout juste d’apprendre l’existence de cette grande dame. Avec l’impact qu’elle a exercé sur son temps, je comprends mal pourquoi son nom n’est pas même évoqué, surtout dans les médias et dans un contexte actuel de revendications diverses sur les droits de la femme. Quel dommage ! Heureusement que des blogs comme le vôtre entretiennent sa mémoire.
        Bien à vous

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  6. A.O

    Séverine a publié son premier article dans « Le Cri du Peuple » le 23 novembre 1883, date de la Saint Séverin de Paris (https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9verin_de_Paris ), tout simplement ! https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4683159b/f1.image Il portait sur le poète François Coppée, poète du peuple, mais mièvre et sans nerfs. Le second, qui attaquait Jules Ferry, date du 24 novembre, c’est l’article de tête, qui signale à quel point Vallès accorde d’emblée sa confiance à celle qu’il a choisie comme son alter ego en écriture. Le 3ème article fut signé Séverine, pseudo qui devint son identité à la fois journalistique et publique, même si sa carrière de journaliste indépendante publiant en même temps dans différents journaux l’a amenée à adopter d’autres pseudos qu’elle a parfois fait dialoguer entre eux. On trouve les articles mentionnés sur Gallica BNF (voir lien plus haut).
    Bien cordialement,
    AO

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    1. jpbrx Auteur de l’article

      Merci beaucoup Chère lectrice attentive pour les précises informations que vous me signalez et leurs références. Cela va permettre aux autres lecteurs et lectrices de fonder l’identité littéraire de « Séverine » s’il en est besoin. Cette femme remarquable en son temps mérite bien qu’aujourd’hui certaines personnes (dont vous êtes) s’intéressent encore vivement à elles et transmettent aux générations futures sa mémoire.

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