Vais-je broyer du noir ? Il nous arrive effectivement de connaître des périodes troublées, notamment lors de la perte d’un être cher et d’être alors ennoyé de sombres pensées comme si la colère divine du Dies irae valait plus que tout pardon. Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir dit la chanson.
De plus près ça vaut la peine d’être vu et corrigé car alors de multiples noirs jaillissent de la palette du peintre, des noirs de pêche, de Francfort, d’Elbeuf, d’os et mille autres. Tous dissemblables. Ainsi je frotte mon fusain, un noir de charbon de bois celui-ci, sur la feuille et obtient cent gris et deux ou trois noirs.
Vertus, crypte St-Martin, fusain et traces de sanguine par J.-P. Boureux
Beaucoup de peintres se sont confrontés à cette couleur dans d’émouvants clairs-obscurs, des glacis de sable comme nomme l’héraldique, en une importation phonétique des steppes d’Asie centrale, du russe sobol. Pour ma part je m’en tiens à ce que j’ai sous la main et vais chercher le noir dans nos galeries troglodytes.
Bien sûr cette chauve-souris est fidèle à la suspension de plafond et je la laisse en repos sans trop insister. Enveloppée dans son linceul d’ailes elle dort des deux yeux. Plus loin une habituée des entrées de cavernes surveille sa bien curieuse ponte nichée dans un sac de fils en forme de poire. On la nomme Méa et veuillez excuser ma faute de vous effrayer.
De retour à Reims je file à la médiathèque tourner des pages afin de me documenter sur la plante ténébreuse qui suit, derrière le miroir d’encre et de reflets de l’immeuble contemporain entre les étagères où sèchent tant d’encres de chine, d’imprimerie et de sépias. Décriée parfois cette thèque à livres et autres moyens de culture me plaît bien :
Pages nécessaires pour combler mon absence de culture botanique sur la Tacca. Une drôlesse qui nous vient de l’Asie et souvent de Malaisie, moustachue, noire, rebelle à souhait. Le savant se perd dans sa description latine et même française tant la forme de ses bractées, de ses fleurs et appendices est complexe. La Tacca chantrieri, la plante chauve-souris, la Fleur-du-Mal vous salue bien et moi de même :
Bien que la forme en soit peu conventionnelle cette note est un In Memoriam que seul mon coeur héberge en ses cavités d’espoir et de louanges emplies de noires ténèbres et où perce la clarté des aurores du lendemain affranchies de l’affreuse bête décrite par l’Apocalypse de saint Jean, qui n’est point naturaliste.
« je m’en fus alors prier l’Ange de me remettre le petit livre, et lui me dit : « Tiens, mange-le ; il te remplira les entrailles d’amertume, mais en ta bouche il aura la douceur du miel ». Ap, 11,9
De l’ engloutissement de ce livre, me remontèrent des relents de mer encrée et de seiche … Je vous en esquisserai quelques croquis croquants …
J’aimeJ’aime
Je vous livre une petite réflexion , à propos de cette couleur ; plus exactement je vais laisser parler deux peintres qui ont de la couleur noire , une vision diamétralement opposée :
J’aime l’autorité du noir, dit- Soulages . C’est une couleur qui ne transige pas. Une couleur violente mais qui incite pourtant à l’intériorisation. A la fois couleur et non-couleur. Quand la lumière s’y reflète, il la transforme, la transmute. Il ouvre un champ mental qui lui est propre. » Car c’est là que tout se passe : dans la lumière du noir.
Ou plutôt , devrait-on dire dans la faculté du « noir Soulages » à réfléchir la lumière, à la moduler, la sculpter, y soulever des lames de fond, y creuser d’obscures profondeurs, y scander des rythmes et tensions, y plisser des textures géologiques.
http://www.pierre-soulages.com/
« Un néant sans possibilités , un néant mort après que le soleil s’est éteint , un silence éternel sans avenir ni espoir , voilà la résonance intérieures du noir »
C’est ainsi que Kandinsky parle de « son » noir dans un essai qu’il a consacré aux formes et aux couleurs ( Du Spirituel dans l’ art, et de la peinture en particulier, chez Folio essais .)
Le débat est ouvert ( rires ) ! Sinon une petite question d’ordre pratique , votre » fleur du mal » est un orchidée ?
J’aimeJ’aime
à Kaïkan,
Bien vues l’encre, la mer, la seiche. Impatience de voir ces croquis, quand vous en aurez le temps. Une prochaine fois je passerai au gris pour laver un peu ce noir. Merci et amitiés, JP
J’aimeJ’aime
Mathilde,
Que de recherches chez ces grands peintres qui évidemment sont dans le vrai chacun dans leur pensée, merci à vous pour cette enquête précise. D’autres écrivent que le noir est une couleur à éviter à tout prix, d’autres encore en usent et abusent. Des goûts et des couleurs, hum !
Non cette plante n’est en rien une orchidée mais une espèce de la famille des Taccacées répandues en milieu tropicale humide. Elle est hélas de culture très difficile hors d’une serre tropicale par manque d’humidité ambiante dans les appartements et par son peu de tolérance aux écarts de température et aux courants d’air. Son prix parfois un peu élevé fait qu’on ne pourrait se l’offrir souvent mais son étrangeté morphologique et sa couleur méritent une contemplation à la maison pour quelques semaines. Amitiés botaniques, JP
J’aimeJ’aime
Quelle merveilleuse plante, même dans les serres tropicales que j’aime visiter, je n’ai jamais eu l’occasion de faire leur connaissance ! Je pense que mon objectif macro aimerait beaucoup se promener tout près d’elle.
Merci à toi et à Mathilde pour vos travaux respectifs sur cette couleur aimée et haïe ; j’aime autant le travail de Kandinsky que celui de Soulages couleur/non couleur…
Tu as vraiment beaucoup de talents Jean-Pierre pour utiliser comme tu le fais le fusain et maitriser aussi bien la perspective.
Hélène avait de petites chauve-souris, malheureusement un peu trop de travaux ont dû les inquiéter, elles reviendront peut-être cet hiver.
J’aimeJ’aime
Les chauves-souris n’aiment pas le dérangement même momentané, mais si elles se plaisaient peut-être reviendront-elles. Elles commencent du reste à nicher dans leurs dortoirs hivernals.
La difficulté principale du fusain est me semble-t-il de rester dans le propre et de placer au mieux les lumières, en fait de noyer le noir dans ce qu’il faut de blanc ou de limiter l’invasion du blanc par le noir. Je ne crois pas encore y parvenir assez et j’essaierai encore d’améliorer cette technique qui m’intéresse par son côté rudimentaire. Dire avec rien est toujours passionnant. Amitiés, JP
J’aimeJ’aime