Peut-il y avoir un lien quelconque entre la dédicace d’une église à un saint particulier et le devenir du lieu, en fonction de sa position topographique ? Pour étonnante qu’elle soit la remarque paraît se vérifier très largement selon l’exemple précis des dédicaces à saint Hilaire. Le constat a été mis en avant par l’étude documentée publiée par l’historien Patrick Corbet, professeur à l’Université de Nancy II dans l’article : « le culte de saint Hilaire de Poitiers » p. 17-71 de l’ouvrage : Ex animo, Mélanges d’histoire médiévale offerts à Michel Bur, éditions Dominique Guéniot, Langres, 2009, 526 p.
Patrick Corbet a étudié les sites hilariens de Champagne et de Lorraine et a formulé des conclusions fort intéressantes. Il montre par exemple et entre autres remarques que les églises dédiées à ce saint sont très souvent en position d’isolement par rapport au bâti villageois, qu’elles sont parfois élevées sur un tertre et associées à un cimetière d’époque romaine ou de l’antiquité tardive. Elles correspondent dans certains cas à un habitat disparu. Saint Hilaire de Poitiers (vers 315-367/8) évêque de forte personnalité et rédacteur d’une grande œuvre fut très tôt l’objet de plusieurs consécrations de sanctuaires, en étroite proximité du culte de saint Martin – extrêmement développé, ou parfois celui de saint Brice. Saint Hilaire a œuvré pour éradiquer l’arianisme (secte qui refuse la Trinité) et proclamer l’orthodoxie.
Dans un but de comparaison nous nous intéressons au site du village de Révillon, puis à celui de Montbavin.
Révillon est un petit village proche des rives de l’Aisne situé au centre d’un triangle qui a pour pointes Bourg-et-Comin, Beaurieux et Fismes. Installé sur la pente nord du plateau d’entre Aisne et Vesle d’où descend le ruisseau Saint-Pierre, il est protégé des vents du nord-est par une colline (côte 162) depuis laquelle s’offre un panorama agréable sur le Chemin des Dames, Beaurieux et la vallée de l’Aisne flanquée de son canal latéral.
Son évolution historique est difficile à saisir à partir de rares textes. La plus ancienne mention écrite du village n’est que de 1528 sous sa graphie et prononciation actuelle, alors qu’au XVIIe siècle on rencontre souvent la variante « Ervillon », celle que l’on peut lire dans l’église sur la pierre tombale de Nicole de « Creille », qui décéda en 1645. Ses seigneurs, également maîtres de Merval et Serval sont des vassaux dans la dépendance des puissants seigneurs de Roucy, châtellenie proche. Des vestiges de leur manoir seigneurial subsistent à proximité de l’église.
L’église, maladroitement bâtie présente de nombreuses imperfections. Rien d’étonnant dans un contexte de modeste village bâti dans une région ayant grandement souffert des guerres et particulièrement du premier conflit mondial. Le transept nord était déjà en partie effondré au début du XXe siècle. La nef est dans un style de la fin du XIIe siècle, tout comme la cuve baptismale sobrement illustrée de quatre feuilles d’eau ; le reste de l’édifice est du XIIIe siècle, avec reprises ultérieures. Partiellement détruite l’église fut restaurée et ornée d’un vitrail représentant saint Hilaire avec ses attributs : mitre, crosse, serpent (arianisme) et trompette (proclamer l’orthodoxie) ; « Don de la ville d’Oloron-Sainte-Marie. Basses-Pyrénées » est inscrit à la base du vitrail. Un ami a effectué des recherches et a retrouvé que les habitants d’Oloron associés à ceux de Saint-Christau, Accous et Sarrans ont offert en 1924 dix mille francs à la commune de Révillon pour aider aux réparations de l’église et à son décor, dont ce vitrail.
Initialement du diocèse de Laon, doyenné de Neufchâtel, la paroisse fut rattachée ensuite au diocèse de Soissons, doyenné de Vailly-sur-Aisne. La dédicace de l’église à saint Hilaire témoigne d’une christianisation précoce, peut-être du VIIe siècle.
Le cas de Révillon paraît entrer dans le contexte d’un ancien centre de peuplement, avec attirance d’un habitat consécutif à la création d’un centre de christianisation précoce. En outre les deux anciennes paroisses limitrophes de Maizy et Merval ont pour titulaire saint Martin, nommé dix fois dans notre grande paroisse des Rives de l’Aisne, quand saint Hilaire ne l’est qu’une fois, dans la même proportion ici qu’en Champagne et Lorraine. Il est fort probable que, parmi diverses causes, l’installation d’un château sur motte à Roucy, village proche et siège d’une puissante lignée seigneuriale à partir du Xe siècle, a entraîné le déclin démographique des petits villages à proximité, par aspiration favorisée par des exemptions de taxes. La construction tardive d’une demeure noble mentionnée au XVe siècle à Révillon n’a pas suffi à réveiller l’attractivité du lieu avant les sombres temps des guerres de la fin du XVIe et au XVIIe siècles.
Le cas de Montbavin semble tout autant révélateur. Petit village situé sur un monticule digité parmi un ensemble de collines à moins d’une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Laon, à une altitude voisine de celui du Chemin des Dames plus au sud, habitat fort ancien (un trésor monétaire du Bas-Empire y fut découvert) a vu son église Saint-Hilaire détruite lors de la Première Guerre mondiale. La nouvelle, inspirée en partie de l’Art-déco, a mis l’accent sur saint Fiacre dont existe une chapelle en contrebas et une fontaine, plus que sur saint Hilaire. L’église domine les villages situés au pied de la ‘Montagne de Laon’ et a sans doute constitué une paroisse étendue qui comprenait le hameau de Montarcène, dans lequel des vestiges de l’Antiquité ont également été signalés.
Nous ne connaissons pas les raisons du déclin progressif de ce village et paroisse, mais il ne fait pas de doute que la montée en puissance des seigneuries voisines de Coucy, Pinon, et plus tard Royaucourt-et-Chailvet, ainsi que la présence de nombreuses abbayes et couvents ont attiré davantage les hommes que le plateau difficile d’accès, et qu’à partir du XIe siècle il fut laissé surtout à la culture. Une autre remarque avant de clore : le village voisin de Faucoucourt a une église dédiée à saint Martin. Ce ne peut être un effet du hasard mais sans doute une volonté de lier ces deux saints dans un contexte topographique donné dont une part de sens nous échappe encore.