Braine, 21 mai 2022

Le troisième « Festival des correspondances des arts » arrive à son terme. Air limpide, lavé de la veille. La vieille abbatiale vient de muer partiellement ; son épiderme comme ripoliné blanc grisera au fil des ans.

Sur un cadran solaire voisin les heures glissent, elles ne peuvent en rien retenir le temps. Dans le parc, amis et famille du sculpteur Michel Charpentier présentent la donation que ce dernier vient de confier à la Ville de Braine. Ses modelages de ciments m’évoquent des naïvetés fausses, me renvoient même vers les sculptures malhabiles de Dénézé-sous-Doué (Maine-et-Loire) qui, elles, vraiment naïves, semblent vouloir critiquer la dissolution des mœurs de la Cour de France au début du XVIe siècle.

Dans Saint-Yved des œuvres du même sont exposées, ainsi que des travaux des peintres, dessinateurs ou plasticiens sélectionnés cette année (Monique Rozanès, Hubert Dufour, Leopoldo Torres Agüero) : couleurs et chatoiements font miroir avec les vitraux de l’abbatiale.

Les créations de résine et d’altuglas de Monique Rozanès ont spécialement retenu mon attention par leurs strates, leurs superpositions, leurs inclusions qui tantôt densifient l’espace, tantôt l’allègent par leur structure mobilière ou vitrière quand les ors ou les émaux brillent ou matent les volumes.

Dans l’instant Robin Renucci, récitant, et Nicolas Stavy, pianiste, répètent. L’un ses notes, l’autre les siennes aussi.

Tout à l’heure, quand la nuit peu à peu nimbera le chœur et éteindra ses vitraux, la voix assurée de celui-ci et les merveilleux sons de celui-là, -ciselés, précis, nuancés, entraîneront l’auditoire étonné et conquis dans une nuit magique que l’on voudrait sans fin. Là est bien « l’héroïsme dans l’art » présenté lundi, en ouverture, par la conférencière docteure en sciences de l’art et critique d’art Marie-Laure Desjardins. Entre temps le Quatuor Akilone, déjà comme naturalisé Brainois et les pianistes Eric Artz et Franck Ciup ont fait sonner les voûtes antiques. On n’attend plus demain que l’ensemble Aedes dans un parcours choral animé pour clore ce Festival très apprécié.

Un seul regret pour ma part, forcément subjectif et d’historien : Braine devrait apparaître plus dans ce Festival par une présence historique, littéraire ou artistique nettement affirmée. Mais ne boudons pas notre plaisir, réjouissons-nous, car il est en soi déjà merveilleux que ce Festival puisse avoir lieu en ce modeste ancien chef-lieu de canton et de doyenné. Merci aux mécènes, à la Région des Hauts-de-France, au département de l’Aisne, à la Ville de Braine, ses services techniques et son association des Amis de Saint-Yved qui rendent possible cette réalisation accessible à toutes et tous.

J’ai vu l’aigle, l’hermine et la licorne à Reims.

Ils se planquent derrière les gables des trois portails de la façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame, jouent à cache-cache. De face on ne les repère nullement, il est nécessaire de se déporter au nord ou au sud de chaque gable pour les observer de profil ou de trois quarts, par avancée ou recul pour dégager le meilleur angle de vue. C’est çà ce zoo céleste !

une hermine est derrière
un aigle est posé à l’arrière
une licorne se cabre à l’arrière

À tout seigneur tout honneur : l’aigle s’est posé derrière le Christ qui pose la couronne royale sur la tête de sa mère. Ailes plaquées, posture ramassée très hiératique.

Le portail nord, celui de la Crucifixion accueille l’hermine (ou la belette, mais l’hermine semble plus accordée à l’esprit du temps). Comme dans la nature elle se dresse pour regarder à l’entour, elle paraît joueuse ou curieuse, bien observée par le sculpteur qui a su rendre sa posture.

tout en haut, je la vois
curieuse, elle observe…

Le portail sud, celui de l’après Résurrection quand le Christ trône au paradis, cache une licorne. Elle parade, corne torsadée dressée et sabots avant levés tel un cheval en cabrage.

corne unique, barbiche, sabots… c’est bien moi, la licorne

Pourquoi tant de mystères, tant de jeux d’esprit ? Il eut été plus usuel d’installer ces animaux sur le devant de la scène.

Un sens caché, oui sans aucun doute. L’époque, dans la continuité des siècles passés où l’art roman a tant insisté sur l’opposition des sens, aime faire voir tout en masquant. La vérité n’est pas directement accessible aux humains et quand Dieu s’exprime, elle se dévoile peu à peu par étapes successives ; sa compréhension est la résultante d’une quête qui passe par la connaissance des textes sacrés. En présence de ces animaux, il n’est pas évident de trouver un texte qui associe le contenu des scènes sculptées sur les trois portails et un récit biblique où est mentionné le nom de nos acteurs de l’arrière. Il faut donc tenter de lire autrement et plutôt de nous intéresser à la symbolique des sculptures.

L’aigle

L’oiseau le plus emblématique figure au firmament de la plupart des mythologies sur tous les continents. En Europe il nous vient de l’antiquité gréco-romaine et peut-être de légendes nordiques. Par sa capacité à voler haut et planer longuement il illustre ce qui figure au plus haut et donc la royauté. Il est cité maintes fois dans les écrits vétéro-testamentaires sans qu’il soit associé textuellement aux scènes de nos portails, si ce n’est par l’évocation du royaume, du sacre et sa couronne. Attribut de saint Jean dans le tétramorphe, il désigne parfois le Christ, ainsi qu’il fut l’attribut de Zeus. Comme écrit plus haut l’intelligence du sacré n’est pas accessible à la première lecture, ainsi l’aigle est sensé contempler le soleil en pleine face et donc se réfère directement à la lumière divine, ce qui évoque une lecture au second degré pour la compréhension de l’ensemble.

