Bourg-et-Comin ou apprendre à regarder pour tenter de comprendre

Certains noms de lieux fournissent à l’historien spécialiste une place dans le temps et parfois l’idée d’une forme initiale dans le développement de l’endroit, donc un marqueur de l’espace . Ainsi en est-il des toponymes burg, bourg et leurs dérivés. Dans le cas qui nous intéresse –Bourg-et-Comin- le rattachement de Comin, ancien lieu habité fixé au-dessus de Bourg, peut être aisément isolé et enlevé pour plus de lisibilité du mot qui retient notre attention. Comin, accroché au ‘plateau de Madagascar‘ parce que vu du ciel ce plateau dessine une forme semblable à l’île, présente à la fois une surface accueillante pour l’agriculture et, sur ses bordures, des replis favorables à des abris sécurisants creusés dans la falaise calcaire : habitat troglodyte. Le plateau forme aussi un ‘éperon barré‘, c’est-à-dire une surface autrefois défendue et fermée du côté le plus large par un fossé. Dans notre région ces éperons artificiellement fortifiés datent le plus souvent de l’époque celtique. Il en est ainsi à Comin où des fragments de poterie de ‘La Tène‘ ancienne ont été trouvés. Ensuite jusque la fin de l’époque gallo-romaine on note encore des traces d’occupation. Pour ce qui est des creuttes il convient d’être prudent dans l’interprétation car on n’a aucune certitude : on a bien des restes de poteries devant les entrées ou à proximité mais rien pour l’intérieur. Ce matériel a pu glisser du sommet. Au moyen-âge ‘Coumi’ ou ‘Comi’ ou ‘Coumin’ sont mentionnés de la fin du XIIe au milieu du XIIIe siècles sans plus de détails. Voilà pour cet écart fréquemment associé au nom de Bourg dans l’Histoire.

superposition de l'ancienne carte de Cassini et d'image satellite contemporaine élaborée par David Rumsey

superposition de l’ancienne carte de Cassini et d’une image satellite contemporaine, élaborée par David Rumsey

Revenons au bourg et donc à Bourg. Les mentions écrites les plus anciennes donnent ‘Burgum et Cominum‘ 1184 ; ‘Burgum super Axonam‘, 1224 = Bourg sur Aisne ; ‘Bourc sur Aisne’, 1377 et ‘Bourcq en Launoys’ (Bourg en Laonnois), 1515 et 1628.

Ici le spécialiste de l’évolution des formes urbaines ou d’habitat s’attend à trouver, à cause du toponyme ‘Burg’ issu du germanique, une trace quelconque de fortification ancienne, c’est-à-dire le plus souvent la trace d’une défense par fossés et buttes, où la terre pelletée est omniprésente et signe l’action humaine qui se mue en forme géométrique. La promenade à pieds au travers des rues n’est pas ici signifiante, sauf… Reste encore, en complément souvent productif l’examen du cadastre, de préférence le plus ancien que l’on pourra trouver. Là encore, bien qu’intéressant en soi, l’examen du cadastre de 1832, conservé aux Archives départementales de l’Aisne, visible en ligne, n’apporte pas vraiment ce que l’on attendait.

gros plan sur un extrait du cadastre de 1832 ; AD Aisne, 3P 0117-_08, section C, 2e feuille. Réorienté au nord.

gros plan sur un extrait du cadastre de 1832 ; AD Aisne, 3P 0117_08, section C, 2e feuille. Réorienté au nord.

L’espace bâti, en gris hachuré, ne laisse pas voir nettement une forme qui pourrait faire penser à un dispositif de défense. Toutefois au nord-nord-est de l’église un espace vide intrigue un peu. A l’époque aucune construction n’apparaît dans le village au nord de la route Vailly-Beaurieux.

