Archives pour la catégorie nature

« Villedo », l’île de Sumbawa et le volcan du mont Tambora

Comment peut-il y avoir un rapport quelconque entre deux lieux si éloignés, l’un dans le département de la Marne en France, l’autre dans une île d’Indonésie au nord-ouest de l’Australie ? La notion de globe rapproche ces entités géographiques dans la mesure où notre terre est un système, une biosphère, dans lequel une modification locale d’importance affecte l’ensemble.

Villedommange

Villedommange sous la neige, fusain J.-P. Boureux 2009

Comme aurait ouvert Clémenceau : de quoi s’agit-il ? Nous sommes en 1815 et, bien loin de la « Montagne de Reims, entre en éruption le volcan Tambora, puissante explosion, la plus importante des cinq derniers siècles. Le mont s’est effondré d’environ 1400 m et la base de son cratère, la caldeira, avoisine quatre kilomètres de diamètre. Le dégagement de gaz, lave, cendres sulfureuses est considérable et se répand très haut dans l’atmosphère terrestre. Le climat est modifié pour au moins trois années, avec une baisse moyenne de 1 à 3° des températures, selon la circulation des masses d’air, l’incidence des rayons solaires et la proximité des faits. 1816 est connu comme étant « l’année sans été« , l’éruption principale ayant eu lieu entre le 5 et le 10 avril 1815.

localisation approximative des lieux cités dans l'article

localisation approximative des lieux cités dans l’article

Après la lecture d’un article de Nathaniel Herzberg dans Le Monde ‘Sciences et Médecine’ du mercredi 25 janvier 2017 qui relate les travaux de Karen Alexander de l’Université du Massachusetts à Amherst relatifs à la modification des pratiques de pêche dans le golfe du Maine suite à cette éruption volcanique géante, j’ai idée de vérifier une éventuelle incidence en Champagne. Or nous disposons de plusieurs éléments quantifiés quand il s’agit des vendanges.

A ‘Villedo’, comme on raccourcit ici en lieu de Villedommange, une source documentaire d’un grand intérêt est « le Livre vert » dont la rédaction fut entamée par un paroissien en 1776 et jamais arrêtée totalement. En 1995 un oncle de ma femme, Pierre Dhuicq, constatant l’état de vétusté avancée du registre, prend alors pitié de l’ancêtre à la mémoire d’éléphant et prend contact avec votre serviteur, qu’il sait amoureux des antiquités bavardes -à l’écrit. Alors chargé de mission du Président de l’Université de Reims-Champagne-Ardenne, Jean Rémond, dans le cadre de la première évaluation nationale de cette institution, je prends en considération le malade et sollicite l’intervention complémentaire du Président du Conseil Général Albert Vecten. Ensemble nous imposons au malade une cure de rajeunissement qu’il accepte, sous condition d’être soigné par le relieur rémois expert et reconnu, Laporte, relieur-doreur, rue Maillefer, à Reims. Aujourd’hui chacun se félicite de l’ouvrage, si l’on peut dire et le « Livre Vert » continue sa vie dans les mains des paroissiens de Villedommange et villages réunis qui relatent les éléments majeurs de la vie locale, à la suite de leurs ancêtres. Des copies ont été déposées à la Bibliothèque municipale de Reims, Carnegie et aux Archives Départementales de la Marne.

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article de l'Union après remise du nouveau Livre Vert le 15 décembre 1990

article de l’Union après remise du nouveau Livre Vert le 15 décembre 1990 et au-dessus Incipit de l’ouvrage en 1776 par Gérard Philippart, marguillier

On lit dans ce grand registre d’environ 42 x 32 x 2,5 cm et 203 pages, relié en vert comme il se doit, que les vendanges de 1815, 1816 et 1817 ont été calamiteuses. Je cherche donc à élargir ce point de vue étroit et consulte l’ouvrage de Benoît Musset, Vignobles de Champagne et vins mousseux, histoire et mariage de raison : 1650-1830, Fayard, 2008. Dans cet ouvrage figure deux diagrammes des rendements entre 1674 et 1830 : l’année 1816 est la plus sinistrée de toutes les données relevées dans différentes sources. Point de doute désormais, l’éruption du mont Tambora a bien provoqué un refroidissement généralisé du globe terrestre. Que ceux qui doutent de l’effet des rejets dans l’atmosphère, quelle qu’en soit la cause, prennent conscience que tout phénomène, anthropique ou naturel, qui modifie les basses couches de l’atmosphère entraîne des modifications importantes du climat.