L’hermine

Sa couleur varie lors de ses mues saisonnières elle revêt le blanc en hiver, exceptée l’extrémité de sa queue que l’on sait noire. Dès lors ce carnassier suggère immédiatement l’idée de pureté et d’innocence. Aussi est-elle souvent l’ornement des camails ou robes des dignitaires ecclésiastiques, de l’État et de l’Université. On l’associe à la pureté morale et dans sa symbolique il est connu qu’une hermine venant à être souillée en meurt. Elle est donc à sa place ici en référence à Marie.

La licorne

Une bien étrange créature unicorne très présente dans le monde asiatique, mais la civilisation médiévale a dû prendre ses références plus près de nous. Par sa corne blanche torsadée (la défense du narval) elle est puissante et combat le mal dans un élan de pureté. Aussi symbolise-t-elle l’incarnation du Verbe de Dieu dans le sein de Marie, Vierge et mère. La renommée de la sixième tapisserie de la Dame à la licorne, exposée au musée de Cluny à Paris, ne peut toutefois pas être prise en compte, car postérieure à notre figuration rémoise.

Précisions : ce zoo est ouvert jour et nuit. Prendre des jumelles et, bien entendu, ne rien jeter aux animaux !

Etretat et ses jardins contemporains

Les jardins d’Etretat ou « le jardin bizarre »

Par grand vent et soleil en taches Nicole et moi venons de découvrir ce jardin qualifié de « bizarre » par l’un de ses concepteurs. L’adjectif convient en effet. Ne serait-ce que depuis son entrée depuis le haut de la falaise où une flèche projetée vers la mer rend hommage aux aviateurs Nungesser et Coli qui pour la dernière fois le 8 mai 1927 ont survolé ici le sol français et une chapelle Notre-Dame de la Garde dédiée aux marins rend stable ce qui est instable. Une entrée troublante et déstabilisante qui au fond sied tout à fait aux premiers pas dans ce jardin néo-futuriste quelque peu bizarre.

Pourtant après avoir parcouru des allées entretenues, visualisé des formes arrondies placides oublieuses de la verticalité des espèces arbustives, un sentiment d’étrange sécurité prédomine : l’amateur de jardins n’est pas ici perdu, il est seulement incité à s’évader du présent comme jadis le furent ses prédécesseurs dans les jardins médiévaux, Renaissance, à la française ou à l’anglaise, sans compter ceux plus anciens connus par des textes ou ceux des ailleurs géographiques. Les œuvres d’art qui ponctuent la déambulation n’expriment pas autre souci que cette évasion au temps présent et même la renforce. Seule, in fine, la vue des falaises un moment oubliée, nous ramène au réel, à moins que notre esprit nous renvoie alors vers des toiles impressionnistes dans lesquelles lumières et couleurs sont en transe et nous éloignent à nouveau du plancher des vaches.

En 1903 ce jardin fut celui de l’actrice ‘Madame Thébault’ installé par le jardinier Auguste Lecanu de Fécamp et inspiré par Claude Monet qui peignit tant les falaises en-dessous. Il entoure la villa « la Roxelane » qui domine le point de vue d’Amont vers la falaise de l’Aiguille chère à Maurice Leblanc.

A partir de 2015 un nouveau jardin est créé en cet endroit par Alexandre Grivko et son équipe de collaboratrices et collaborateurs. Ce dernier se présente comme designer-paysagiste appartenant au mouvement créatif du néo-futurisme défini  par l’architecte-paysagiste Vito Di Bari lors de l’Exposition universelle de Milan en 2015. Di Bari énonce : « une pollinisation croisée de l’art, des technologies et des valeurs éthiques, unies pour une qualité de vie meilleure ».

Alexandre Grivko s’appuie sur les paysages environnants, conserve des arbres anciens et place environ 150 000 plants nouveaux sur 4000 m2. Dans son jardin topiaires et arbres souvent taillés constituent  le squelette ; la présentation d’œuvres d’art dans la déambulation guidée orne son épiderme pour un parcours tout en rêveries. N’oublions pas que tout jardin est un spectacle d’artifices divers soumis à l’éphémère des saisons et aux caprices de la croissance végétale. Alexandre Grivko est directeur artistique et architecte paysagiste en chef de la Société Internationale IL NATURE Garden Design & Landscaping Company dont le fondateur est Mark Dumas.

Ces lignes s’appuient pour leur contenu sur : Mark Dumas, Jardin Bizarre, Ed. ILN Garden Project, Etretat, s.d., 183 p. Voir aussi www.jardinsdetretat.fr et Wikipedia.

Vailly-sur-Aisne et le soldat Robert Whalen

R. Whalen est né à Sheffield (Illinois) le 22 janvier 1924. Il s’engage dans l’armée américaine à 18 ans et fut tué à Vailly le 28 août 1944.

Au travers de son histoire récente la Ville de Vailly-sur-Aisne a toujours tenu à manifester annuellement sa reconnaissance à ses libérateurs et spécialement au soldat Robert Whalen (4th Cavalry reconnaissance squadron mechanized)  par des cérémonies officielles.

Archives Ville de Vailly
archives Ville de Vailly

A partir de 1953 une stèle à sa mémoire a été érigée puis déplacée en 2020 pour des raisons de sécurité routière. Les Conseils municipaux successifs depuis cette date ont recherché en vain des descendants du soldat R. Whalen. Il a fallu la parution en 2018 du roman de Pierre Commeine « Chemins d’absence » et l’aide hasardeuse de l’internet pour que la rencontre de la famille Whalen et notre Ville puisse avoir lieu en ces jours anniversaires de la Libération de Vailly. Robert Whalen a été tué la veille de la Libération mais la date officielle retenue est le jour de cette Libération de Vailly. L’armée US qui se développait en suivant la route parallèle à l’Aisne depuis Soissons avait besoin de connaître l’état de la défense ennemie à Vailly, en particulier depuis l’accès sud, devant l’Aisne et son canal latéral, devant les ponts de franchissement de ces voies d’eau. C’est là qu’eut lieu l’accrochage avec la défense allemande qui coûta la vie à notre libérateur.

