Reims au temps de Jean-Baptiste de La Salle, du milieu à la fin du XVIIe siècle.
Caractères généraux.
La cité de Reims, qui fut une capitale majeure de l’Empire romain ayant succédé à une très vaste agglomération fortifiée gauloise, connaît au Moyen-Âge une prospérité économique à la marge des grandes foires de Champagne (commerce de la laine surtout) et exerce une influence culturelle certaine par ses écoles renommées et le prestige des sacres royaux. Elle conserve au XVIIe siècle bien des caractères de la « bonne ville » médiévale : cité encore protégée par des remparts et siège d’un archevêché et d’une intendance royale.
Implantée dans une légère cuvette que dominent des collines éloignées – Montagne Saint-Thierry, Monts de Berru, Montagne de Reims — elle montre encore les vestiges de ses remparts limités au sud par le cours tortueux de la modeste rivière la Vesle ainsi que par des marécages en voie d’assèchement. De nombreux édifices religieux, dont une majestueuse cathédrale dans laquelle les rois de France sont sacrés et à laquelle s’ajoutent Saint-Remi et Saint-Nicaise, de vastes proportions et gardiennes d’insignes reliques, manifestent à Reims la présence de l’Église, puissance spirituelle et temporelle qui en cette cité a plus d’influence que le roi.
Toutes ses rues ne sont pas encore pavées, toutes ses maisons pas encore totalement en pierre. Le siècle précédent a connu le début de la désaffection du bois et a vu nombre de façades à pans de bois transformées en parements de pierres avant que la mode de l’immeuble tout en pierres ne s’affirme.
Peu éloignée de Paris et des principaux courants d’échanges économiques entre les Flandres et les Midis, son activité repose essentiellement sur le commerce fort dynamique de la laine, matière première qui avec le lin lui assurent la renommée d’une « ville drapante », et sur celui des « vins tranquilles », rouges et blancs, « de la Montagne ou de Rivière ». Des hommes de Lettres comme La Fontaine[1] et des nobles influents à la cour assurent dans le royaume et à l’extérieur la renommée de Reims. Au sujet du vin, le XVIIe siècle finissant participe à la timide, lente et encore provisoire élaboration d’un vin, le Champagne, qui plus tard diffusera par ses bulles le nom de Reims. Ce « sparkling wine » dont la notoriété transite par l’Angleterre avant de jeter ses étincelles sur la planète, n’est encore à l’époque de Jean-Baptiste qu’une curiosité pétillante rarissime. Il n’est en rien l’image révélatrice de notre ville au temps de Louis XIV, de Mgr Le Tellier, de Colbert, de Jean-Baptiste de La Salle ou de Monsieur Paul. Une trentaine de milliers d’habitants y vivent, beaucoup d’entre eux y survivent.
La population de Reims au milieu du XVIIe siècle est de l’ordre d’un peu plus d’une trentaine de milliers d’habitants, dont environ 800 religieux répartis sur les 14 paroisses de la ville. À la fin du siècle, le Conseil de Ville annonce 26 000 habitants et 11 à 12 000 à la mendicité. C’est le rapport entre ces deux nombres qui nous importe aujourd’hui : la France d’Ancien Régime est composée d’une société marquée par l’immense écart des moyens de vie entre les plus riches et les plus pauvres. Un siècle plus tard, la population de Reims est à nouveau voisine de 30 000 habitants.
Les désastres des guerres, le séjour des armées et l’arrivée soudaine des pestes (1635, 1668…) et autres contagions font que l’état de la ville est bien souvent celui de la désolation. Le spectacle de vagabonds nombreux et de bandes d’enfants affamés est fréquent. À la fin de 1651, le chanoine Lacourt note ; « La ville avoit à sa charge un ombre infini de pauvres enfans de la campagne dont les parents avoient péri durant la mortalité et la plus grande partie de nos villages estoient deserts ou demolis ou bruslez ». La mort est omniprésente. Les cimetières de la ville constituent un espace d’environ 14 000 m2. Si en année normale on enfouit environ 2 à 300 corps, lors des grandes épidémies auxquelles s’ajoutent les calamités naturelles et les guerres on arrive au nombre d’un petit millier de corps. L’absence d’hygiène, la contagion par les nappes phréatiques dressent un sombre tableau de la cité dans le cours du XVIIe siècle, tableau qui n’est pas propre à la ville de Reims, mais à la plupart des villes de l’époque.