Giboulées en février

ça se couvre !« Le temps se couvre, ça se gâte ! Entend-on sur le zinc, en même temps que : « y a plus de saison ou le temps est détraqué ! » Fichtre alors. Serait-ce un effet du réchauffement climatique qui déclenche un mois à l’avance ces célèbres perturbations cycliques nommées ‘giboulées de mars‘ et que nos voisins anglais si originaux de caractère disent d’avril ?

Toujours est-il qu’hier 12 février et déjà lundi et mardi dernier des nuages chargés de lourdes gouttes puis de grésil lachêrent sur nos contrées de copieuses draches ; cette fois c’est le Belge qui s’exprime dans ce terme évocateur, allusion certaine à ces autres tournures signifiantes de « vache qui pisse » ou de « bâche qui perce« . Le mot ‘giboulée’ serait quant à lui la déformation de l’occitan « giaconda« .

De l’horizon sud, entre Mont de Fléau et Plateau de Madagascar qui bordent les rives de l’Aisne au niveau de la bourgade Bourg-et-Comin cavalcadent vents et nuées qui voilent d’or un pâle soleil d’hiver.

averse

entre or et nacre on ne sait trop qu’admirer en premier

Puis s’exprime le déluge, la vitre extérieure du double vitrage en est toute troublée tandis que le cliquetis léger propre au grésil grésille. Derrière le rideau de pluie le paysage a disparu de ma vue.

la drache

Cependant le filtre polarisant, ajouté au violent contre-jour, produisit un bokeh inattendu bien que prévisible : la faible lumière d’hiver impliquait une grande ouverture et donc une courte profondeur de champ favorable à ces effets parfois agréables. Au reste, une fois le soleil en faction cet effet se teinta, en rappel à la situation antérieure, de merveilleuses franges dorées.

L’atmosphère lumineuse me renvoyait alors de mémoire au Victoria and Albert Museum vers les toiles ‘atmosphériques’ de Frederik Walter, imprécises dans mes souvenirs, tandis que la forme des gouttes déformées en pastilles et leur positionnement sur la toile

gouttes d'or me rappela immédiatement une oeuvre de Redon que je savais où trouver. Cela se fît en effet lorsqu’ayant tiré d’un rayon l’ouvrage : « Redon » par Anne Marie Mascheroni, Edda Fonda et Florence Cadout, CELIV, 1989, n°44, je découvris de nouveau avec plaisir la toile intitulée « l’Arbre rouge » sur laquelle la floraison disperse sur les branches des gouttes florales argentées si proches de celles dorées de la vitre :

Odilon Redon, l'Arbre Rouge

Odilon Redon, l’Arbre Rouge, collection particulière.

Tout cela parce que mémoire et instant se confondent à la faveur de variations ‘climatériques’ infinies et que les sentiments qui affluent en surface de pensées s’alimentent dans les mélanges de tonalités que culture et événements tricotent sur une trame légère et aussi mouvementée que nos giboulées de mars qui pointent le museau en février.

Evocation du printemps, en images plus qu’en mots.

Par ces jours exceptionnellement chauds d’avril 2014 les fleurs surgissent. Je vous laisse d’abord deviner lesquelles à partir de quelques allusions avant de vous les offrir à l’écran.

bien ou mal embouchées

William était son prénom, Ecossais de nationalité, on lui a dédié cette fleur arbustive. Le patronyme d’origine est aussi celui d’un festival.