Nous connaissons le tragique épisode qui mit fin à la vie de Robert Whalen par quelques témoignages judicieusement recueillis et transmis par Michel Bergé, historien amateur local, auprès de quelques témoins oculaires*. Ils sont postérieurs aux événements mais se recoupent et sont à considérer comme authentiques et véridiques une fois mentionnée la déformation inévitable du souvenir dans le temps. Le témoignage principal est celui de la tenancière de l’établissement « La Guinguette », Emilia Delmasse, qui a également récupéré ce dit jour le casque du soldat. Suivons-là :

« Le 28 août 1944, 10 heures, le sol était détrempé, il avait plu. Une jeep venant de Chassemy, traverse le canal sur le pont en bois. Un canon allemand, positionné place du 306, en enfilade, touche le véhicule qui s’enflamme. La jeep est stoppée entre le canal et la rivière à la hauteur du monument élevé en l’honneur de Robert Whalen. Le corps de Robert Whalen, mortellement touché, reste dans la jeep qui brûle. Le corps du soldat sera déposé à l’église. Les Américains sont rentrés le lendemain matin à Vailly. Le casque a roulé dans le talus côté petit large, c’est là que je l’ai ramassé ».

Nous confronterons ultérieurement ce témoignage avec les rares autres dont nous disposons.

En cette occasion de commémoration et de souvenir nous présentons la copie numérique d’un film d’époque.

FILM « La Libération de Vailly-sur-Aisne » : 29 août 1944, suivi de la parade militaire du 8 juin 1945. Tourné à Vailly par Georges Vernet.

Origine du document :

Le film a été tourné à Vailly le 29 août 1944, jour de la Libération de la Ville par un détachement de l’armée des USA, la 3e D.I. L’auteur, Georges Vernet, établi dans un atelier d’horlogerie-bijouterie rue Alexandre Legry  était par sa femme un cousin germain de mon père Louis Boureux, droguiste rue Alexandre Legry à Vailly. A cette date mon père était prisonnier de guerre, Stalag II B et /ou III C dans un camp de Poméranie orientale.

Ce film a été tourné dans le format 9,5 mm et m’a été confié dans les années 1960 par G. Vernet afin que j’en fasse une copie dans le format alors en usage courant, le 8 mm. La présente version numérisée au format mp 4 est la copie de ce film dans le format 8 mm.

La première partie de ce court film illustre le stationnement bref et le passage d’un corps de régiment des USA le 29 août. La séquence filmée est typique des événements enregistrés : brève expression de joie populaire, distribution de produits consommables, embrassades et montée sur chars au centre de la ville, Place Herriot . Un autre aspect, tourné à l’angle du Jeu de Paume, Boulevard Pierret et Rue de Sommecourt, exprime la puissance matérielle de l’armée US par le nombre et le rapide défilement des véhicules dans un virage à angle droit.

* je remercie dans ce contexte MM. J.-M. Martainneville et S. Véron (Associations des Anciens Combattants et Victimes de guerre de Vailly) pour la teneur des documents qu’ils me confient depuis des années et leur participation à la vie de l’Association Patrimoine et Environnement vaillysiens.

Trois images de qualité médiocre extraites du film :

Jeep place de l’Hôtel de Ville
boulevard Pierret 29 août 1944
Programme des journées d’août 2021

Au chevet de Notre-Dame de Vailly-sur-Aisne

Le chevet actuel de l’église et son abside, ainsi que l’essentiel de la façade, sont les rares parties architecturales peu endommagées par les combats entre septembre 1914 et octobre 1918. Les autres éléments de cet édifice ont été détruits presque entièrement. De nombreuses photographies prouvent cet état de fait. Un état avant la guerre, un autre du début de la Reconstruction  et une photographie de 2020 illustrent ce propos.

AbsideEn1914CPW

avant la Grande Guerre

après les destructions

au début de la Reconstruction

Une dizaine d’articles ont été publiés sur cette église, quatre retiennent l’attention et sont précieux pour l’étude historique, d’autant plus qu’une analyse ‘archéologique et monumentale’ n’est plus possible après les destructions. Ces travaux sont ceux de l’abbé Ribaux (1850) curé-doyen de la paroisse, de l’historien et historien de l’art Eugène Lefèvre-Pontalis (1896 et 1911) et du professeur d’histoire de l’art Dany Sandron (2001). L’église étant d’importance pour l’histoire de l’art du Soissonnais et du Laonnois, de multiples citations de références et comparaisons se rencontrent ici et là dans les publications spécialisées.

Le chevet a la rare particularité d’être habilement orné et décoré tant dans ses baies, voussures et chapiteaux que dans sa statuaire dont la place en cet endroit est exceptionnelle. En effet deux figures de saints regardent vers le levant et encadrent une baie qui éclaire les combles du chœur ; elle est de nos jours garnie de vitraux en grisaille à découpe losangée. Le vocabulaire ornemental est typique du style dit de transition et est contemporain de la façade sur ses trois premiers niveaux.  Cette statuaire étrangement positionnée est-elle à sa place d’origine ? Il n’est pas possible de répondre.

Quant aux personnages figurés ils n’ont jamais été identifiés avec certitude. La plupart des auteurs ont évoqué les noms de saint Précord (patron de l’église du hameau éponyme) et saint Crépin patron de l’abbaye soissonnaise qui reconstruisit et transforma en prieuré cette église qu’il présentait auparavant à la cure, en 1184. Elle semble faire suite à une ancienne église sous le vocable de saint Michel et située au milieu de la rue Alexandre Legry.

