En cette année 2012 où l’on commémore le troisième centenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau à Genève (28 juin 1712) il me paraît important de signaler à nouveau son court séjour à Braine du 4 au 8 mai 1771.
Oublié l’événement fut pourtant décrit en 1930 dans l’ouvrage très documenté et joliment écrit de Maximilien Buffenoir, Sur les pas de la comtesse d’Egmont, publié par la Société archéologique de Soissons en 1930. Jean-Jacques Rousseau est alors dans sa soixantième année. Après un refuge en Suisse (1762-1765), une fuite en Angleterre (1765-1767) suivi d’un retour en France, il se trouve en 1770 à Paris où il réside en deux endroits et herborise ici ou là, parfois en compagnie de Bernard de Jussieu ou Malesherbes. Il y séjourne jusqu’en 1778 avant son ultime installation dans un pavillon proche du château d’Ermenonville où il décède le 2 juillet de la même année.
Qu’en est-il de Braine et de Rousseau en 1771 ? Le mieux, en tant que réponse, est de lire ce que l’auteur des « Confessions » raconte lui-même à la dernière page de cette œuvre renommée :
« J’ai dit la vérité. Si quelqu’un sait des choses contraires à ce que je viens d’exposer, fussent-elles mille fois prouvées, il sait des mensonges et des impostures, et s’il refuse de les approfondir et de les éclaircir avec moi tandis que je suis en vie il n’aime ni la justice ni la vérité. Pour moi je le déclare hautement et sans crainte : quiconque, même sans avoir lu mes écrits, examinera par ses propres yeux mon naturel, mon caractère, mes mœurs, mes penchants, mes plaisirs, mes habitudes et pourra me croire un malhonnête homme, est lui-même un homme à étouffer. J’achevai ainsi ma lecture [du texte des Confessions] et tout le monde se tut. Made d’Egmont fut la seule qui me parut émue ; elle tressaillit visiblement ; mais elle se remit bien vite, et garda le silence ainsi que toute la compagnie. Tel fut le fait que je tirai de cette lecture et de ma déclaration. »
Rousseau nous apprend en outre qu’il a lu ce texte devant le comte Casimir et la comtesse Sophie d’Egmont, le prince de Pignatelli ambassadeur du roi d’Espagne en France, la marquise de Mesme et le marquis de Juigné, lieutenant général des armées du roi. Entre novembre 1770 et mai 1771 il semble, selon L.–J. Courtois qu’il y ait eu quatre lectures des Confessions par leur auteur chez des hôtes illustres, dont cet épisode brainois qui nous intéresse plus spécialement. Nous avons tiré ce texte écrit par un homme tourmenté, qui se sent persécuté et qui est certainement psychologiquement malade, du tome 1 de ses œuvres complètes édité en 1969 dans la collection ‘Pléiade‘ par Bernard Gagnebin et Marcel Raymond.
Pourquoi Braine ? Sans aucun doute en raison de la culture et des relations parisiennes de ses hôtes d’Egmont-Pignatelli qui aiment à séjourner l’été dans leur château de Braine, installé dans un vaste parc baigné par les eaux de la Vesle, fort bien dessiné et entretenu, en vis-à-vis de la splendide abbatiale Saint-Yved, ensemble que surplombent de loin les ruines romantiques du château médiéval de ‘La Folie’. On sait que la comtesse avait eu l’occasion de rencontrer Rousseau chez son père puis dans les salons parisiens et également lors du séjour du roi de Suède Gustave III, prince avec lequel elle a entretenu une courte correspondance conservée à l’Université d’Upsala. De plus, si l’on en croit Madame de Necker dans ses ‘Mélanges’, Rousseau aurait été amoureux de la comtesse d’Egmont.
Qu’on imagine dès lors les salons de cette villégiature aux boiseries sculptées, le parc aux allées impeccablement binées et ratissées et le tableau presque idyllique du siècle des lumières se forme sous nos paupières mi-closes où bientôt apparaissent le joli minois et la prestance de la jeune Sophie Septimanie. Exceptée l’architecture du château, sans grand intérêt semble-t-il, force est de constater que ce Braine d’alors et même d’aujourd’hui constitue un bourg où l’art et la culture ornent virtuellement ou réellement le quotidien, remèdes possibles bien qu’insuffisants face aux imprévisibles vicissitudes des temps.
Trois reproductions extraites du livre de Maximilien Buffenoir vont vous aider à contenir et brider votre imagination, à la rendre plus conforme à ce qui fut. Dans ce décor faites donc entrer Jean-Jacques et oubliez peut-être qu’il n’a plus que sept années de vie devant lui, et notre jeune comtesse deux seulement (+ 14 octobre 1773). Sic transit gloria mundi. Mais lisez donc et Rousseau et Buffenoir, notamment si vos pas vous mènent entre Aisne et Vesle, entre plateaux abrupts et sinueuses vallées aux confins du Soissonnais et du Laonnois, exceptionnelles terres d’Histoire.



