J’ai vu l’aigle, l’hermine et la licorne à Reims.

Ils se planquent derrière les gables des trois portails de la façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame, jouent à cache-cache. De face on ne les repère nullement, il est nécessaire de se déporter au nord ou au sud de chaque gable pour les observer de profil ou de trois quarts, par avancée ou recul pour dégager le meilleur angle de vue. C’est çà ce zoo céleste !

une hermine est derrière
un aigle est posé à l’arrière
une licorne se cabre à l’arrière

À tout seigneur tout honneur : l’aigle s’est posé derrière le Christ qui pose la couronne royale sur la tête de sa mère. Ailes plaquées, posture ramassée très hiératique.

Le portail nord, celui de la Crucifixion accueille l’hermine (ou la belette, mais l’hermine semble plus accordée à l’esprit du temps). Comme dans la nature elle se dresse pour regarder à l’entour, elle paraît joueuse ou curieuse, bien observée par le sculpteur qui a su rendre sa posture.

tout en haut, je la vois
curieuse, elle observe…

Le portail sud, celui de l’après Résurrection quand le Christ trône au paradis, cache une licorne. Elle parade, corne torsadée dressée et sabots avant levés tel un cheval en cabrage.

corne unique, barbiche, sabots… c’est bien moi, la licorne

Pourquoi tant de mystères, tant de jeux d’esprit ? Il eut été plus usuel d’installer ces animaux sur le devant de la scène.

Un sens caché, oui sans aucun doute. L’époque, dans la continuité des siècles passés où l’art roman a tant insisté sur l’opposition des sens, aime faire voir tout en masquant. La vérité n’est pas directement accessible aux humains et quand Dieu s’exprime, elle se dévoile peu à peu par étapes successives ; sa compréhension est la résultante d’une quête qui passe par la connaissance des textes sacrés. En présence de ces animaux, il n’est pas évident de trouver un texte qui associe le contenu des scènes sculptées sur les trois portails et un récit biblique où est mentionné le nom de nos acteurs de l’arrière. Il faut donc tenter de lire autrement et plutôt de nous intéresser à la symbolique des sculptures.

L’aigle

L’oiseau le plus emblématique figure au firmament de la plupart des mythologies sur tous les continents. En Europe il nous vient de l’antiquité gréco-romaine et peut-être de légendes nordiques. Par sa capacité à voler haut et planer longuement il illustre ce qui figure au plus haut et donc la royauté. Il est cité maintes fois dans les écrits vétéro-testamentaires sans qu’il soit associé textuellement aux scènes de nos portails, si ce n’est par l’évocation du royaume, du sacre et sa couronne. Attribut de saint Jean dans le tétramorphe, il désigne parfois le Christ, ainsi qu’il fut l’attribut de Zeus. Comme écrit plus haut l’intelligence du sacré n’est pas accessible à la première lecture, ainsi l’aigle est sensé contempler le soleil en pleine face et donc se réfère directement à la lumière divine, ce qui évoque une lecture au second degré pour la compréhension de l’ensemble.

L’hermine

Sa couleur varie lors de ses mues saisonnières elle revêt le blanc en hiver, exceptée l’extrémité de sa queue que l’on sait noire. Dès lors ce carnassier suggère immédiatement l’idée de pureté et d’innocence. Aussi est-elle souvent l’ornement des camails ou robes des dignitaires ecclésiastiques, de l’État et de l’Université. On l’associe à la pureté morale et dans sa symbolique il est connu qu’une hermine venant à être souillée en meurt. Elle est donc à sa place ici en référence à Marie.

La licorne

Une bien étrange créature unicorne très présente dans le monde asiatique, mais la civilisation médiévale a dû prendre ses références plus près de nous. Par sa corne blanche torsadée (la défense du narval) elle est puissante et combat le mal dans un élan de pureté. Aussi symbolise-t-elle l’incarnation du Verbe de Dieu dans le sein de Marie, Vierge et mère. La renommée de la sixième tapisserie de la Dame à la licorne, exposée au musée de Cluny à Paris, ne peut toutefois pas être prise en compte, car postérieure à notre figuration rémoise.

Précisions : ce zoo est ouvert jour et nuit. Prendre des jumelles et, bien entendu, ne rien jeter aux animaux !

2 réflexions au sujet de « J’ai vu l’aigle, l’hermine et la licorne à Reims. »

  1. VincentSteven

    Bonjour Jean-Pierre,

    Superbe quête photographique ; on aimerait être un Quasimodo de ‘notre’ belle cathédrale !
    Ceci m’a donné le désir de fouiller derrière l’écran de mon PC… et donc ceci, en première approximation, et tout particulièrement le beau travail photographique de Gérard Rondeau :

    https://www.lemonde.fr/culture/article/2011/06/02/le-fabuleux-bestiaire-de-la-cathedrale-de-reims_1531006_3246.html
    https://www.gerardrondeau.com/photographies/cathedrale-de-reims/

    On y reviendra.

    Bon après-midi rémois.

    VincentSteven

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    1. jpbrx Auteur de l’article

      Merci bien Vincent, je te ferai une réponse en mp demain. Effectivement le travail photographique de Gérard Rondeau fut à bien des égards exceptionnel et le recueil cathédrale témoigne de son talent.

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