Une observation attentive à la jumelle, suivie de photographies au téléobjectif me permet d’attribuer désormais à saint Pierre et saint Paul ces statues. Comme on le constate sans peine saint Pierre tient  en mains les clés du Paradis, de longues clés comme celles que l’on découvre dans les fouilles médiévales pour le XIIe siècle ; il est barbu et chevelu.

saint Pierre tient les clés

En symétrie par rapport à la baie centrale saint Paul semble présenter un front dégarni et surtout porte le Livre des Ecritures. Ces statues sont placées sous des dais à tourelles typiques de l’art de cette époque et surmontent chacune un monstre à la gueule ouverte qu’elles maîtrisent. Certes l’attribution à saint Paul, vu l’état de la sculpture, n’est pas immédiate, mais la certitude de la présence de saint Pierre légitime cette affectation à deux saints honorés et associés sous la même dédicace commune : Saint-Pierre et Saint-Paul, représentative du culte chrétien en Gaule depuis la fin de l’Antiquité.

saint Paul présente le Livre (sculpture très érodée)

Saint-Pierre et Saint-Paul

Cette attribution ajoute à l’intérêt historique  de la ville, l’une des villes d’importance dans la région entre la fin de la période carolingienne et la fin du Moyen-Âge. Il ne fait aucun doute que l’abbaye Saint-Crépin-le-Grand a voulu témoigner en ce lieu de sa puissance matérielle et de sa présence intellectuelle en cette ville limite d’influence entre l’évêque de Soissons et les chanoines de Laon qui développent à proximité et en même temps un vaste programme de construction d’églises.

chevet, le 4 juillet 2020

« Carnets nomades » de Guy Féquant

« CARNETS NOMADES » de Guy FéquantCarnetsNomadesCouvA

Guy Féquant, érudit marcheur qui écrit, publie un troisième ouvrage chez l’éditeur Anfortas, après un roman, « Albane », et des récits de voyage dans « Le passant du soir ». Ce nouveau livre, « Carnets nomades, 2014-2019. Préface de Renaud Lamkin, mars 2020, 172 p. », peut être considéré comme une suite du Passant, mais ceux qui connaissent l’auteur parce qu’ils l’ont lu ou le fréquentent y trouveront aussi comme l’écho assourdi d’une dizaine d’autres écrits publiés antérieurement.

Si vous pensez lire un guide de voyage, passez votre chemin. Pour autant des lieux sont décrits précisément et vous trouverez son itinéraire sous vos pas lors d’une prochaine excursion. Ces endroits cependant, inscrits dans la géographie quand ce n’est pas dans la morphologie et la géologie, perdent vite en leurs paragraphes, leur immédiate existence temporelle. L’Histoire y est dévoilée en partie, éventuellement datée, du passé proche ou lointain elle surnage. Vous cheminerez par exemple dans le passé colonial de l’ïle Bourbon aussi bien que dans le moyen-âge laonnois ou l’antiquité romaine là où elle est encore lisible. Cette Histoire n’est qu’un support mémoriel qui se désagrège bientôt vers d’autres piliers de soutènement du récit. En effet avec Guy Féquant le vagabondage cérébral est permanent et de nombreuses images ainsi que des incursions très fréquentes chez des écrivains de toutes époques (une quarantaine de citations) vous empêchent de prendre racine ici plutôt que là. Tant mieux.

Qui plus est, il suffit d’un traquet motteux ou d’un busard de passage, une rosalie des Alpes ou un machaon, ou même un souffle dans la ramure de maints arbres nommés pour que la symphonie naturaliste -déjà en attente sur ses portées dans les notes précises noircies dans le carnet ‘Moleskine’ toujours à portée de mains, éclate.

Dans les lignes de Guy Féquant éclats de nature et touches colorées (Ah, les bleus !…) fulminent ou stridulent ; entre ces lignes tout cela est transfiguré, tantôt par le bonheur ressenti, tantôt par l’extase approchée. C’est que l’auteur, qui s’efforce de sortir de sa glaise originelle, qui veut ne plus être ce qu’il fut naguère, cherche dans sa marche le moyen de s’élever et y parvient. L’ensemble du récit recèle une sorte de douce mélancolie qui accompagne, sinon les pas de l’auteur, certains de ses arrêts. Alors il nous attire dans ses traces où nous plaçons nos pieds pour atteindre en sa compagnie des sommets depuis lesquels s’ouvrent de vastes horizons. Attention : votre esprit peut s’embuer dans les vapeurs d’un champagne, un Irancy ou autre cépage, voire même vous placer face à face avec une « fille à tête de femme viking ».

Ces carnets ne se referment jamais parce que l’Enigme que Guy poursuit empêche des fermoirs de clore l’aventure humaine enchâssée dans leurs pages. Profitez donc des pages entrouvertes pour vous glisser dedans et apprécier de par vous-même le contenu.

Vous pouvez commander chez votre libraire ou directement chez l’éditeur, coordonnées présentes sur les deux illustrations jointes.

Reims et la Champagne au temps de Jean-Baptiste de La Salle

Reims au temps de Jean-Baptiste de La Salle, du milieu à la fin du XVIIe siècle.

Caractères généraux.

La cité de Reims, qui fut une capitale majeure de l’Empire romain ayant succédé à une très vaste agglomération fortifiée gauloise, connaît au Moyen-Âge une prospérité économique à la marge des grandes foires de Champagne (commerce de la laine surtout) et exerce une influence culturelle certaine par ses écoles renommées et le prestige des sacres royaux. Elle conserve au XVIIe siècle bien des caractères de la « bonne ville » médiévale : cité encore protégée par des remparts et siège d’un archevêché et d’une intendance royale.

Implantée dans une légère cuvette que dominent des collines éloignées – Montagne Saint-Thierry, Monts de Berru, Montagne de Reims — elle montre encore les vestiges de ses remparts limités au sud par le cours tortueux de la modeste rivière la Vesle ainsi que par des marécages en voie d’assèchement. De nombreux édifices religieux, dont une majestueuse cathédrale dans laquelle les rois de France sont sacrés et à laquelle s’ajoutent Saint-Remi et Saint-Nicaise, de vastes proportions et gardiennes d’insignes reliques, manifestent à Reims la présence de l’Église, puissance spirituelle et temporelle qui en cette cité a plus d’influence que le roi.