L’analyse globale de la topographie indique que le village est bâti sur une faible élévation d’environ 30 m. de dénivelé qui l’isole de l’Aisne et de la retombée molle des pentes du plateau dans le sens sud-nord, et d’une vingtaine de m. dans le sens ouest-est. J’ai noté que la promenade n’avait rien apporté de précis sauf… Et bien ce sauf est une invitation à pousser la porte du cimetière et à observer. Là tout devient perceptible : il suffit de voir les maisons accolées sur plus d’un demi-périmètre au pied de ce qui est une butte artificielle, sorte de motte, pour comprendre l’évolution des lieux. La butte n’a pas été faite pour recevoir un cimetière, elle a subsisté au cours des temps et un jour son propriétaire a cédé le terrain à la commune pour y installer le cimetière auparavant sans doute autour de l’église comme cela se faisait partout. Les photos suivantes illustrent mon propos et confirment ces assertions. Le seul obstacle à l’observation des faits est qu’ici la hauteur de la butte excède à peine le toit des maisons et celles-ci cachent le vestige depuis les rues.

AngleNordEstW église depuis talus de la motte ToituresTalusEstWOn peut désormais estimer qu’un jour, vers les XI-XIIe siècles, le seigneur du lieu que nous ne connaissons pas, a fait édifier cette butte de terre dans le but d’y installer sa résidence et celle de quelques associés et que dans son prolongement ouest il a de même modifié quelque peu le terrain d’origine pour y placer des manants protégés par une simple palissade et peut-être des fossés peu profonds aujourd’hui disparus. Le plan cadastral ne fournit pas une forme circulaire nette mais l’implantation des maisons ne laisse pas de doute sur une plus forte expression de cette forme à l’origine.

Toutefois ce site manque singulièrement de documentation écrite et nous ne pouvons y suppléer. Nous devrions avoir des sources sur les détenteurs anciens du territoire, d’autres plus récentes sur l’aménagement de l’espace au XIXe siècle… Or nous n’avons rien. Ceci ne met pas en cause notre analyse mais la rend fragile. Il faut bien que l’appellation de ‘burg‘ et ‘bourg‘ ait été donnée avec assez de raisons, le hasard n’a rien à faire ici. Le lieudit ‘derrière les murs’ au nord de la butte accrédite notre point de vue. Alors cogitons encore et encore. Ensemble ?

autre visualisationtopographie générale et localisation supposée d’une sorte de basse-cour à l’ouest de la défense primitive.

Quant au déplacement de population entre l’habitat de Comin et celui de Bourg, il se vérifie en maints endroits du territoire, soit par excès de population, soit, plus souvent, à cause de l’insécurité des temps. La population se réfugie sur une hauteur mieux défendue que le fond de la vallée, passage obligé. La possibilité ici de creuser soi-même des abris dans la falaise calcaire incite encore à trouver refuge sur la hauteur de Comin.

8 réflexions au sujet de « Bourg-et-Comin ou apprendre à regarder pour tenter de comprendre »

  1. un promeneur

    Axonam … voici qui pourrait inspirer un neurologue ! et votre rêverie parmi la beauté humble et minutieuse des cartes et leur géographie me rappelle Gracq. Qu’en outre on y importe Madagascar et c’est Jules Verne tout entier et ses 80 jours, le ballon, Fogg et … on est ailleurs

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    1. voirdit Auteur de l’article

      Inspirer un neurologue ! Plutôt inattendu mais plein de promesses et forcément de questionnements, merci de la formule. La cartographie en rêves, quoi de plus captivant pour le géographe ou l’homme de terrain qui assoit sa réflexion sur le monde tangible.

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    1. voirdit Auteur de l’article

      « Derrière l’histoire… », oui, très souvent dans notre vieille Europe. Je suis allé voler (avec empressement mais surtout avec le confort que procurent G.Earth ou Géoportail vers ce Bosc Besnard Commin. Des lambeaux de ‘bois’ nommés, reliquats d’un ancien massif forestier qu’accréditent des ‘essarts’ ici et là. Sans doute des traces d’anciennes marnières qui ressortent en brun foncé bordé de blanc entre ‘les Marnières’ et ‘les Noés’. A la ‘ferme des Haies’ un étrange mur semi-sphérique; vestige de quoi ? Plus loin, au sud-ouest de Notre-Dame de Gravenchon serpente un élégant méandre recoupé et ses parcelles radiales parsemées de petits étangs. On n’en finit pas de regarder pour comprendre mais il nous faut rentrer.

