le mai des phoques

cliché NASA, via Wikipedia
C’est une immense péninsule, un croc de sable et de marais arrimés à la mer, une curiosité géologique fatalement promise à la disparition. C’était une fin de journée, j’avais envie de bout du monde. Il fallut pourtant s’arrêter, renoncer à l’atteindre, le soleil s’apprêtait à plonger sur les terres dans ce monde à l’envers. C’étaient les derniers jours d’avant le mois de mai.
Il aurait pu habiter, il habitait sans doute, dans l’une des ces maisons — gris d’argent des essentes de bouleau qui se marient au bonheur des lumières de toutes les saisons. Les encadrements blancs des fenêtres transformaient en tableaux les reflets des paysages, ramures encore nues des arrières-hivers en surimpression sur les flamboyances d’automne, et tout ce blanc de neige maintenant délaissé. Il marchait ce soir là sur la plage, sur la fin de sa vie. Son chien noir gambadait, comme gambadent les chiens sur l’étendue des dunes, courses, bonds, volte-faces, arrêts la truffe au vent, amical et joyeux. Sous les lumières jaunes du soleil qui se couche, Il désirait parler.
Tendant la main vers le banc de sable, Il montra les minuscules points noirs agglutinés aux limites de l’invisible, entre terre et océan. Les phoques, dit-il, les phoques sont là — je me souvins alors de la baie de la Somme, près et lointaine derrière l’horizon au mois de mai dernier, les phoques nageaient, plongeaient, gracieux, disparaissant parfois pendant de longs moments pour réapparaître plus loin, et nous les regardions.
Au mois de mai, dit-il, ils sont là, en bancs agglutinés. Ils arrivent, attirés par les saumons dont ils se nourrissent. Puis viennent les requins blancs qui dévorent les phoques. À l’approche des monstres, on entend alors, a-t-il dit, aux rives de l’océan pleurer les phoques. Les saumons quant à eux ne savent pas pleurer.
Le soleil dessinait sur la dune des portraits en série, le vieil homme en Thoreau, son ombre sur le Cape Cod, et la mienne. Nos vies se sont croisées dans l’ordre des saisons un même mois de mai. Ce mois de mai 1862 il quitta le monde, ce même mois je trouvai ce même et autre monde quelques années plus tard.

Cape Cod, 26 avril 2015, Franges du Bray, 12 mai 2015. Clichés de l’auteur sauf mention contraire
des mois de mai qui donnent, prennent et nous qui, avec vous, rêvons, écoutons jusqu’à des douleurs qui ne savent pas se dire
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Un bleu d’outre mer !
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« … on entend alors… pleurer les phoques » … grand merci, Hélène, pour ce voyage.
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Il y a du Key West dans votre Cap Cod et l’ombre de Thoreau s’est épaissie de celle d’Hemingway… L’inconscient a -t-il, au milieu des embruns, isolé ‘le vieil homme’ de votre lecture? Cela et le fait que j’ai toujours confondu les deux pointes de sable.
Joyeux et transcendantal anniversaire Hélène!
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Bleu, de mer, de mai, de calme recouvrant délicatement les pleurs des profondeurs
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Les photos sont d’un bleu qui suffoque.
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