A l’abri des regards, dans le bosquet près de la creute aux blaireaux, longuement elles se préparent puis vérifient leur apparence en ce miroir d’eau d’un jour sans vent. Sans doute ne vont-elles pas me tirer leur « langues de cerf » lancéolées mais bien plutôt disposer à ma vue, comme si de rien n’était, leurs jeunes frondes qu’elles tournent en accroche-coeurs pour midinettes.
Apparemment peu convaincues de l’effet tant espéré elles se mettent alors à danser, siffler, dodeliner du chef, certaines de leurs appas.
A ce manège de najas je fais mine de ne rien voir. Alors d’un coup d’un seul et dans un geste élégant, subrepticement me montrent leurs dessous. Il faut bien que jeunesse se passe. Et puis avouez que cet ordonnancement brun-orangé, ces lignes disposées en feuilles de fougères, annoncent immanquablement un travail de professionnelles : elles ont gagné ces sirènes, mon coeur chaloupe et s’emballe ; elles connaissent la faiblesse du poète, la bonhommie des sylves et la vigueur des passions inassouvies.
Mais là comme ailleurs la concurrence est rude et l’une d’elles tente encore de raffler la mise dans la surabondance d’un goût douteux. Oh oui, assurément elle en rajoute :
Redevenons sérieux. Que se passe-t-il ici ? Je ne sais trop. Ces ruptures de direction dans les cellules apicales qui s’orientent en plan orthogonal, ces découpes multiples des extrêmités qui se divisent en fractales ou par dichotomie évoquent une perturbation par hormones, par virus ou par transmission de maladies dues à un insecte vecteur. Bien fait ! Diriez-vous par anthropisme exagéré, le vice est toujours vaincu par la vertu. N’empêche, j’aimerais en savoir plus, comprendre la cause derrière l’effet. Je constate la déformation initiale : d’une fronde en faire deux, toujours le besoin d’en rajouter. Mais je suis mauvaise langue d’écrire que nous sommes ainsi en présence d’une langue, non de cerf, mais de vipère.
Et vous, ami(e)s, qu’en pensez-vous ?
A ce moment de l’année elles semblent pourtant spécialement en forme après un été frais et humide qui convenait parfaitement à leurs exigences et leur mise éclatante s’en ressent. Sur environ 300 pieds seuls 3 présentent ces anomalies, ce qui correspond à environ 1% de l’effectif, pourcentage bien faible.
Sans doute est-ce raisonnable de penser que l’anomalie va disparaître d’elle-même. En décembre dernier, j’ai pour la première fois observé (cela fait six ans que je suis ce peuplement) que les blaireaux ont ravagé presque totalement les pieds situés à proximité de leurs terriers dans les creutes pour rendre confortables leurs ‘nids’, coupant et transportant les frondes séchées comme on le devine sur la photographie ci-dessous :
A moins que ce ne soit à titre médicinal ? On sait en effet qu’autrefois un bon matelas de fougères était fort apprécié.
Toujours est-il que faute de combattants les minauderies cessent séance tenante et que bientôt un édredon de neige va revêtir ces belles pour quelques jours ou semaines, comme je l’ai déjà présenté sur ce blog en date du 28 février. Alors, comme ce sont des stars, l’une d’elles me fait un (dernier ?) caprice : elle se prend pour une étoile des neiges !
Qu’écrire encore ? Son nom bien sûr. Il s’agit de Phyllitis scolopendrium (L.) et en français Scolopendre ou Langue-de-cerf. Autrefois officinale (Herba linguae cervinae) la plante était utilisée contre les affections hépatiques, la diarrhée et la dysenterie. On lui prêtait aussi quelque vertu contre bronchites et tuberculose. Cette fougère aime avant tout les sous-bois sombres et humides sur pentes d’éboulis calcaires. On la trouvera donc aussi dans les ruines d’anciens bâtiments ou les entrées de puits. De jeunes pieds se sont établis dans les canaux anciens de circulation d’eau à l’intérieur du banc du lutétien moyen, bien abrités en ces cavités aujourd’hui mises à jour à l’intérieur de quelques parois de nos creutes, comme on le constate ici :
La langue-de-cerf, en ses goguettes et goguenarde, dans tous ses états, vous tire la langue et vous salue.
Celles – là me sont familières …
Elles portent la mémoire du monde depuis la nuit des temps et agrémentent mes insomnies …
J’aimeJ’aime
Bon d’accord ! Mais quitte à ne pas dormir autant en effet que ce soit agréablement. Créateur de rêves, quelle entreprise, tout un programme… Amical souvenir, JP
J’aimeJ’aime
Merci JP , pour cette belle leçon des choses ( comme d’habitude ) ;
Bonne soirée chez vous
J’aimeJ’aime
Non seulement « une leçon de choses » mais poétique en diable et fort bien menée. Un régal, un plaisir.
J’aimeJ’aime
à Mathilde et Pierre,
Vous relatez tous deux le plaisir de lire une agréable « leçon de choses » et vos remarques me vont droit au coeur. J’essaie en effet de rendre compte de choses de la nature, non tant comme l’aurait fait l’un de ces hussards noirs de la République n°III mais comme un passeur contemporain qui utilisant la technologie du moment essaie de sensibiliser le lecteur d’écran, par l’image et le texte, au goût de la nature. Si j’y parviens quelques fois (et je vous remercie de me signaler que ce peut être le cas une fois ou l’autre) c’est une satisfaction qui me récompense du temps passé à cet exercice. Merci à tous mes lecteurs, qu’ils laissent ou non une trace de leur passage.
J’aimeJ’aime
belle leçon de choses, poétique en diable… et très drôle
Que du bonheur ici, comme d’habitude.
J’aimeJ’aime
Great bllog you have here
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup. J’aime bien la lumière qui module l’ensemble de vos photographies d’architecture, félicitations !
J’aimeJ’aime