Robert Stevenson a marché à son allure

attendra-t-il encore presqu’un mois pour retrouver sa popularité ?

au pays du soleil levant on se damnerait pour observer leur floraison

Une chanson en « é » et en « a » ou une comptine pour les petits. Je vous mets sur la voie (et même la voix) en montant plutôt qu’en descendant.La plante apprécie les roches calcaires.

narcisse jonquille  ForsythW   PasdAneWMuguetfleurs de cerisierGiroflees

Guerre aérienne dans les buddleias

Le gros porteur maintient sa suprématie dans les airs, de plus il est puissamment armé. Par chance pour ses proies il semble ne pas les détecter de loin. Dans un bruit soutenu de bi-moteurs à hélices il sillonne l’espace de cônes en cônes, sans programmation de vol arrêtée. La proie touchée il tente de s’en emparer mais le plus souvent c’est l’échec. Toutefois quelques agressions font mouche. Le frelon (Vespa crabro), car c’est de lui qu’il s’agit, notre frelon indigène et non l’asiatique en cours d’expansion sur le territoire, tombe alors au sol avec sa proie. Un coup de dard venimeux probable et l’ennemi est hors de combat instantanément. Commence alors le dépeçage. Les ailes sont découpées à leur point d’attache et finissent dans l’herbe, ce qui signale d’ailleurs à l’observateur averti la fréquence et le nombre approximatif des prises.

un frelon découpe les ailes d'un papillon

Dans un second temps le frelon gagne une position perchée, de préférence au sol enherbé qui le dérange dans ses manoeuvres , emporte avec lui le corps sans tête et sans ailes du papillon, c’est-à-dire le thorax et l’abdomen. Accroché à son support le frelon broie et aspire alors les entrailles du lépidoptère à grande vitesse, la scène entière se déroulant sur un temps d’environ trois à cinq minutes, selon dérangements ou obstacles imprévus :

Ne reste plus au final qu’une aile perdue d’un aéronef bien inoffensif qui n’a nullement la maîtrise des airs et ne dispose que de la fuite pour échapper à l’ennemi.

aile de petit tortue tombée après le dépeçage par le frelonIci une aile de Petite tortue, fragment dérisoire de ce combat aérien discret qui se déroule sous nos yeux chaque jour d’été. Encore faut-il que la tour de contrôle soit aux aguets.

Pour ce qui est du gros porteur il affectionne certains endroits pour établir son nid dans lequel les larves attendent leur repas que l’insecte adulte leur apporte sous la forme d’une bouillie obtenue comme on vient de voir et régurgitée. En général il construit dans un arbre creux, une cavité, plus rarement un grenier. Son nid est très fibreux, composé à partir d’écorces de bois triturées ; il ne comporte pas de cellulose de papiers divers comme celui de la guêpe commune. Lors de nos campagnes de fouilles je me chargeais de détruire les amorces de nid que les frelons prenaient plaisir à accrocher sur la toile de nos abris ‘marabout’ en épaisse toile odorante, comme on peut le constater ci-dessous :

On peut voir que la ‘maternité’ du frelon comprend un premier niveau et qu’un second étage vient d’être ajouté, il ne compte encore que quelques cellules. Regardez au fond des cellules supérieures : des oeufs sont visibles au fond de chacune.

Au bout de quelques semaines les larves bien nourries  ferment leurs cellules et plusieurs jours plus tard l’insecte adulte grignote le couvercle et s’échappe alors du nid petit à petit pour mener sa vie de frelon. Des femelles passeront l’hiver dans un abri et au printemps le cycle de vie reprendra garnissant l’espace de ces aéronefs que l’on craint à juste titre et bien que leur piqûre ‘ordinaire’ ne soit pas plus dangereuse que celle d’une guêpe. L’insecte est un grand prédateur de proies diverses et a son utilité. On peut cependant ne pas avoir envie de voisiner trop près de ces terrains d’aviation quand ils sont trop fréquentés.

J’ai noté, lorsque j’étais apiculteur amateur, le manège des frelons devant le trou de vol de mes ruches. Le frelon faisait du surplace devant la ruche et parvenait à attraper quelques abeilles en vol à la sortie de la ruche et à les tuer et dépecer comme on vient de voir. Je signale ce fait parce qu’aujourd’hui on considère que le frelon asiatique s’en prend à nos ruches mais la manoeuvre que j’ai observée à maintes reprises indique que notre frelon indigène pratique parfois de même.

Sens trompeurs et chenille du grand sphinx de la vigne : Deilephila elpenor

L’habitude devenue seconde nature nous fait voir les choses d’abord en fonction de l’idée que l’on a d’elles. Ainsi quelque chose qui remue et présente apparemment une tête et une queue montrera aussi des yeux si une forme proche les évoque. On ne cherche pas en premier lieu à interpréter différemment ce qui s’est proposé d’emblée à notre entendement.

