Observer, questionner et déduire : cas d’une église rurale à Cuiry-Housse dans l’Aisne.

Ah, si les pierres pouvaient parler …  Et bien écoutons, sait-on jamais.

Etat des lieux tel qu’il apparaît, que l’on observe depuis l’extérieur ou de l’intérieur. D’une manière générale il est avantageux de tourner autour de l’édifice pour comprendre ses volumes et leur articulation entre eux.

face sud de l'église de Cuiry-HousseEntrons :

Le plan est celui d’une croix latine avec nef, transept et chœur. On entre par une nef ouverte sur deux bas-côtés constituée de quatre arcs en plein cintre dressés sur piles rectangulaires ; le plafond de la nef est à 7,93 m du sol et celui des bas-côtés à 4,10 et 4,18 m. Trois fenêtres non symétriques éclairent chaque bas-côté. L’ensemble de la nef et des bas-côtés s’apparente par son style aux constructions locales du milieu du XIIe siècle mais sa structure non homogène indique des reprises.

Cette nef se prolonge à l’orient par un transept avec une travée de clocher central. Le croisillon nord semble avoir été édifié en même temps que la nef. Il comprend une large niche d’autel en absidiole, visible également à l’extérieur, dans laquelle une porte a été percée à une époque indéterminée, puis rebouchée.

absidiole nord du transept. La photographie suivante montre cette forme à l’extérieur.

Il est fort probable que l’église du XIIe siècle s’ornait d’un transept et chevet ainsi équipés d’autels en absidioles comme fréquemment en Soissonnais. En revanche le clocher et le croisillon sud ont été élevés au XIIIe siècle, de même que le chœur qui se pare de deux travées voûtées, la seconde est en hémicycle à six fenêtres. Ici l’observation des détails de l’architecture et de l’ornementation montre bien la différence entre le style de la nef, massif et très sobre, qui fait référence au style roman de la dernière période, et celui du choeur avec décor présent et voûtes très différentes. Cela implique une autre étape dans la construction qui permet aux historiens de l’art de déterminer des ensembles qui n’ont pas été élevés en même temps, mais qui ont été différés ou repris ultérieurement. Ainsi le décor et les nervures de la clé de voûte du choeur autorisent son rattachement au style gothique, tel qu’on peut l’observer par exemple dans les églises de Braine ou de Lesges toutes proches et qui ont pu servir de modèle ou d’inspiration aux bâtisseurs de Cuiry.

Plan de l’église de Cuiry, repris et simplifié par Nicole et J.-Pierre Boureux à partir de celui dressé par Etienne Moreau-Nélaton au début du XX° siècle

Une fois les observations préliminaires effectuées il est tout à fait conseillé de dresser un plan d’ensemble dont l’intérêt est de se poser des questions à partir des observations et éventuellement d’isoler et caractériser les périodes de construction. Ainsi apparaît nettement à l’attention du promeneur attentif une anomalie de raccord de voûtes entre transept et choeur :

on voit manifestement ici que le raccord des voûtes a manqué de finitions, on ne connaît évidemment pas la raison de ces défauts.

et encore plus clairement le transept sud détruit.

transept sud ruiné, intérieur. Photographies suivantes = extérieur et décor

On est invité à se demander à ce moment de notre analyse quand a pu être construit ce bras de transept. Au vu du dessin des baies et du décor des chapiteaux le milieu du XIIIe siècle apparaît comme plausible. Plus difficile est la réponse à une autre question qui surgit : quand eut lieu sa destruction ? Mais…

Revenons à l’intérieur. Dans le choeur saute aux yeux un autre élément très décoré qui est une porte de chapelle venant se greffer sur ce choeur et ce transept détruit. Elle utilise le volume de ce bras de transept et a servi ensuite et jusqu’à ce jour de sacristie. De toute évidence son décor, très différent du reste du choeur indique à nouveau une autre période de construction. Le spécialiste y décèle d’emblée le style de la Renaissance, dans sa mémoire visuelle il a en effet enregistré une telle plastique et de tels décors. Lui vient à l’esprit par exemple et entre autres, les clôtures de chapelles de la cathédrale de Laon

clôture de chapelle ‘Renaissance’ à Cuiry-Housse

 

une clôture de chapelle dans la nef de la cathédrale de Laon. On lit sur le médaillon central dans l’axe de la porte la date de 1572 qui est presque lisible sur l’agrandissement dans l’angle inférieur gauche de notre photographie.

Ici le sens de l’observation et son entraînement fréquent permet ce rapprochement stylistique qui laisse à penser que notre chapelle de Saint-Martin de Cuiry devrait avoir été bâtie vers cette date, tant la ressemblance est frappante entre les deux, ce qui n’est d’ailleurs pas si fréquent à ce degré de similitude. Cette chapelle au décor ciselé et extrêmement délicat dans son exécution a donc été installée en ce dernier quart du XVIe siècle et il serait parfaitement illogique de croire qu’elle ait pu être placée dans un espace détruit. Donc la destruction du transept est postérieure à cette date.