Sophie-Jeanne-Armande-Elisabeth-Septimanie de Wignerod du Plessis de Richelieu, comtesse d'Egmont
Pour connaître les séjours et déplacements de Jean-Jacques Rousseau et leur chronologie rendez-vous sur le site établi par le professeur de français à l’université de Waseda à Tokyo, M. Takuya Kobayashi, site qui comporte de nombreuses références et liens :
http://www.rousseau-chronologie.com/bibliographie.html
avec qui je me suis entretenu de Braine ainsi qu’ au sujet d’un ouvrage de botanique conservé par l’association « la Sirène » de Blainville-Crevon pour laquelle j’ai rédigé un article en 2010 : Jean-Pierre Boureux, La botanique mise à la portée de tout le monde du Sieur et de la Dame Regnault….« La Sirène » bull. n°37, p.4-9, 2010, 76116 Blainville-Crevon. Dans cet article j’utilise partiellement la recherche de cet auteur :
Takuya Kobayashi, « L’Encyclopédie et Rousseau : dimension botanique », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, numéro 39 Varia, mis en ligne le 04 décembre 2008.
http://rde.revues.org/index318.html.
faites entrer Jean-Jacques Rousseau dans le salon, qu’il commence la lecture des ‘Confessions’

pastel des collections du Musée La Tour de Saint-Quentin, reproduit dans l'ouvrage de Lagarde et Michard, XVIIIe siècle, année 1964
Puis faites sortir le comte et ses hôtes en son jardin, lisant Rousseau : LES JARDINS DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU par Pauline Prévost : “Je m’amusai quand j’y fus à orner la terrasse qu’ombrageaient déjà deux rangs de jeunes tilleuls, j’y en fis ajouter deux pour faire un cabinet de verdure ; j’y fis poser une table et des bancs de pierre ; je l’entourai de lilas, de seringa, de chèvrefeuille, j’y fis faire une belle platebande de fleurs parallèle aux deux rang d’arbres ; et cette terrasse… me servait de salle de compagnie“
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, livre dixième. Cité dans : « Société internationale des Amis du Musée – J.-J. Rousseau » sur le Net ici : http://rousseau-2012.net
pour enfin vous plonger dans l’ambiance des jardins de la noblesse internationale du XVIIIe siècle avec Gainsborough :

huile sur toile (227,3 x 152,4 cm) le colonel John Bullock par Thomas Gainsborough (1727-1788). Vente Sotheby's, juillet 2002, cat. Sotheby's Preview, p.155
Un article de vulgarisation par le philosophe M. Roger-Pol Droit sur J.-J. Rousseau :
http://rpdroit.com/index.php?option=com_content&view=article&id=264:rousseau-eclaireur-de-notre-temps&catid=56:le-point&Itemid=96
Une page du photographe Arnaud Fiocret, qui a l’oeil juste, sait observer et rendre compte, sur Ermenonville, son parc René-Louis de Girardin et le souvenir de J.-J. Rousseau :
http://www.observation-et-imagerie.fr/portfolio/dossiers/parc_jean-jacques-rousseau_ermenonville.html