Ce descriptif de l’aspect général de la ville nous évoque ce qu’a connu Jean-Baptiste de La Salle, mais il faut avoir à l’esprit que ce qui nous apparaît aujourd’hui comme choquant n’était pas nécessairement vu comme tel à l’époque, à cause de la banalisation des faits induite par l’habitude et l’accoutumance.
Pour en savoir plus sur l’état de Reims au XVIIe siècle on lira avec profit : Robert Benoit, Vivre et mourir à Reims au Grand Siècle (1580-1720), Artois Presses Université, 1999, 256 p. ; excellente et irremplaçable étude sur la question.
[1] On retient notamment : « Il n’est cité que je préfère à Reims/ C’est l’ornement et l’honneur de la France/ Car sans compter l’Ampoule et les bons vins,/ Charmants objets y sont en abondance. »
Jean-Baptiste de La Salle et l’enseignement, à Reims et en Champagne.
Jean-Baptiste de La Salle est né à Reims le 30 avril 1651, fils de Louis de La Salle et Nicolle Moët de Brouillet. Jusque l’âge de neuf ans il est éduqué dans sa famille, puis au Collège des Bons-Enfants. Il reçoit la tonsure à onze ans, devient chanoine à quinze ans, soit le parcours attendu d’un jeune de l’époque, ayant une vocation religieuse et appartenant à la petite noblesse par sa mère, à la noblesse de robe par son père, juriste, conseiller au présidial de la ville. Jean-Baptiste est ensuite formé au séminaire Saint-Sulpice à Paris à l’âge de dix-neuf ans, il reçoit également des cours de théologie à la Sorbonne. Les décès rapprochés de sa mère et de son père l’obligent à rentrer à Reims pour prendre soin, en tant qu’aîné, de ses nombreux frères et sœurs (11 dont 7 en vie) dont il a la tutelle. Jean-Baptiste termine donc ses études de théologie à Reims et obtient la licence et le doctorat.
Contexte général.
Lorsque Jean-Baptiste de La Salle ouvre à Reims des écoles chrétiennes, son but n’était pas tant d’instruire les enfants, comme on l’entend aujourd’hui, par la lecture, l’écriture et le calcul, certes mis en avant et parfaitement enseignés selon les méthodes usuelles du temps, qu’il complète ou améliore, mais ses vues étaient plus précises et plus orientées : il voulait avant tout arracher les enfants pauvres à la corruption (terme à comprendre comme l’abandon du plus grand nombre à la rue, sans surveillance des parents et donc sous la pression de chefs de bandes) et les guider ainsi vers le Ciel par le moyen d’une éducation chrétienne soigneusement encadrée, sans faiblesse, mais sans excès de coercition physique.
Son action s’inscrit dans un vaste courant de réformes éducatives soutenu par la Contre-Réforme qui lutte contre la culture orale traditionnelle plus ou moins bien transmise par des parents non instruits et malmenés par la violence des temps.
En effet on ne peut comprendre l’action des nouveaux enseignants comme Jean-Baptiste de La Salle ou avant lui Nicolas Roland à Reims, — mais encore le Père Barré à Rouen ou Charles Démia à Lyon par exemple — si on ne replace pas l’action de ces éducateurs dans le contexte de la France du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, soit un siècle environ de tueries, brigandages, viols, prostitution comme la France n’en avait plus connus sans doute depuis la guerre de Cent Ans. Ces extraordinaires violences, qui correspondent au début des Guerres de Religion jusqu’à la fin de la guerre de Trente Ans et de la Fronde, vont voir nombre de villages disparaître (une trentaine au nord de Reims), leur population trouvant un refuge périlleux dans la misère et l’errance propres aux faubourgs des villes fortes, souvent hors de la relative sécurité que procurait autrefois l’enceinte des anciens remparts maintenant délabrés.
Contexte rémois.