Toutes ses rues ne sont pas encore pavées, toutes ses maisons pas encore totalement en pierre. Le siècle précédent a connu le début de la désaffection du bois et a vu nombre de façades à pans de bois transformées en parements de pierres avant que la mode de l’immeuble tout en pierres ne s’affirme.

Peu éloignée de Paris et des principaux courants d’échanges économiques entre les Flandres et les Midis, son activité repose essentiellement sur le commerce fort dynamique de la laine, matière première qui avec le lin lui assurent la renommée d’une « ville drapante », et sur celui des « vins tranquilles », rouges et blancs, « de la Montagne ou de Rivière ». Des hommes de Lettres comme La Fontaine[1] et des nobles influents à la cour assurent dans le royaume et à l’extérieur la renommée de Reims. Au sujet du vin, le XVIIe siècle finissant participe à la timide, lente et encore provisoire élaboration d’un vin, le Champagne, qui plus tard diffusera par ses bulles le nom de Reims. Ce « sparkling wine » dont la notoriété transite par l’Angleterre avant de jeter ses étincelles sur la planète, n’est encore à l’époque de Jean-Baptiste qu’une curiosité pétillante rarissime. Il n’est en rien l’image révélatrice de notre ville au temps de Louis XIV, de Mgr Le Tellier, de Colbert, de Jean-Baptiste de La Salle ou de Monsieur Paul. Une trentaine de milliers d’habitants y vivent, beaucoup d’entre eux y survivent.

 

La population de Reims au milieu du XVIIe siècle est de l’ordre d’un peu plus d’une trentaine de milliers d’habitants, dont environ 800 religieux répartis sur les 14 paroisses de la ville. À la fin du siècle, le Conseil de Ville annonce 26 000 habitants et 11 à 12 000 à la mendicité. C’est le rapport entre ces deux nombres qui nous importe aujourd’hui : la France d’Ancien Régime est composée d’une société marquée par l’immense écart des moyens de vie entre les plus riches et les plus pauvres. Un siècle plus tard, la population de Reims est à nouveau voisine de 30 000 habitants.

Les désastres des guerres, le séjour des armées et l’arrivée soudaine des pestes (1635, 1668…) et autres contagions font que l’état de la ville est bien souvent celui de la désolation. Le spectacle de vagabonds nombreux et de bandes d’enfants affamés est fréquent. À la fin de 1651, le chanoine Lacourt note ; « La ville avoit à sa charge un ombre infini de pauvres enfans de la campagne dont les parents avoient péri durant la mortalité et la plus grande partie de nos villages estoient deserts ou demolis ou bruslez ». La mort est omniprésente. Les cimetières de la ville constituent un espace d’environ 14 000 m2. Si en année normale on enfouit environ 2 à 300 corps, lors des grandes épidémies auxquelles s’ajoutent les calamités naturelles et les guerres on arrive au nombre d’un petit millier de corps. L’absence d’hygiène, la contagion par les nappes phréatiques dressent un sombre tableau de la cité dans le cours du XVIIe siècle, tableau qui n’est pas propre à la ville de Reims, mais à la plupart des villes de l’époque.

Ce descriptif de l’aspect général de la ville nous évoque ce qu’a connu Jean-Baptiste de La Salle, mais il faut avoir à l’esprit que ce qui nous apparaît aujourd’hui comme choquant n’était pas nécessairement vu comme tel à l’époque, à cause de la banalisation des faits induite par l’habitude et l’accoutumance.

Pour en savoir plus sur l’état de Reims au XVIIe siècle on lira avec profit : Robert Benoit, Vivre et mourir à Reims au Grand Siècle (1580-1720), Artois Presses Université, 1999, 256 p. ; excellente et irremplaçable étude sur la question.

[1] On retient notamment : « Il n’est cité que je préfère à Reims/ C’est l’ornement et l’honneur de la France/ Car sans compter l’Ampoule et les bons vins,/ Charmants objets y sont en abondance. »

Jean-Baptiste de La Salle et l’enseignement, à Reims et en Champagne.

         Jean-Baptiste de La Salle est né à Reims le 30 avril 1651, fils de Louis de La Salle et Nicolle Moët de Brouillet. Jusque l’âge de neuf ans il est éduqué dans sa famille, puis au Collège des Bons-Enfants. Il reçoit la tonsure à onze ans, devient chanoine à quinze ans, soit le parcours attendu d’un jeune de l’époque, ayant une vocation religieuse et appartenant à la petite noblesse par sa mère, à la noblesse de robe par son père, juriste, conseiller au présidial de la ville. Jean-Baptiste est ensuite formé au séminaire Saint-Sulpice à Paris à l’âge de dix-neuf ans, il reçoit également des cours de théologie à la Sorbonne. Les décès rapprochés de sa mère et de son père l’obligent à rentrer à Reims pour prendre soin, en tant qu’aîné, de ses nombreux frères et sœurs (11 dont 7 en vie) dont il a la tutelle. Jean-Baptiste termine donc ses études de théologie à Reims et obtient la licence et le doctorat.

Contexte général.

Lorsque Jean-Baptiste de La Salle ouvre à Reims des écoles chrétiennes, son but n’était pas tant d’instruire les enfants, comme on l’entend aujourd’hui, par la lecture, l’écriture et le calcul, certes mis en avant et parfaitement enseignés selon les méthodes usuelles du temps, qu’il complète ou améliore, mais ses vues étaient plus précises et plus orientées : il voulait avant tout arracher les enfants pauvres à la corruption (terme à comprendre comme l’abandon du plus grand nombre à la rue, sans surveillance des parents et donc sous la pression de chefs de bandes) et les guider ainsi vers le Ciel par le moyen d’une éducation chrétienne soigneusement encadrée, sans faiblesse, mais sans excès de coercition physique.