Prenons l’exemple suivant : vous marchez dans un sentier herbeux et tout d’un coup votre regard est attiré par un masque étrange. Vous vous approchez et évidemment deux yeux vous observent, de plus près ils sont même quatre et voici ce que cela donne, une fois la scène capturée dans la mémoire numérique de votre appareil photographique qui ne fait qu’enregistrer de manière neutre ce que vous avez cru voir :

chenille du Grand sphinx de la vigneQuel être étrange peut bien m’observer ainsi ?

Alors intrigué vous attendez que cela remue, s’agite, tourne la tête…. au bout de quelques courtes minutes de patience, vous y voilà :

chenille du Grand sphinx de la vigneQuelle différence entre la première et la seconde photographie ? Ce que vous aviez perçu comme une tête avec des yeux est une pure illusion plus ou moins déclenchée par une analogie de forme et -un pas est vite franchi, de fonction. Le cliché du dessous vous le montre clairement : la tête est là, allongée au bout d’un cou tout droit sorti de la forme précédente qui était donc un leurre. La troisième photo vous permet de distinguer la chenille entière dont la queue est surmontée d’une sorte de petite corne comme il  est fréquent dans la famille des papillons nocturnes sphingidae.

Comment la chenille s’y prend-elle ? Elle rentre tout simplement la tête dans les sections immédiatement en arrière de sa tête qui de la sorte enrobent cette tête, gonflent et font apparaître les quatre ocelles qui présentent une analogie avec des sortes d’yeux comme vous avez pensé voir au départ. La chenille procède ainsi quand elle est perturbée, elle veut se protéger d’un prédateur éventuel qui raisonne moins que l’homme mais saura néanmoins associer la forme oeil à un signal de danger. L’homme ne devrait en principe pas réagir de la même manière mais avant d’observer finement et de raisonner il est abusé, tant par l’habitude que par la bête. La chenille pouvant se dresser et agiter neerveusement cette fausse tête les entomologistes du passé l’ont nommée sphinx par renvoi plus ou moins suggestif avec l’animal mythique mi-homme (ou femme) et mi-lion.

Le papillon qui sortira de la chrysalide issue de la chenille est le grand sphinx de la vigne, un joli insecte aux colorations rosées et finement pourprées. On peut le rencontrer à la tombée du jour virevoltant autour du chèvrefeuille par exemple. Sa chenille se nourrit essentiellement des feuilles des épilobes, de la vigne et de quelques autres plantes herbacées.

Le sujet ci-dessous a été photographié en diapositive dans un marais au nord de l’Argonne, à son réveil lors d’une matinée fraîche et humide. Le scan et l’agrandissement font ressortir par trop le grain de la diapo mais cela vous permet néanmoins d’avoir une représentation acceptable de l’espèce, dessus et dessous, avant que je ne photographie quand l’occasion s’en présentera un sujet dans la nature avec un appareil numérique.

Ce blog qui sans cesse fait l’éloge de l’observation met en garde ici contre l’habitude, contre les sens trompeurs. Le mythe du sphinx et plus encore celui de la caverne mis en scène par Platon sont des figures de la pensée dont il est précieux de temps à autre de revisiter les reflets pour ne pas être abusés à un moment de l’histoire des hommes où les écrans nous submergent d’images, de mots et d’animations, quand les sons sont également à portée de clavier. L’avantage de l’observation directe dans la nature est ici évident par rapport au virtuel : l’attente est telle que la réflexion et le secours mémoriel sont convoqués et par suite l’égarement s’en trouve limité.

 

Avec Piero di Cosimo les amours sont dans le pré, allons voir !

Sur la jambe droite de Vénus une Ecaille chinée (Euplagia quadripunctata) ou Callimorphe [en grec = belle forme], papillon tant diurne que nocturne, s’est posée. Un mignon lapin blanc renifle ses belles formes alanguies, des colombes se bécotent et Cupidon, fils de Vénus semble regarder l’astre solaire. Vénus songeuse, le regard vague, est éveillée, le jour s’est levé, la scène est paisible maintenant et des putti jouent tandis que dans le lointain des personnages s’affairent. Il fait beau. A droite cependant -je l’oubliai celui-là, endormi, détendu et appuyé sur un coussin moelleux : un homme. Sans aucun doute il est venu, a plus que vu, a vaincu. Toujours est-il qu’il dort, savourant en songe l’instant d’avant, essentiel moment de l’inceste avant le coup de filet de Vulcain, mari trompé qui va livrer aux dieux persifleurs de l’Olympe les protagonistes captifs de ses rets. Vous pensez bien qu’ils ne vont pas garder pour eux cette affriolante nouvelle. Hilares comme dieux taquins ou larrons en foire ils diffusent l’affaire comme un scoop.

