Nous voici de nouveau réunis amicalement dans une nouvelle ronde et j’ai le plaisir d’accueillir ce mois : Dominique A, http://dom-a.blogspot.fr/
Notre ronde tourne autour du mot « vacance(s) » et nous publions dans l’ordre des blogs suivants, dont l’adresse indique également l’ordre de publication :
Jean-Pierre,http://voirdit.blog.lemonde.fr/
Céline, http://mesesquisses.over-blog.com/
Guy, http://wanagramme.blog.lemonde.fr/
Hélène, http://simultanees.blogspot.fr/
Elise, http://mmesi.blogspot.fr/
Franck,http://quotiriens.blog.lemonde.fr/
Jacques,http://2yeux.blog.lemonde.fr/ Dominique A, http://dom-a.blogspot.fr/
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On est répartis sur la plage, immense. Quelques rochers polis par les marées affleurent, on dirait des phoques endormis. Hors d’atteinte, l’horizon noie le ciel et la terre dans une sorte de vapeur, ou de brume ; peu de choses, donc, et pourtant cette rumeur infime des vagues lointaines qui couvre tout, comme un bruit rose en dégradé bleu-beige. Seuls les cris des enfants qui rient comme des huîtres déchirent ce voile apocalyptique en éclaboussant au passage quelques mouettes sans voix. À la queue-leu-leu, ils font la navette avec leurs haveneaux symboliques qu’ils utilisent comme s’ils sarclaient des patates. Non sans résultat, d’ailleurs, mais pour l’instant, des légumes on n’aperçoit guère que la verdure. Les grands, cependant — disant ce mot on pense aux moins petits par la taille — sondent la grève avec le sérieux d’un démineur. Il faut d’abord repérer le mini volcan parfois caché sous une algue, distinguer l’orientation de son cratère puis, à dix centimètres dans l’axe, creuser doucement avec un petit bout de bois pour ne pas réveiller le bivalve. Excellent avec la verdure, un peu d’ail et du persil, paraît-il.
Paraît-il. Sinon, il est possible aussi de marcher sur le sable les pieds nus, avec pour seul objectif de dessiner une trace plus droite que celle du passant précédent, cet étourdi qui chaussait au moins du 44 et devait atteindre le quintal, ou celle de l’autre frimeur aux enjambées inhumaines, à moins qu’il ne courût. Tiens, ici un chien accompagnait une jeune fille et un garçonnet (ou un couple de nains). L’un des trois devait être très obéissant, car leurs traces se croisent et ondulent sans jamais s’éloigner, et l’usage d’une laisse en ce lieu semble incongru. En tout cas c’est beau comme un fragment d’ADN, ce serait péché de le briser alors on prend son élan et on saute par-dessus.
Un peu plus loin, difficile d’imaginer précisément à quelle distance tant l’appréciation en est rendue malaisée, fluctuante, par le jeu conjugué des heures qui vont et des nuées qui viennent, un bras de mer enjambe la plage en faisant un coude. Il y a un homme, un homme au milieu de ce bras, on dirait qu’il marche dessus. En zoomant fortement avec la pupille, on se rend compte que l’homme tient en mains un bâton avec lequel il fait des huit. Un examen encore plus attentif met en évidence le fait qu’à défaut de marcher sur l’eau, il est debout sur une planche, excluant par là même, mince alors, l’hypothèse du miracle.
Ce n’est donc, finalement, qu’un gugusse hissé sur un podoscaphe dépourvu de son banc, et dont la conception exiguë et inconfortable, fruit de l’imagination de quelque ingénieur misanthrope, élimine par ailleurs la possibilité d’emmener avec soi une amoureuse, par exemple la fille dans laquelle on vient de se cogner en ramassant des palourdes (alors qu’elle-même cherchait des couteaux en triturant idem, mais avec une tige en acier) et dont on est tombé raide love sur-le-champ à cause de sa ressemblance comme deux gouttes avec un cep de Pinot noir des hautes-côtes-de-nuits (et aussi, sans doute, à la faveur d’une prédisposition folle pour l’émoi aléatoire). Quoi qu’il en soit, le pagayeur s’éloigne sans un regard, debout sur son engin célibataire. Quelle tristesse. Merde, merde et merde, ce con de stylite va nous filer le bourdon avec sa planche en carbone kevlar stratifié.
Cette vision est tellement révoltante que le narrateur fait ici une crise d’apoplexie. Les yeux écarquillés d’horreur, il tombe la tête la première dans une flaque d’eau peuplée de crevettes, d’étrilles, de bigorneaux et autres berniques. Heureusement le séjour dans la mare est bref, mais dès le lendemain une étrange déformation de la vue se laisse, pour ainsi dire, voir. Le toubib consulté livre un verdict difficilement contestable : de jeunes et minuscules patelles, encore transparentes, ont réussi à peupler la cornée, et il n’est d’autre issue que de les laisser grandir ; dès qu’elles se seront calcifiées elles tomberont toutes seules. Le phénomène est courant, croit-on, chez les émotifs exposés sans surveillance au grand air des marées.
En attendant, donc, puisqu’il faut attendre, reclus dans la maison, les conséquences ne sont pas désagréables (surtout quand on sait que cela, hélas, ne durera pas). En effet, la réalité démultipliée par ce filtre inattendu fait très sérieusement penser à un vitrail contemporain, à une enluminure psychédélique ou à une robe des années soixante-dix. Il ne manque plus que l’odeur de l’encens ou celle du patchouli pour remonter le temps jusqu’aux années oubliées où l’on ne faisait, de septembre à juin, rien d’autre qu’élaborer une créature mentale qui un jour prendrait chair et avec laquelle, ultimo, on partirait pour toujours en vacances.
Le planchiste évoqué m’a fait penser à ce tableau – si beau et peu connu – de Courbet : « La femme au podoscaphe ».
Bernique alors pour l’œil… mais visions finales dignes de Timothy Leary (l’auteur s’est mis en scène).
La science-fiction n’est patelle que l’on croit.
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On se mare bien à la lecture votre texte !
Et merci pour les vues démultipliées, support à un imaginaire dont vous ne manquez pas. Et bon rétablissement.
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Sinon, autre remède, nettoyer la cornée avec abondance de larmes de rire.
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Merci, Jean-Pierre, de m’avoir permis une telle fantaisie dans vos murs
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