Son action s’inscrit dans un vaste courant de réformes éducatives soutenu par la Contre-Réforme qui lutte contre la culture orale traditionnelle plus ou moins bien transmise par des parents non instruits et malmenés par la violence des temps.

En effet on ne peut comprendre l’action des nouveaux enseignants comme Jean-Baptiste de La Salle ou avant lui Nicolas Roland à Reims, — mais encore le Père Barré à Rouen ou Charles Démia à Lyon par exemple — si on ne replace pas l’action de ces éducateurs dans le contexte de la France du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, soit un siècle environ de tueries, brigandages, viols, prostitution comme la France n’en avait plus connus sans doute depuis la guerre de Cent Ans. Ces extraordinaires violences, qui correspondent au début des Guerres de Religion jusqu’à la fin de la guerre de Trente Ans et de la Fronde, vont voir nombre de villages disparaître (une trentaine au nord de Reims), leur population trouvant un refuge périlleux dans la misère et l’errance propres aux faubourgs des villes fortes, souvent hors de la relative sécurité que procurait autrefois l’enceinte des anciens remparts maintenant délabrés.

Contexte rémois.

Le chanoine Nicolas Roland avait rencontré à Rouen le Père Barré et décidé de prendre en charge l’orphelinat constitué par Dame Varlet et de l’installer à Reims, rue du Barbâtre, en une voie de communication reliant le centre de la Cité au faubourg Saint-Remi. Là des religieuses parviennent à accueillir des vocations enseignantes féminines et dès 1674 Nicolas Roland peut ouvrir quatre écoles de filles qui reçoivent presque un millier d’enfants sous la conduite de seize institutrices. Il décède hélas quatre années plus tard affaibli par la maladie et l’ascèse trop rigoureuse qu’il suivait avec application. Jean-Baptiste de La Salle, poursuit son œuvre : Nicolas Roland avait été son directeur de conscience. Bientôt la Communauté des Sœurs du Saint Enfant Jésus reçoit les Lettres patentes royales (1679) et la fondation se répand dans le diocèse où des sœurs sont envoyées deux par deux dans les campagnes et bourgades champenoises, où elles enseignent, mais aussi encadrent les fillettes ou jeunes femmes du pays.

De son côté Jean-Baptiste de La Salle réfléchit à la création d’une institution analogue pour les garçons et saute le pas, c’est-à-dire se lance corps et âme dans la vocation qu’il développe, luttant contre l’hostilité de ses proches qui trouvent son attitude indigne de la noblesse, d’autant que pour réaliser son œuvre il va jusqu’à abandonner sa charge de chanoine, source de revenus et de prestige, et à accueillir chez lui de grossiers maîtres d’école non rompus aux subtilités du savoir-vivre bourgeois. Il n’est pas délaissé de tous heureusement puisque sa parente rouennaise, Madame Maillefer, lui avait envoyé un maître d’école, Adrien Nyel, qu’il installe dans la paroisse Saint-Maurice et qui influence profondément son protecteur. Des vocations se font jour bientôt et quatre jeunes hommes rejoignent l’œuvre, Jean-Baptiste les nomme dans la foulée à Saint-Maurice et Saint-Jacques, deux paroisses au cœur de la ville. De même il a lui aussi obtenu le soutien du Père Barré et dans l’élan propre aux fondateurs d’ordre ou autres personnalités animées d’une volonté farouche d’atteindre un but précis, il fonde en 1683 (dans la pratique entre 1678 et 1688) une communauté de l’« Institut des Frères des Écoles chrétiennes » qui ne cessera de croître. Son école il la veut gratuite, de manière à n’exclure personne, gratuite également pour les enfants riches afin que les pauvres, par comparaison, ne soient pas humiliés par une discrimination liée à la fortune. On devine ici la modernité et l’audace de l’approche.

Il est curieux de noter en effet comment un jeune issu de la noblesse d’une ville drapante, en une cité archiépiscopale célèbre par le prestige qu’elle met en scène lors des sacres royaux, parvient à échapper aux contraintes d’un milieu social élevé pour s’engager dans une contestation radicale qui le place en un rang socialement inférieur et donc décrié. Pensons bien au fait qu’il a rencontré et connu dans son enfance au coeur du centre économique de la ville, au Forum, « Place du Marché aux bleds et aux draps », où se négocient denrées et toiles et où se changent les monnaies, tous ceux qui comptent socialement : les détenteurs du pouvoir politique, les représentants de la noblesse et du haut clergé, les propriétaires des maisons de ville qui troquent leurs anciennes demeures charpentées en pans de bois pour de riants et décorés hôtels particuliers dans le style Renaissance ou à la Française, tel celui que les parents de Jean-Baptiste ont acheté et où ils habitent, l’Hôtel de la Cloche, rue de l’Arbalète et de la Chanverie, dans l’angle nord-ouest dudit Forum, à quelques pas de la cathédrale et du quartier de résidence des chanoines. Voilà bien la marque d’un engagement chrétien total, d’un bouleversement radical dans la droite ligne du message évangélique, et totalement ancré dans les vicissitudes du moment. L’extrait suivant, dans la langue de l’époque, tiré du « Discours sur l’institution des maîtres et maîtresses d’écoles chrétiennes et gratuites », Rouen, 1733 (reproduit dans le Cahier lassalien N° 7) donne le ton et indique la route à suivre :

« … ces enfans qui ne reçoivent la vie du corps, ce semble, que pour perdre celle de l’ame, qui ne trouvent dans la maison paternelle que des exemples pernicieux, et qui ne reçoivent d’instruction que pour le mal ; ces enfans vagabonds qui courent les rues… … où doivent-ils et où peuvent-ils chercher l’instruction Chrétienne ? … … Combien y a-t-il d’Ecclésiastiques dans le Roïaume qui fassent et qui veüillent faire ce que font les Frères à l’égard de cette pauvre jeunesse, qui veüillent comme eux se faire une profession et leur unique profession de tenir des Ecoles Gratuites et Chrétiennes ? ».