C’est presque tout ce que j’ai à vous rapporter à partir de ce que je vois sur le panneau peint mais il est opportun de mentionner des éléments d’armure disposés par le peintre ici et là : celle de Mars car c’est bien lui le coupable, ainsi désigné, montré du doigt par Cupidon et de ses yeux par le soleil, l’un de ses attributs. De plus une mouche non visible à l’échelle de cette reproduction figure également près du visage de Mars. Pour aller plus avant dans l’interprétation il serait nécessaire de connaître, entre autres, le nom donné à ce papillon dans les années 1500 et savoir quelles vertus on lui attribuait.

La peinture est conservée à la Gemälde Galerie de Berlin, la voici :

Vénus, Mars et l'Amour par Pietro di Cosimo

( je place ici ces images capturées sur le web sans que j’aie pu trouver une référence assurée de leur origine sur la toile, ce que d’habitude je ne fais jamais)

Mais, allez-vous questionner avec raison, pourquoi Piero di Cosimo, en Toscane, au début du XVIe siècle, a-t-il peint ces curieux détails sur cette oeuvre devenue un classique des mises en scènes mythologiques si prisées alors des grands du monde, quitte à éloigner momentanément le commanditaire et ses amis, qui intrigués s’approchent de ces détails et risquent ainsi de détacher leurs pensées devenues vagabondes du sujet principal ? Et bien, à regret, je ne peux vous donner de réponse satisfaisante, renvoyant malicieusement votre question vers, par exemple, les ‘installations’ à la Koons Jeff au beau milieu de la ‘Galerie des glaces’ du non moins célèbre palais de Versailles, autre demeure des dieux.

Cependant, Daniel Arasse dans son essai Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, (1992) nous apporte beaucoup de pistes quant à l’interprétation de la peinture singulière de Piero di Cosimo, notamment quand elle satisfait aux exigences hélas peu documentées des commanditaires. Mais il n’a pas trouvé d’explications quant à la présence du papillon dont il est question ci-après.

Alors dans l’impossibilité de satisfaire votre curiosité envers l’art de Piero di Cosimo et son besoin de bavarder par le menu, je ne vais pas cependant vous quitter sans vous proposer d’admirer une scène de la nature photographiée ce premier juillet 2013, hot spot s’il en fut de cet imprévisible été. En effet, en plein midi zénital je m’en fus quérir un frais flacon dans une cave éloignée d’une vingtaine de mètres de notre séjour, et soudain, dans cette action mon regard de si lointain putti ayant moins mal vieilli que d’autres mineures qualités enfantines, fut attiré par un couple aux jolies formes de callimorphes batifolant dans l’herbe jaunissante et rase de la pelouse. Du reste leurs virevoltants ébats, tels les drapeaux agités des contrôleurs de course automobile ou les armoiries blasonnées d’écus de combat et d’oriflammes de Marignan et autres lieux, ne pouvaient qu’attirer mon attention vers eux comme si Cupidon venait de décocher une flèche vers cette cible. Voyez-plutôt ! :

accouplement d'Ecailles chinéesCe serait cependant tomber dans une grave confusion anthropomorphique que de laisser croire que ce couple d’Ecailles chinées pourrait être illégitime. Ce dont je suis sûr c’est que dans leur Olympe les dieux se racontent la callimorphie extraordinaire et merveilleuse de ces scènes et mises en scènes, et qu’en paradis, François d’Assise et pourquoi pas Piéro di Cosimo exultent de joie pour la création tandis qu’en enfer proche agonisent éternellement les assassins de la biodiversité. Faute de mieux, côté justice et morale, on s’y retrouve un peu bien que ce ne soit pas là le but de cette divagation.

