Hiver, ne seriez-vous qu’un vilain ?
Le froid est revenu et la mare s’en trouve toute changée. Ce serait là belle occasion pour Ysengrin de pêcher, en toute bonne foi, sous l’œil goguenard de Renart. Observons un peu cette surface qui ne laisse pas de glace :
Perdu !
La réponse est dans le temps de la terre. Nous sommes ici en gros plan sur une coupe d’agate polie, celle que l’on trouve aisément chez les distributeurs de minéraux et fossiles. Voici la preuve ci-dessous, à échelle moins trompeuse des sens :
J’ai bousculé votre imaginaire en l’invitant à suivre une lecture erronée. Une manipulation mentale certes, mais aussi une description qui fait exister des choses initialement sans contenu signifiant. Roger Caillois a déjà formulé mieux que moi dans « Pierres« , toutes variations sur ce thème :
« …Ils sont bleu de mer profonde ou empruntent le vert pâle, glacé, glissant des yeux nyctalopes des félins et des hiboux. A l’extérieur, un dernier cercle lamellé, d’un blanc absorbant de neige ou de porcelaine, ajourne la broussaille des cristaux chargés d’éclairs. »
Roger Caillois, Pierres, NRF, Gallimard, 1966, p.50
(Voyez aussi la bannière de ce blog qui montre de la glace dans une ornière de chemin.)
Promenons-nous encore un peu sur la glace et la toile du peintre. Voici l’imagination peu commune de Jérôme Bosch en prise avec la réalité de la glace, surface glissante qu’il connaît bien. Aussi équipe-t-il ses créatures ‘virtuelles’ de patins pour glisser ou de semelles en planches et pointes pour assurer la marche :
Tout est là, dans cette célèbre "Tentation de Saint-Antoine" du musée de Lisbonne (dont ces deux extraits) pour se réjouir de la glace ou se préserver de ses méfaits.On pourrait se poser la question de savoir depuis quand les hommes ont entrepris cette démarche. Question vaine tant la volonté de jouer ou de se protéger a sans doute été mise en oeuvre depuis
des millénaires.
(photographies extraites de FMR, oct-nov 2005, N° 9, article de Laurinda Dixon : La tentation de
Saint-Antoine de Jérôme Bosch, p.1-24)
Une trace archéologique relative au plaisir de la glisse est cependant signalée dans le Cataloguede l'exposition "la France romane au temps des premiers Capétiens" Paris, Musée du Louvre,Hazan, 2005 :
Il s’agit d’un patin taillé dans un radius gauche de jeune bovin ; deux biseaux aménagés aux extrémités permettaient de le fixer à la chaussure. Dix-sept patins de ce type ont été retrouvés dans les fouilles de Saint-Denis, dans une fourchette chronologique des IX-XI e s. La chaussure est contemporaine. Du reste l’usage de ces patins est mentionné dans la « Vie de saint Thomas Becket » écrite v. 1170-80, donc un siècle plus tard environ :
« Il y en a d’autres, plus doués, qui pour jouer sur la glace attachent des os de patte d’animaux à leurs pieds et se propulsent à l’aide d’un bâton à pointe de fer, aussi vite que le vol d’un oiseau ou le javelot d’une catapulte… »
En guise de conclusion, nous vous proposons, in memoriam
in Martin de la Soudière, L’hiver, A la recherche d’une morte saison, Lyon, La Manufacture, 1987, p.48
Cet épisode met un terme à cette longue série sur l’hiver : en raison du réchauffement climatique le printemps arrive.
Il m’avait semblé avoir déposé là il ya quelques jours un commentaire mais sans douteaura-t-il fondu par mégarde à l’approche du printemps et sans doute aussi par les mystères du net!
Il ya des méandres obscurs dans cet univers qui vaut bien les secrets que renferme ceux de la glace.
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Ce printemps étant froid la glace n’a pas fondu et le secret demeure. Je n’ai rien vu venir mais votre message du jour est sans doute le fantôme du précédent et merci de l’avoir rédigé.
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Je n’avais jamais vu ces patins aux petons des petits bonshommes de Bosch… pourtant j’avais découvert déjà beaucoup de choses chez lui…
Tu as du sentir, avec raison, qu’il était encore trop tôt pour parler du printemps… les fleurs sortent mais nous restons encore au coin du feu.
Nos nouveaux édiles de Vassogne se sont rencontrés…
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….
« Pour moi, c’est le printemps qui me mine et me désunit de fond en comble : l’aigre printemps de France, acide, mordant, quinteux, giflé de grêle et d’orages. »
Julien Gracq, Carnets du grand chemin, J. Corti, 1992, p. 152
Les rencontres de nos édiles à Vassogne n’y changeront rien, hélas et heureusement.
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