Contexte champenois.

Notons d’abord que la Champagne n’est pas en reste quant au développement de l’éducation dans les campagnes, elle a même, depuis la fin du Moyen-Age une notable avance sur d’autres provinces du royaume. C’est donc davantage sur la manière et les buts que Jean-Baptiste de La Salle va construire une méthode originale d’enseignement. Le motif en est d’abord que pour enseigner il faut des maîtres compétents, et surtout disponibles. Cette disponibilité Jean-Baptiste va la vouloir totale, d’où l’intérêt qu’il trouve dans un engagement des frères de la communauté en dehors du clergé et si possible en marge de la hiérarchie ecclésiastique. Par un heureux concours de circonstances il trouve un appui des plus efficients en la personne du Duc de Mazarin, Armand Charles de La Porte, époux d’Hortense Mancini, nièce du célèbre cardinal Mazarin. Celui-ci est titulaire du duché de Rethel-Mazarin en 1663, étant lui-même de par son père et sa mère à la tête d’une immense fortune, tant terrienne que de fonction. En 1681, séparé de sa femme, il garantit pour Nyel et La Salle le premier paiement des maîtres formés à Reims et envoyés à Rethel et Château-Porcien. Dès lors s’ouvre une collaboration constante entre ce protecteur et l’œuvre lasallienne en gestation, puis très vite en développement en Champagne. Ainsi vont naître les premiers instituts de formation des maîtres, intuition majeure, profonde originalité dans le système éducatif balbutiant de la fin du XVIIe siècle. Ce sont d’abord des femmes qui sont formées pour enseigner aux filles des campagnes, puis le duc étend aux garçons ce privilège alors inouï d’être enseignés plutôt que d’être aux champs, nous sommes en 1683 et la Champagne sous contrôle du duc se voit alors équipée de salles de classe sous la férule de maîtres formés à Reims puis ailleurs, classes gratuites et en principe obligatoires pour les enfants de moins de quatorze ans. Un contrat est signé en 1685 entre La Salle et le duc de Mazarin, mais il se heurte inévitablement à l’opposition de l’archevêque de Reims. Qu’à cela ne tienne, le duc va installer en dehors des zones où s’applique la juridiction de l’archevêque cette nouvelle institution. À commencer par le diocèse de Laon et de petites villes entre Rethel et Laon. À partir de 1686 et jusqu’en 1691 (en 1688 Jean-Baptiste quitte Reims pour Paris, il n’accepte pas l’offre de direction de l’ensemble des écoles du diocèse que lui fait l’archevêque) le centre de formation de Reims compte jusqu’à trente stagiaires. Ainsi débute l’originale création à Reims et en Champagne de ces centres de formation des maîtres dont les méthodes vont marquer les esprits et toujours susciter des vocations, prouvant ainsi la justesse de vue de leur fondateur.

Synthèse écrite par J.-Pierre Boureux en 2014 dans le contexte de la création de l’espace scénographique dédié à St-J.-B. de La Salle.

Ronde du 15 janvier 2019

Nouvelle année, nouvelle ronde !

Ce mois j’ai le plaisir d’accueillir la proposition originale de Franck :

https://alenvi.blog4ever.com/articles

pendant cet échange je suis aimablement accueilli par Dominique Hasselmann.

La Ronde fonctionne et tourne cette fois en ce sens :

chez Dominique Autrou https://ladistanceaupersonnage.fr/
… Hélène Verdier http://simultanees.blogspot.com/
Jacques d’A. https://jfrisch.blog/
Jean-Pierre Boureux http://voirdit.blog.lemonde.fr/
etc.

Observez puis écoutez, de la part de Franck !

Ronde de septembre 2018

Notre ronde épistolaire bimensuelle tourne ce mois-ci inspirée par le mot « arbre(s) ».

J’ai le plaisir d’accueillir sur cette page les réflexions originales libérées de Joseph Frisch   [ https://jfrisch.blog/] et pour ma part je suis aimablement hébergé chez Noël Bernard, du blog ‘le Talipo’ [http://cluster015.ovh.net/~talipo/]

Le gardien

15 septembre                                                                                                                                         La nuit même du départ de Marie, j’imaginai la trame de plusieurs romans, dont hélas le sommeil a consumé l’essentiel, me laissant entre les bras le charbon du rêve avec un goût d’inachevé, le sentiment que procurerait la lecture d’un indicateur d’horaires de train dont on ignore l’ancienneté ou les destinations, ou encore l’ incompréhensible dessin de pattes d’oiseaux sur un champ de neige. Au moins ce rêve n’est il pas un cauchemar.

Je me suis levé vers quatre heures, j’ai fait quelques pas autour du cèdre, aperçu, deviné, le vol de la hulotte qui s’est enfuie silencieuse et claire.

Au potager tout a séché; j’ai eu beau vider le puits, n’ai réussi qu’à ralentir l’échec.

17 septembre                                                                                                                                        Pas un seul visiteur ou si : quelques renards, dans le lointain au crépuscule. J’écoute du jazz sur le lecteur CD. Chaleur étouffante.

20 septembre                                                                                                                                 Dégagé à la main l’herbe qui poussait entre les osiers. Il s’agit de tenir chaque poignet d’herbe de la main droite et de sectionner de l’autre main la base de la touffe. Au bout de vingt mètres de ce travail j’avais la tête qui tournait, les oreilles qui sifflent. À l’est du champ, un peuplier foudroyé il y a des années semble refaire ses forces. Aucun visiteur depuis plusieurs jours, j’ai quand même allumé la radio vers sept heures. Il pleuvra demain, une journée de répit pour l’arrosage de la pépinière.