Quant à nos Ecailles il leur arrive bien entendu de ‘nectariser’ comme tout un chacun des butineurs, comme on voit ci-dessous l’une d’elles dans son repas en compagnie d’un Paon du Jour ; remarquez au passage les dessous orangés de cette Callimorphe, à signaler aux fabricants de lingerie.

Si l’un(e) ou l’autre de mes lecteurs venait à connaître la raison d’être de l’Ecaille chinée sur la peinture de Piero di Cosimo je serais ravi qu’il me le fasse savoir.

La percée de Galanthus

Les voici ! Les voilà ! la neige vient à peine de disparaître, quelques plaques d’arrière-garde en blanches guenilles s’accrochent encore sur les pentes nord du Chemin des Dames, sur les glacis de structures détruites dans le jardin contre le bois.

soufflées en congères lentes à fondre ces plaques font une guirlande sur l’horizon du Chemin des Dames, au niveau du Plateau de Paissy, à l’emplacement des premières lignes françaises en 14-18.

Un peu plus loin la glace sur la mare agonise mais tient encore la rive, sa peau desquamée suppure de bulles hier belliqueuses, elle semble vouloir faire retraite, comme le monstre, au fond de la creutte infernale.

glace en fusion sur la mareBlotties en troupes compactes et distantes des touffes de perce-neige laissent tomber leurs clochettes finement colorées d’un étroit liseré vert. Blêmes et transies elles attendent la secousse d’un prochain coup de vent qui fera tomber la goutte accrochée à leur moustache pistache. Voici de nouveau le Galanthus nivalis. Abondant dans le village il surprend chaque année le promeneur qui tape une dernière fois (?) ses bottes auréolées d’une pellicule de neige fondante. Son nom vient du grec = fleur de couleur blanche, des neiges. Il affectionne en effet les pentes fraiches où tardivement la neige recule en bon ordre comme un envahisseur germanique installé là quelque temps naguère, une fois ou l’autre.

liseré vert de la fleur de perce-neigele manque de lumière m’a amené à trop forcer la sensibilité, d’où une pixellisation excessive mais vous ne regardez pas souvent cette fleur par le dessous…

Dans le même temps, en même situation, sur la pente raide d’un ancien entonnoir de bombe perlent et jaillissent les gouttes de sang des pézizes écarlates (Peziza coccinea) accrochées sur des rameaux pourrissants. Comment en ces lieux ne pas penser à toutes ces blessures vaines, ces hémorragies inutiles que l’un et l’autre des belligérants ont parfois tenu comme un insigne honneur ? Pansons !

voir aussi sur le perce-neige un article de ce blog ici (un peu plus tardif en saison):

http://voirdit.blog.lemonde.fr/2008/02/28/dans-mon-jardin-lhiver/

Ips ! ou voeux 2013 typographiés.

Dans le sous-bois vert de mousse, gluant de boues, luisant de gouttes la souche rougeâtre attire l’oeil. Gratter l’écorce pour faire apparaître l’essentiel semble être le message du jour : j’exfolie. Belle idée. L’ips typographe (Ips typographus L.), ou bostryche typographe ou encore grand scolyte de l’épicéa a encore crayonné entre écorce et aubier durci :

ips typographegaleries à trois branches de l'ipsNotre ips donc gribouille avec frénésie, comme l’enfant sur le papier, le mur, sur tout. Savoir à quoi il ressemble vous sera de peu d’usage ce jour mais allez voir par exemple ici pour satisfaire votre légitime curiosité :

http://www.srpv-midi-pyrenees.com/_publique/sante_vgtx/organismes_nuisibles_et_lutte_obligatoire/fiches/ips_typographus.htm

Sur ce l’idée m’est venue d’utiliser ce thème quasi abstrait et modérément ordonné pour vous offrir un message écrit et virtuel. Un peu de bidouillage pour exagérer les tracés, une pointe de crayon numérique afin de rendre le message compréhensible et la carte est remplie.

