Vailly, années d’avant la Grande Guerre

« A la Parisienne« , ainsi est nommé un commerce d’habillement situé à l’extrémité nord de la rue Alexandre Legry alors appelée ‘rue d’Aisne‘, côté est de cette rue. Notre document de référence est une photographie éditée en carte postale, support très en vogue en ces années de la période qualifiée de « Belle Epoque » par la suite.

A la ParisienneLe bandeau de corniche porte : « A la Parisienne » et entre les fenêtres de l’étage se lisent : « chemises, corsets, cravates, foulards, articles de voyage, maroquinerie, vêtements, confection et sur mesure« . L’appellation est reproduite sur le front de vitrine, à sa gauche est illisible un article en vente, à sa droite on lit : « bonneterie« . Entre les vitres de vitrine on peut encore lire : « lingerie, chaussures, confection pour dames, soieries, doublures, brosserie, tapis« . D’autres titres ne sont pas lisibles.                                                                         Sur son ‘pas de porte’ la propriétaire est en discussion avec deux dames, un homme observe de loin le photographe en action. D’autres devantures annoncent une rue ‘commerçante’ active dans le cadre d’un chef-lieu de canton qui compte environ 2000 habitants. Le trottoir est étroit, la rue pavée. Elle le restera jusqu’aux années 50 bien que son tracé ait été rectifié après les destructions de la guerre. On aperçoit ci-dessous tout au bout de la rue une partie de ce magasin, dernière boutique en saillie avant la Place du Général Félix devant l’église. Suit une vue de cette rue détruite lors de la guerre.

Coincée entre deux montées latérales de toiture en ‘saut de moineaux’ comme il est fréquent dans notre région, la retombée du toit ‘à la Mansard’ indique une réfection sans doute récente. Plutôt d’appartenance urbaine, elle est rare dans notre petite ville à cette date où on la trouve également place de l’Hôtel de Ville essentiellement.

ruines dans Vailly vers 1920 (surgissement des années anciennes : je conserve encore en mémoire le claquement des fers de sabots des rares chevaux sur ces pavés ainsi que leurs nasaux fumants dans les matins glacés, leurs pieds entourés de chiffons pour atténuer les glissades sur le verglas. Images enregistrées avant leur disparition définitive vers 1955-60, le dernier véhicule hippomobile étant celui de l’éboueur, après ceux du livreur de charbon et du laitier ; images des derniers soubresauts de la civilisation du cheval, le vrai, avant celle de la traction automobile généralisée dans toutes les classes sociales au milieu du XXe siècle).

On peut imaginer que les clientes trouvaient là l’essentiel de leurs besoins en habillement et qu’il n’était pas nécessaire qu’elles entreprennent un déplacement à Paris ou à Reims. Elles pouvaient étoffer leur curiosité en consultant les catalogues illustrés des grands magasins parisiens par exemple dont voici des extraits d’exemplaires contemporains.

échantillons de tissus d'un catalogue en 1903

échantillons de tissus dans le catalogue du magasin ‘Le Printemps’, Paris, 1903

Sur cette autre photographie (carte postée en 1908)la rue se présente depuis le sens opposé à la précédente, regards tournés vers le sud de la rue d’Aisne. Le pignon du magasin porte des inscriptions de ‘réclame’ identiques à celles de la façade. On lit en complément : »[cha]pellerie, [parap]luies, ombrelles, couronnes mortuaires« 

Sur son échelle double, un peintre en bâtiments nettoie ou peint. Il pourrait être ‘peintre en lettres’, de ceux qui connaissent le tracé et l’exécution des écritures de publicité directement sur le support à l’aide de pinceaux aux soies démesurément longues. Il m’évoque une toile de Frédéric Bazille sur laquelle s’activent des compagnons peintres.