Pour l’historien du Soissonnais et Laonnois des dates habituelles de destructions conséquentes et fréquentes sont celles de la Guerre de Cent Ans, puis celles des guerres de Religion, de la Fronde et de la Guerre de Trente ans avant celles massives de la Grande Guerre. Le raisonnement précédent suggère ici Guerres de religion et/ou Fronde et Guerre de Trente Ans c’est-à-dire la fin du XVIe et la première moitié du XVIIe siècle.

Observons encore attentivement : le décor de notre porte, s’il ne porte pas de date dans son état actuel de conservation, présente pourtant un élément des plus intéressants, des lettres sculptées dans la pierre : R et H.

Lettres = Rh et RH, le H étant partiellement inclus dans le R comme il est fréquent dans la fantaisie de représentation à cette époque

Décrypter la signification de ce message en lettres n’est plus du registre de l’observation et nous évoquerons dans une seconde partie ‘historique’ (la note de blog suivante) cette nouvelle énigme à résoudre.

Y a-t-il encore autre chose à voir, à découvrir, à questionner dans cet édifice rural à notre connaissance guère étudié ? Levons donc ou baissons à nouveau les yeux. Dans la nef s’accroche, comme perdue d’y être seule, une longue barre de bois, sculptée sur ces deux faces. Les spécialistes désignent par le terme de ‘poutre de gloire‘ un support entre nef et transept ou choeur, élevé à la vue des fidèles et destiné à recevoir le plus souvent, le Christ en croix entouré de Marie et de l’apôtre bien aimé, Jean. A Cuiry ne subsiste hélas que la poutre, préférable au rien pourtant. La facture des végétaux indique une fois de plus le style de la Renaissance :

poutre de gloire, vue depuis la nef vers le choeur : pampres

vue depuis le choeur vers la nef : peut-être des feuilles de chardons

et on peut voir de semblables poutres aujourd’hui en différent lieux et notamment en Champagne du sud (par exemple à Ambrières et Charmont-sous-Barbuise, selon les fluctuations de ma mémoire mouvante).

Mais élevons encore le regard sinon nos prières. Une croix en fer forgé attire l’oeil. Observons de plus près.

Au-dessus du socle de la croix est riveté un petit panneau ajouré. Les jours affichent :  » 1713″ comme vous le constatez sur l’assemblage ci-dessous mais que vous auriez pu découvrir par vous même :

des trous bien bavards !

Il est bien probable que cette poutre ait été surmontée au XVIIIe siècle d’un ensemble en fer forgé alors très à la mode.

Baissons les yeux. Ailleurs dans l’église un bénitier encastré, un piedouche reflètent toujours le goût de la Renaissance (serait-il toutefois un peu plus récent ?). Dans un angle une cuve baptismale semble appartenir à la fin du gothique, peut-être au XIVe siècle, sinon au XVe.

Remarquons au passage que cet angelot a un air de famille avec celui de la clôture de chapelle mais peut-être plutôt cousin que frère ?  :

L’oeil vif, la récolte est abondante. Est-ce tout ? Pas encore. Comme le ramasseur d’oeufs de Pâques que vous fûtes, cherchez encore !

C’est là. Encastrée dans une pile de la nef une plaque porte de curieux signes, des lettres du temps jadis à n’en pas douter. J’ai fait un calque, puis un dessin que voici :

qu’est-il écrit ?

Cy devant gist honorable / homme Hierosme Le Vasseur / laboureur demeurant à Cuiry qui décéda le XVIIIe mars de l’an mil Vc LVIII et honeste femme [….] […des] femme dudict Le Vasseur qui décéda le IIIIe jour de janvier / mil Vc […]. Priez Dieu pour leurs ames [.]

Texte établi par l’auteur de cette note dans une transcription qui ne tient pas compte des abréviations d’époque. La lecture est rendue particulièrement difficile par des remontées de sels minéraux en bordure de lettres qui forment un calcin.

Nous sommes dans la seconde moitié du XVIe siècle (1558 et ?). Incontestablement il y eut de la richesse à ce moment de l’histoire à Cuiry.

Ce sera tout pour ce jour. A vous de découvrir encore d’autres signes et de me le faire savoir, de me poser des questions issues de votre observation. Je vous mets sur la voie : ce ne sera pas utile d’entrer dans l’église -bien que ce serait vraiment dommage de ne pas le faire, ne serait-ce que pour vérifier le bienfondé de ce que j’ai énoncé plus haut. Alors….

La prochaine note de ce blog traitera d’un moment de l’histoire de Cuiry, à cause du sens à donner aux lettres  » R et H« . A bientôt donc ! N’oubliez pas, la capacité d’observation est une qualité première à développer et vous la mettrez bien évidemment en avant dans toute forme d’étude. Suivie de réflexion et éventuellement d’une notation par le dessin et la photographie (plus rapide mais de moindre efficacité de mémorisation) elle vous guidera loin dans ‘les études’ en général. A méditer et surtout mettre en pratique dès que l’occasion s’en présentera, en fait dès que vous le voudrez.

2 réflexions au sujet de « Observer, questionner et déduire : cas d’une église rurale à Cuiry-Housse dans l’Aisne. »

    1. jpbrx Auteur de l’article

      Merci beaucoup pour votre commentaire. Seule l’observation fine et attentive permet parfois des découvertes et un questionnement appropriés. Les réponses sont bien souvent des pistes à suivre…

      J’aime

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