Bonne et heureuse année 2013 à toutes les lectrices et tous les lecteurs de ce blog, fidèles ou de passage et que 2013 vous permette de vous réjouir du spectacle infini de la nature, même si parfois il faut gratter un peu pour lire son message revigorant !

carte de voeux 2013 par Jean-Pierre Boureux

Et pour conclure typographiquement et en l’espoir d’une année 2013 forte de culture vivante je vous propose ce souvenir d’adolescence de Vladimir Nabokov : [ce souvenir est de Pâques 1915]

« …Les yeux me cuisant encore d’avoir été éblouis par la neige, je ne cessais d’essayer de déchiffrer, sur le mur proche, un portrait dit « typographique » de Tolstoï. Comme la queue de la souris sur une certaine page d’Alice au pays des merveilles, il était entièrement composé de caractère d’imprimerie. On avait employé une nouvelle entière de Tolstoï (Maitre et serviteur) pour faire le visage barbu de son auteur, qui, soit dit en passant, avait quelque ressemblance avec notre hôte. »

Vladimir Nabokov, Autres rivages, nrf, Gallimard, Paris, 1961, p.159

La compagnie du lierre

Aujourd’hui je vous propose un échange d’écriture illustrée dans le cadre des « Vases communicants » plateforme d’échanges épistolaires cathodiques. JW Chan [un promeneur] publie sur mon blog le texte ci-dessous et en correspondance de thème j’écris sur le sien : « Un Promeneur »

la compagnie du lierre

(pour Joelle G.)

Que je l’aborde avec cette infinie patience dont il fait preuve, et avec cet amour, ou au moins ce même attachement qu’il montre pour son territoire, et ses commensaux humains, à tous nos bâtiments dévastés qu’il retient de s’abaisser encore. Lierre anagramme de relier, c’est que la plante parle de la gravité, du cheminement tortueux que désire la verticalité entre ses noeuds, ces enjambements ces retours, sacrifices et toute cette poussière d’encens qu’elle traîne.

Jamais ces feuilles ne meurent visiblement : elles s’absorbent, changent de nature, deviennent granulé, épices, quand elles figuraient hier encore le motif d’un carton à dessin : vertes tachetées de noir et vernies. Fantassins devenus fantômes en une saison.

Fin septembre le parfum de ses fleurettes est intime : l’aisselle, ou le linge de corps des anges après le sport ; une odeur acide, discrète, qui serpente entre deux hautes rives sombres, l’entêtement d’une fenêtre ouverte sur l’émeraude d’un estuaire quand résonnent les derniers carillons de l’enfance, ou bien cette image de promenade entre les buis dans une allée exposée au nord. Ombelles dit-on, et dans quelques jours des baies sombres comme une de ces molécules dans les livres de chimie (atomes rouges et noirs, liens, casse tête …).

Le pouvoir couvrant du lierre est immense, comme sont l’oubli, l’été, ou encore cette malédiction qui condamne l’homme à la construction des murailles, quand le lierre n’est lui, fait que pour tapisser une niche autour d’un bassin de pierre au centre de quoi la petite statue en stuc d’Hermès semble tendre une main vers les oiseaux, ou s’apprêter à relancer un avion en papier. Deux petites infantes, s’y tiennent la main en écoutant tomber l’eau et, au loin, un gémissement d’ambulances braconne un homme dont le destin tourne.

C’est une plante qui ne méprise personne mais la canicule et le retour de flamme d’octobre l’indiffèrent tout comme la blancheur dévastée, l’eau qui gifle son imperméable, les myriades ascétiques qu’il abrite et digère lentement ou encore ce couple de jeunes merles dont le chant autorise la nuit à tomber. Il restera patient, stoïque, sombre, chercheur inconsolable.

On attaque son mausolée à la hachette, l’acier mal peint laissera un peu de bleu sur les copeaux blonds et gras. Le soir on rapporte quelques feuilles pour disposer les fromages.

Tremblant comme la beauté, mais avec une préférence pour les ruines et les abris de fortune où il imprime ses deltas verts, tigre calme qui essuie ses moustaches sur le pelage des maisons.

Si on abandonne un village, un arbre, et peut-être un homme à son sort, tout se couvrira de lierre, où que ce soit car la plante s’adapte à chaque terre. A l’argile, au granit, aux sous-bois : marque du temps, plante de l’ombre d’une très grande adaptabilité — donc très intelligente— avec cette sorte de laisser-aller — comme la rouille, comme elle tributaire de l’activité humaine.