Le chanoine Nicolas Roland avait rencontré à Rouen le Père Barré et décidé de prendre en charge l’orphelinat constitué par Dame Varlet et de l’installer à Reims, rue du Barbâtre, en une voie de communication reliant le centre de la Cité au faubourg Saint-Remi. Là des religieuses parviennent à accueillir des vocations enseignantes féminines et dès 1674 Nicolas Roland peut ouvrir quatre écoles de filles qui reçoivent presque un millier d’enfants sous la conduite de seize institutrices. Il décède hélas quatre années plus tard affaibli par la maladie et l’ascèse trop rigoureuse qu’il suivait avec application. Jean-Baptiste de La Salle, poursuit son œuvre : Nicolas Roland avait été son directeur de conscience. Bientôt la Communauté des Sœurs du Saint Enfant Jésus reçoit les Lettres patentes royales (1679) et la fondation se répand dans le diocèse où des sœurs sont envoyées deux par deux dans les campagnes et bourgades champenoises, où elles enseignent, mais aussi encadrent les fillettes ou jeunes femmes du pays.
De son côté Jean-Baptiste de La Salle réfléchit à la création d’une institution analogue pour les garçons et saute le pas, c’est-à-dire se lance corps et âme dans la vocation qu’il développe, luttant contre l’hostilité de ses proches qui trouvent son attitude indigne de la noblesse, d’autant que pour réaliser son œuvre il va jusqu’à abandonner sa charge de chanoine, source de revenus et de prestige, et à accueillir chez lui de grossiers maîtres d’école non rompus aux subtilités du savoir-vivre bourgeois. Il n’est pas délaissé de tous heureusement puisque sa parente rouennaise, Madame Maillefer, lui avait envoyé un maître d’école, Adrien Nyel, qu’il installe dans la paroisse Saint-Maurice et qui influence profondément son protecteur. Des vocations se font jour bientôt et quatre jeunes hommes rejoignent l’œuvre, Jean-Baptiste les nomme dans la foulée à Saint-Maurice et Saint-Jacques, deux paroisses au cœur de la ville. De même il a lui aussi obtenu le soutien du Père Barré et dans l’élan propre aux fondateurs d’ordre ou autres personnalités animées d’une volonté farouche d’atteindre un but précis, il fonde en 1683 (dans la pratique entre 1678 et 1688) une communauté de l’« Institut des Frères des Écoles chrétiennes » qui ne cessera de croître. Son école il la veut gratuite, de manière à n’exclure personne, gratuite également pour les enfants riches afin que les pauvres, par comparaison, ne soient pas humiliés par une discrimination liée à la fortune. On devine ici la modernité et l’audace de l’approche.
Il est curieux de noter en effet comment un jeune issu de la noblesse d’une ville drapante, en une cité archiépiscopale célèbre par le prestige qu’elle met en scène lors des sacres royaux, parvient à échapper aux contraintes d’un milieu social élevé pour s’engager dans une contestation radicale qui le place en un rang socialement inférieur et donc décrié. Pensons bien au fait qu’il a rencontré et connu dans son enfance au coeur du centre économique de la ville, au Forum, « Place du Marché aux bleds et aux draps », où se négocient denrées et toiles et où se changent les monnaies, tous ceux qui comptent socialement : les détenteurs du pouvoir politique, les représentants de la noblesse et du haut clergé, les propriétaires des maisons de ville qui troquent leurs anciennes demeures charpentées en pans de bois pour de riants et décorés hôtels particuliers dans le style Renaissance ou à la Française, tel celui que les parents de Jean-Baptiste ont acheté et où ils habitent, l’Hôtel de la Cloche, rue de l’Arbalète et de la Chanverie, dans l’angle nord-ouest dudit Forum, à quelques pas de la cathédrale et du quartier de résidence des chanoines. Voilà bien la marque d’un engagement chrétien total, d’un bouleversement radical dans la droite ligne du message évangélique, et totalement ancré dans les vicissitudes du moment. L’extrait suivant, dans la langue de l’époque, tiré du « Discours sur l’institution des maîtres et maîtresses d’écoles chrétiennes et gratuites », Rouen, 1733 (reproduit dans le Cahier lassalien N° 7) donne le ton et indique la route à suivre :
« … ces enfans qui ne reçoivent la vie du corps, ce semble, que pour perdre celle de l’ame, qui ne trouvent dans la maison paternelle que des exemples pernicieux, et qui ne reçoivent d’instruction que pour le mal ; ces enfans vagabonds qui courent les rues… … où doivent-ils et où peuvent-ils chercher l’instruction Chrétienne ? … … Combien y a-t-il d’Ecclésiastiques dans le Roïaume qui fassent et qui veüillent faire ce que font les Frères à l’égard de cette pauvre jeunesse, qui veüillent comme eux se faire une profession et leur unique profession de tenir des Ecoles Gratuites et Chrétiennes ? ».