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  2. Jean-François VIOT

    J’ai passé mon enfance à Bourg-et-Comin. J’y suis resté très attaché.
    Votre analyse est passionnante. Bravo.

    Je m’étais toujours demandé pourquoi il y avait cette butte (le cimetière) au centre du village. Cela me paraissait incongru dans la topographie générale. Et pourtant, je ne suis pas du tout spécialiste. Quelle drôle d’idée d’y avoir placé le cimetière par la suite …

    (je suis également un ancien élève du lycée Roosevelt de Reims, et par conséquent encore plus touché d’avoir trouvé votre document sur le net).

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  3. VincentSteven

    N. de D., ce qu’on en apprend sur un lieu où l’on est né, sans jamais en avoir été. Et aux si pauvres, et pourtant si riches souvenirs !

    J’avais trois ans, et déjà retors au regard de ma mère. Voulant absolument aller à l’école, mais seulement accompagné des gamins de la rue passant là. J’y fus, anticipant même l’âge officiel de la maternelle.

    J’y fus aussi baptisé, sans d’ailleurs mon avis, par un prêtre hollandais qui, peu après, devait jeter une inutile et pesante soutane aux orties des talus de la route de la vallée… et convoler meilleure noce ailleurs. De là, je pense, en conséquence pour moi, un esprit très peu chrétien et un certain mauvais esprit qui fit longtemps le désespoir de ma défunte mère. Ensuite…

    Et puis, à peine épuisées ainsi ces courtes années-là, vint le retour dans le giron originel – et obligé – vaillysien. N’est-ce pas, presque voisin-là ?!

    De Bourg(et-Comin), finalement, que me demeure-t-il, après tant d’années ? Et bien, ceci qui me colle à l’Oulipo : https://excentric-news.info/le-calembour-est-commun-raymond-queneau/

    N.B. : la maison au premier plan n’est native, ce fut la Poste, puis au retour de la guerre dévastatrice (39-45), la charcuterie de mon père. Finalement, à y regarder de près, la photo me paraît oulipienne ‘par anticipation’, comme l’eût dit le bon et Raymond Queneau.

    Bon, Jean-Pierre, je te dois surtout un petit message, mais un service actuel d’écrivant m’est une servitude qui m’a fait négliger un devoir pourtant bien pressant.

    Je vais y pallier, promptement.

    Vincent.

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    1. jpbrx Auteur de l’article

      J’apprends que Bourg ne te fut pas si commun et que la pratique oulipienne te fait écrire avec talent et souplesse quelques lignes de cette enfance qui refait modérément surface. Ne prends pas de temps à me répondre dans l’immédiat si tu n’en as pas le loisir, car j’espère que nous aurons encore l’occasion d’échanger de vive voix.
      Bourg au fond m’était quelque peu étranger sauf quelques virées à vélo ou quelques livraisons ou tournées lorsqu’il m’arrivait d’aider à la droguerie. Tu sais bien que lorsqu’on a des parents artisans ou commerçants la main à la pâte modèle une seconde nature. Dès que l’on s’attache à l’étude d’un lieu, en historien, archéologue, écrivain, alors il se réveille et prend vie, provoque de l’attachement. C’est ce qui m’arrive avec Bourg-et-Comin depuis les falaises paissoises ou lorsque je descends dans la vallée. Certes la butte ou montagne de Comin ne sera jamais pour moi ni l’Acropole ni même l’Abondin, mais elle a pris désormais une allure de plateau avec table, en somme un Cap qui semble désigner cette chose que l’on convoite, une quête vers l’ailleurs indéfini. Le Cap plus que Madagascar donc, au moins ce soir.

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