Il y a dans les communs du château de Leannagh Mansion en Écosse une remise dont le toit s’effondre : du lierre a fait souche à l’intérieur du bâtiment, sa racine atteint l’épaisseur d’une cuisse d’homme et fit éclater le mur ou cohabitent de petits rongeurs et des toiles d’araignée vaporeuses légèrement bleutées. Le bouquet sommital a l’ampleur d’un beau hêtre, et remue dans les bourrasques de vent qui l’inclinent légèrement vers l’est. Le village de Leannagh lui-même est quelconque: une distillerie, l’école abandonnée, des maisons d’hortensias retraités avec un élevage de lapins etc. Je sais tout cela bien que je n’aie jamais voyagé par là, et pour cause. Telle est la puissance de la littérature.

Janvier arrive, on cueille entre les feuilles vertes des myrtilles d’hiver, ces mois froids, le lierre les consacre à la gravité du souvenir.

JW Chan oct 2012, texte illustré par ce croquis au lavis :

 

 

Soirs et nuits d’or en octobre

Dorures des soirs, soit. L’inclinaison de la terre vers son solstice est sensible déjà à l’équinoxe et le soleil envoie des rayons chargés de lueurs dorées d’or jaune. Selon le jour et l’heure capter un éclairage spécifique peut fort bien ne durer que quelques secondes comme par exemple lorsque l’éclat solaire est réfléchi par une vitre en miroir et renvoyé vers vous :

Plus simplement chacun connaît ces rayons tout dorés, d’un or ancien, entre or pâle et or cuivré car on ajoute à l’or quelques traces métalliques étrangères pour en modifier la qualité physique ou la couleur, selon l’utilisation que l’on en fait. Du classique d’orfèvre, de doreur, de peintre. A retrouver sur la falaise d’ordinaire couleur d’albâtre, de craie, de platine, d’ivoire… car on sait encore que le blanc n’existe pas et que pour le rendre plus blanc on lui ajoute du bleu comme font lessiveurs et peureux. Mais revenons à nos ors du soir :

en entrant tout comme en sortant :

Mais, si vous avez suivi, j’ai proposé également des ors de nuit. Plus rares incontestablement. On peut jouer sur les mots puisqu’il existe, outre le platine qui est un métal de couleur blanche à grise, de l’or dit blanc c’est-à-dire un alliage contenant de l’or et quelques pour cents de nickel, zinc et cuivre. En ce cas les ors blancs, de nuit, sont ces éclats de lune réfléchis les nuits de pleine lune. Voyez ce que cela donne approximativement, dans la mesure où la photographie de nuit n’est pas simple.

pour les amateurs : ISO 400, pose = 17 secondes, ouverture : f/8

Des artistes évidemment ont traité ce thème, ainsi Debussy, ainsi Vernet et bien d’autres. Mais le plus étrange est que Maurice Genevoix, dans Raboliot en 1925 a employé les termes de « nuit d’or » pour signifier nuit de pleine lune. Lisons :

« …une nuit d’or, mon Aïcha ! Cette nuit était d’or parce qu’il faisait clair de lune. Mais pour un vrai braco, les nuits d’or sont nombreuses en hiver. »

Le terme de « nuit d’or » semble ici faire référence aux vertus supposées de l’or et non à la couleur de l’or blanc, celle à laquelle j’ai pensé en photographiant et par opposition aux lueurs du couchant. D’ordinaire la lune est plutôt associée à l’argent et il est vrai que ses reflets sur l’eau font bien allusion aux couleurs de cet autre métal précieux.

Je n’avais pas noté personnellement cette citation comme j’ai coutume de faire mais l’ai trouvée sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales que vous pouvez atteindre ici : http://www.cnrtl.fr

La prochaine fois que la lune sera pleine quittez la couette et vivez au dehors la ‘nuit d’or’ des braconniers ! Ou bien, si vous n’êtes pas braconnier(e) peut-être serez-vous tenté(e) d’observer autrement ce qui vous est familier, de manière à ôter la part familière qui bride par accoutumance l’esprit de découverte et l’imagination ? Ainsi ai-je analysé cette photographie et l’ai traitée par logiciel pour faire ressortir différemment qu’en plein jour des strates géologiques. Voici :

géologie de nuit

des strates de roche dure apparaissent très bien de nuit avec l'éclairage de la lune dans l'étage lutétien. Un traitement spécifique de l'image améliore encore la perception que j'avais eue de nuit en réalisant la prise de vue.