Une cliente potentielle, celle qui a rédigée la carte ci-dessus, demande qu’on lui apporte un vêtement acheté récemment :

« …dis à Ernestine qu’elle m’apporte le petit vêtement blanc d’Yvonne que j’ai acheté dernièrement, je lui ai montré avant de partir, dans un carton dans le petit cabinet. A demain Marguerite.« 

A l’époque des Parisiens originaires du bourg ou inspirés par sa tranquillité et la possibilité de venir depuis Paris par le train (Gare du Nord jusque Soissons, puis autre train « Chemin de fer de la Banlieue de Reims ») passaient des moments de détente à la campagne, par exemple au cours de promenades à pieds, à cheval ou à bicyclette ou encore lors d’activités de pêche ou de canotage. A la veillée tout les disposait à la lecture du célèbre ‘Almanach Vermot’ ci-dessous dans un exemplaire de 1902 :

almanach Vermot de 1902

« A la Parisienne« , une enseigne, une devanture, un magasin, un commerce qui ont fait rêver, à n’en pas douter, nombre de Vaillysiennes et Vaillysiens à la naissance du XXe siècle.

8 réflexions au sujet de « Vailly, années d’avant la Grande Guerre »

    1. voirdit Auteur de l’article

      @dom-a.blog,
      Les mots vont et viennent, ont leur mode. Paletot est aujourd’hui un peu oublié, il vient de l’anglais ‘paletok’ et nous arrive vers la fin du moyen-âge ; manteau semble de même signification, désigne un vêtement de dessus peut-être plus épais que le paletot et dérive de longue date du latin. J’entends encore parfois ‘tombé sur le paletot’ ou bien le mot employé essentiellement pour désigner un vêtement féminin. Si je résume : mémoire rafraichie mais chaleureusement évoquée !

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    1. voirdit Auteur de l’article

      @doha75,
      L’historien use de toute source pour faire son miel et l’histoire du fil a pour lui le même intérêt que celle de l’insecte à soie ou celle du mouton à laine. Que cela relève parfois presque de l’entomologie je vous l’accorde et ce n’est pas pour me déplaire comme le laissent entendre d’autres pages…Vais-je aborder la passementerie ?

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    1. voirdit Auteur de l’article

      Ces mots perdus ont de l’épaisseur, ils se goûtent et s’apprécient à l’aune de ces échantillons de tissus. Les fourrures, variées, n’ont pas encore été l’objet -justifié dans certains cas, des attaques des défenseurs des animaux. Elles sont l’illustration confortable d’un monde qui avait trouvé ses limites spatiales sur la planète mais qui allait sombrer dans la démesure des conflits du XXe siècle.

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  1. Philippe de Bois-Guillaume

    « Passé et passementeries » :
    Quel charme ont ces noms -des substantifs- ayant un contenu -une substance- pour nous qui vivons dans le virtuel ! Je découvre aussi ces sauts de moineaux propres aux maisons du département de l’Aisne. On n’en connaît, parait-il, pas l’origine. Certains disent que c’était pour faciliter le ramonage. Mais « saut de moineau », plus évocateur, est plus poétique.
    Bravo et merci à notre historien-poète !

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    1. voirdit Auteur de l’article

      à Philippe de Bois-Guillaume,
      L’échantillon conserve toute sa substance, tant mieux pour les touche-à-tout qui ont la chance de le manipuler tel. Ces sauts de moineaux n’ont en effet pas reçu d’explication. Je n’en vois pas la logique utilitaire. Je me demande s’il ne s’agirait pas d’un décor adopté tardivement (XVIIe ou XVIIIe siècle ?) une fois l’orientation principale des maisons ayant changé d’axe : souvent en ville les maisons eurent ‘pignon sur rue’ puis à un moment donné cette orientation perpendiculaire à la rue, au décor de pignon très flamand, s’est mutée en orientation parallèle à la rue perdant ainsi tout décor de pignon. On aurait alors pu reprendre, modestement et autrement, et orner par ce nouveau décor en souvenir du précédent. Mais je n’ai lu cela nulle part, il s’agit d’une ordinaire supposition. Toujours est-il que ces sautillements sont bien gais et signent avec légèreté l’espace entre Valois et Soissonnais, pour notre plaisir. Amitiés picardes, JP

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