21 septembre                                                                                                                                           Il pleut comme prévu, je consacre la matinée à dormir plus tard. Le cri d’un faisan me réveille, on m’a dit que cette année on ne chassera que les mâles. Dans le pré derrière vu une mère et cinq petits.

22 Septembre                                                                                                                                       Feu avec le petit bois du figuier, qui date de l’an passé. C’est comme si son parfum se réveillait après un long sommeil.

23 septembre                                                                                                                                    Après plusieurs jours d’hésitation je suis descendu à Combes, oubliant que nous sommes dimanche. Il était si tôt que seuls la boulangerie et le café tabac étaient ouverts. J’ai eu envie de recommencer à fumer pour passer inaperçu, me cacher, comme j’ai toujours voulu faire (autrefois caché derrière un appareil photo). Personne ne me connaît pourtant; alors qui craindre ? Peut-être craindre ma réaction si l’un ou l’autre me parlait, ma colère, ma fuite, l’espèce humaine en général, les journalistes et les juges en particulier.

25 septembre                                                                                                                                     …les feuilles sont alternées, simples, grandes, presque aussi larges que longues (18 à 25 cm), palmées, divisées en trois à sept lobes plus ou moins échancrés, de consistance ferme longuement pétiolées ; elles ressemblent à celle des érables, qui, elles, sont opposés. (page 339)

26 septembre                                                                                                                                    Dans le foyer, outre une biographie de Montaigne hors d’âge ; un « Larousse des arbres » gonflé d’humidité comme s’il avait passé un mois dans une étuve , plusieurs polars (« J’étais Dora Suarez » de Robin Cook, « Manhattan transfer » dans une version illustrée, plusieurs livres de Simenon.

1er octobre                                                                                                                                          C’est parce que les autres sont mes semblables que je les supporte mal.

3 octobre                                                                                                                                        Quatre mois exactement que j’ai quitté la prison de Béthune, le départ était une simple formalité ; la porte qui s’ouvre et j’entre avec douleur dans un monde qui me fut familier. Tous sont devenus des étrangers.

5 octobre                                                                                                                                                 Je vais d’un endroit l’autre de l’arboretum, beaucoup d’arbres ont commencé à perdre leurs feuilles, dans la soirée sur un petit monticule au dessus de l’étang on voit au loin un front de peupliers blancs éclairé par le soleil couchant : blancs ? non, vert beaucoup plus pâle que les saules puis derrière en arrière-plan, l’allée des cèdres.

7 octobre                                                                                                                                                 Je suis redescendu en village tout aussi nerveux que la dernière fois, J’ai l’impression de marcher comme une araignée, sans arrêt sur mes gardes. A retour pendant deux heures j’ai rêvé sur une carte du Japon, suivant le dessin des côtes avec le stylo, je lisais des noms qui n’ont plus cours puis je traversais le détroit de Corée, j’imaginais-les îles, etc.. Je voyage très bien sans avion. Relire La Folie Almayer.

Ai arrosé la pépinière.

10 octobre                                                                                                                                                Il ne suffit pas que l’erreur judiciaire soit reconnue ; Il faut ensuite réparer tout le temps qui a été ôté à une vie, mais personne ne s’y attaque c’est trop difficile. L’avocat dit qu’il y aura une compensation financière : la belle affaire ! Erreur non !! FAUTE JUDICIAIRE… Naufrage.

… la femelle se fixe sur les rameaux comme une sorte de verrue violacée ; autrefois récoltées, ces cochenilles, désignées sous le nom de grains d’écarlate, servaient à la fabrication d’une très belle teinture rouge; le mot kermes apparu pour la première fois en notre langue chez Rabelais en 1546 sous la forme al kermes est lui-même une transcription de l’arabe al–qirmiz, d’origine persane car ce sont les Persans qui utilisèrent les premiers cette teinture. (page 381) …

13 Octobre                                                                                                                                         Cette fois je suis descendu à vélo, par Combes jusqu’à Revières et autour du lac en bas, jusqu’à la frontière française, j’ignore s’il y a eu des visiteurs, mais le portail de l’arboretum était resté ouvert. Les champs resplendissent de l’or des hêtres.

15 Octobre                                                                                                                                    Fausses accusations, emballement de ces ordures de journalistes, faits divers : toutes les nuits malgré les mois passés il y a un moment où le jour de l’arrestation revient, avec des variantes sur le lieu, la lumière, etc. mais chaque fois c’est précédé d’une sorte de crissement de cigales qui l’annonce. Reçu une courte lettre de Marie qui revient dans une semaine.

J’aime ce travail loin des gens, dans la solitude, sauf qu’à y réfléchir je suis moi aussi devenu le gardien d’une petite foule, d’arbres certes et libres si on veut.

17 Octobre                                                                                                                                                Il est tard dans la saison et cependant sur un des ronciers près de l’étang il y a encore une quantité de mûres que j’ai cueillies. Quelques abeilles butinent encore, la lumière est plus franche maintenant que l’air du soir fraîchit. J’ai lu à haute voix, un vieil article de journal, après quelques essais il m’a semblé arriver à un résultat correct. Çà me rappelle les exercices d’il y a trois ans avec les élèves du groupe de théâtre.

Ce mois notre ronde évolue suivant ce mouvement :

Marie-Noelle Bertrand
chez Joseph Frisch https://jfrisch.blog
chez J Pierre Boureux http://voirdit.blog.lemonde.fr
chez Noel Bernard http://cluster015.ovh.net/~talipo/
chez Hélène Verdier  http://simultanees.blogspot.com
chez Franck Bladou https://alenvi.blog4ever.com/articles
chez Giovanni Merloni https://leportraitinconscient.com
chez Marie Christine Grimard https://mariechristinegrimard.wordpress.com
chez Dominique Autrou https://ladistanceaupersonnage.fr
chez Dominique Hasselmann https://hadominique75.wordpress.com
chez Guy Deflaux http://wanagramme.blog.lemonde.fr
chez Marie Noelle Bertrand http://ladilettante1965.blogspot.com