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Ronde de juin 2016 thème : le jardin

Nous avons le plaisir d’accueillir la ronde de juin 2016 dont voici le sens de rotation :

un promeneur
 
chez Dominique Autrou
 
chez Jean-Pierre Boureux
 
chez Guy Deflaux
 
chez quotiriens
 
chez hélène verdier
 
chez Elise L
 
chez Noël Bernard

et nous présentons la réflexion intime de Dominique Autrou  : dom-a.blogspot.fr

Ma chère petite maman

Oui, tu as raison, cette expression est naïve et hors-d’âge, mais dans l’immédiat je n’en trouve pas d’autre, et puis après tout n’est-ce pas une locution évidente quand on s’adresse ainsi à une mère de l’autre côté du temps, au-delà des circonstances ; on retrouve naturellement la parole originelle, celle qui vient spontanément, comme dans l’enfance. Enfin bref, pas de chamaillerie si tôt dans la conversation. Ma chère petite maman, donc. Comment vont les idées, dans ton séjour céleste ? Jouis-tu de cette félicité sans pareille promise par toutes les mythologies ? Les nouvelles que tu me donnes, quotidiennement comme il se doit, sont peu disertes, s’attardant un peu trop à mon goût sur d’obscurs points de détails que je m’efforce de chasser d’un revers de main comme s’il s’agissait de moucherons sans importance, ou de cette traînée de poussière chue du lustre ébranlé par un courant d’air. À quoi ressemble l’éden, Jérôme Bosch et Lucas Cranach ont-ils vu juste, s’approchent-ils de la réalité ; n’exagèrent-ils pas, emportés par leurs propres tourments, ou bien au contraire leur imagination fut-elle impuissante à représenter ce qui précisément est inimitable ? Lamartine, qui vit choir un ange (dans son jardin de Milly ?) « … ces gigantesques tiges / Des arbres de l’éden sont les sacrés vestiges, / Du saint jardin ces lieux ont conservé le nom », arborise-t-il avec suffisamment de précision ? Au passage, il avait, comment dire, d’autres mots que les miens « … Mère, sous ton regard de tendresse interdit, / Non, tu ne savais pas ! je ne t’ai jamais dit, /Je ne me suis jamais dit peut-être à moi-même / (C’est quand on a perdu qu’on sait comment on aime), / Non, je ne savais pas, je ne dirai jamais / De quelle âme de fils, ô mère, je t’aimais ! » (Non, ce n’est pas du par cœur, je t’expliquerai le moment venu. Et non, je ne fais pas diversion.)

Ma chère petite maman, le jardin qui nous entoure est, ô surprise, souverainement microscopique. Des nuées d’animalcules semblables, pour peu qu’on les observe de près, accroupi dans le gazon, à quelque instrument de musique échappé de l’inventaire d’Harry Partch, s’y combattent sans cesse, chacune ayant tour à tour raison de l’autre avant qu’une main décidée ne mette fin au carnaval. Certaines faisant montre d’une agressivité insupportable à notre égard, nous voici devenus, dans le même temps mais à des échelles différentes, bourreaux et rédempteurs. Il faut dire que ces espèces n’étant pas raisonnables, notre puissance n’est pas si remarquable ; on guerroie la plupart du temps dans l’indifférence. C’est amusant d’ailleurs quand on y pense, ce jardin dessiné ou amélioré plus ou moins selon nos propres critères — et quand on ne toucherait à rien, encore serait-on complice — devenu champ de bataille dès lors qu’une espèce allogène s’y offre. Et puis, quand tout est calmé on peut enfin parler d’amour en coupant les fleurs fanées. Avec cependant un risque accru de larmes et de douleur. Je lisais hier soir Verlaine « … Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, / Je me suis promené dans le petit jardin / Qu’éclairait doucement le soleil du matin / Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle », et, bonheur subitement retrouvé au sein du poème, je restai interdit pas sa quantité de non-dits. Il ne nous dit pas tout, pensai-je. En même temps, pourquoi se poser la question, pourquoi suspecter du non-dit et pourquoi vouloir ajouter des mots. Le jardin, quand on y travaille, est le lieu où se manifeste leur absence et, même quand on n’y fait rien, il est l’endroit rêvé du silence au monde. À moins que, a contrario, il ne soit plutôt l’espace métaphorique de leur prolifération et conséquemment, de leur mise en scène : une épreuve, un désert ? En tout cas, ma chère petite maman, avant de connaître le tien, peuplé, dit-on, de purs esprits, je m’efforce de finir ici le tour du propriétaire. J’ignore encore s’il sera de bon goût ou même possible, le jour venu, de t’en faire une esquisse, un compendium ou un épitomé. Va-t’en trouver le mot juste devant l’Éternel.

Tiens, la nuit dernière le seringat a pleuré sur le fenouil.

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