Contexte champenois.
Notons d’abord que la Champagne n’est pas en reste quant au développement de l’éducation dans les campagnes, elle a même, depuis la fin du Moyen-Age une notable avance sur d’autres provinces du royaume. C’est donc davantage sur la manière et les buts que Jean-Baptiste de La Salle va construire une méthode originale d’enseignement. Le motif en est d’abord que pour enseigner il faut des maîtres compétents, et surtout disponibles. Cette disponibilité Jean-Baptiste va la vouloir totale, d’où l’intérêt qu’il trouve dans un engagement des frères de la communauté en dehors du clergé et si possible en marge de la hiérarchie ecclésiastique. Par un heureux concours de circonstances il trouve un appui des plus efficients en la personne du Duc de Mazarin, Armand Charles de La Porte, époux d’Hortense Mancini, nièce du célèbre cardinal Mazarin. Celui-ci est titulaire du duché de Rethel-Mazarin en 1663, étant lui-même de par son père et sa mère à la tête d’une immense fortune, tant terrienne que de fonction. En 1681, séparé de sa femme, il garantit pour Nyel et La Salle le premier paiement des maîtres formés à Reims et envoyés à Rethel et Château-Porcien. Dès lors s’ouvre une collaboration constante entre ce protecteur et l’œuvre lasallienne en gestation, puis très vite en développement en Champagne. Ainsi vont naître les premiers instituts de formation des maîtres, intuition majeure, profonde originalité dans le système éducatif balbutiant de la fin du XVIIe siècle. Ce sont d’abord des femmes qui sont formées pour enseigner aux filles des campagnes, puis le duc étend aux garçons ce privilège alors inouï d’être enseignés plutôt que d’être aux champs, nous sommes en 1683 et la Champagne sous contrôle du duc se voit alors équipée de salles de classe sous la férule de maîtres formés à Reims puis ailleurs, classes gratuites et en principe obligatoires pour les enfants de moins de quatorze ans. Un contrat est signé en 1685 entre La Salle et le duc de Mazarin, mais il se heurte inévitablement à l’opposition de l’archevêque de Reims. Qu’à cela ne tienne, le duc va installer en dehors des zones où s’applique la juridiction de l’archevêque cette nouvelle institution. À commencer par le diocèse de Laon et de petites villes entre Rethel et Laon. À partir de 1686 et jusqu’en 1691 (en 1688 Jean-Baptiste quitte Reims pour Paris, il n’accepte pas l’offre de direction de l’ensemble des écoles du diocèse que lui fait l’archevêque) le centre de formation de Reims compte jusqu’à trente stagiaires. Ainsi débute l’originale création à Reims et en Champagne de ces centres de formation des maîtres dont les méthodes vont marquer les esprits et toujours susciter des vocations, prouvant ainsi la justesse de vue de leur fondateur.
Synthèse écrite par J.-Pierre Boureux en 2014 dans le contexte de la création de l’espace scénographique dédié à St-J.-B. de La Salle.
Bonjour, Je sollicite votre autorisation pour reproduire dans un roman que je suis sur le point de publier votre image de la vierge à la Chapelle Saint-Lié (Ville-Dommange). L’image serait insérée dans le texte d’un épisode où les personnages visitent la chapelle. C’est un roman en anglais (titre « Kidnap or Murder? A Story of Family Rivalries, Treasures and Death in the Vineyards ». Je ne pense pas dépasser une cinquantaine d’exemplaires commercialisés. Au cas où ce chiffre serait dépassé je ne manquerais pas de vous en informer. Merci d’avance de votre réponse, Cordialement Richard SIBLEY (06.72.14.30.31, 18 RUE ROLAND GARROS 95160 MONTMORENCY)
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Monsieur, je vous contacte prochainement sur votre courriel. Cdt, JPB
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