Histoire encadrée : d’une forme lire une époque.

Dans la même démarche examinons aujourd’hui la figure du parallèlépipède, proche parfois du rectangle et du carré, dans la portion d’Histoire qu’il enferme.

Si dans l’histoire des hommes la protection par cette ligne simple paraît bien ancienne, les traces qui en subsistent dans la France d’aujourd’hui semblent plutôt assez proches dans le temps.

Maison-Forte de Sorbon

Vous percevez fort bien au centre de l’image (JPB 1972) un carré de pré entouré d’eau, vestiges vivants d’une ancienne résidence seigneuriale que les historiens nomment « maison-forte » suivant l’usage du temps, désignée ainsi en français, après « domus fortis » en latin, dans les textes qui notent ces endroits modérément défensifs. Celle-ci est l’une des trois présentes dans le village de Sorbon, autrement célèbre par l’un de ses enfants, Robert, fondateur de notre ‘Sorbonne’ (Ardennes, Rethel). Un fosé large de 15 à 20 m. alimenté par un ruisseau, protège une plateforme d’une quarantaine de mètres de côté quasiment au niveau du sol extérieur.

Ce type de fortification légère est très répandu dans les campagnes françaises dès la fin du XIIes., abonde au XIIIe s. et se maintient assez jusqu’au XVIIIe s. où il a perdu tout caractère défensif. De nombreux travaux de recherche historiques développent des cas dans la plupart des pays occidentaux. Dès la fin du Moyen-Age nombre de fermes ‘fortifiées’ et de manoirs ou gentilhommières peuplent les villages et présentent le visage résidentiel d’une noblesse de second rang qui se calfeutre derrière un fossé ou des murs à allure de remparts, donnant néanmoins aux paysans le signal d’une présence différente qui manifeste son appartenance à une classe sociale supérieure.

Dès lors qu’une communauté souhaite s’abriter derrière un fossé parfois surmonté d’un talus et d’un semblant de murailles ou de palissades, on va voir se développer le plan carré qui prend l’allure d’une bastide dans le sud de la France (le plan circulaire cohabite avec ce dernier) et d’une ville-neuve dans le nord. Evidemment les guerres favorisent ce type de défense dont peut se parer également une communauté villageoise libre, quand des manants gérés par un ou plusieurs seigneurs (laïcs ou ecclésiastiques) régissent le droit des premières. Ces installations perdurent parfois jusqu’à nous mais le plus souvent elles ont été privées de leurs fossés à partir du XVIIIes., par souci de commodité de transports ou par un premier élan vers l’hygiènisme, leurs fossés laissant échapper des miasmes nuisibles à la santé. Tout comme les défenses circulaires elles sont menacées de disparition, le fossé est comblé et remplacé par une rue, un espace vert ou tout autre aménagement.

Très représentatif du genre est le village de Pontarcy (Aisne, Vailly-sur-Aisne). D’avion on se doute bien que l’allure générale quadrangulaire et la rivière proche sont sans doute en liens et qu’une légère surélévation latérale aux rues pourrait être le témoin d’un ancien talus.

village défensif de Pontarcy (Aisne)

Pontarcy, photographie aérienne JP Boureux

La curiosité inhérente au métier en tête, l’historien se dirige alors vers le dépôt d’archives qui peut-être lui fournira quelques renseignements supplémentaires. En l’occurence celui de Laon. Par chance rare il découvre là un plan du XVIIIes. tout à fait révélateur du passé de ce village enregistré sur ce support particulier. Ici ce cadeau du passé a de plus valeur d’oeuvre d’art car le géomètre était talentueux, voyez plutôt :

plan XVIIIe s. de Pontarcy

Archives Départementales de l’Aisne, E 141, accompagné de l’expression de nos vifs remerciements

On constate aisément que le fossé sud était mieux conservé qu’aujourd’hui et que des arbres alignés occupaient les fossés ouest et est déjà isolés de la rivière. La comparaison entre la photographie aérienne et ce plan ne nécessitent pas autre commentaire pour la compréhension de l’aménagement territorial. Qu’en est-il des sources écrites ?

Bien qu’assez nombreuses elles sont difficiles à interpréter. En effet nous sommes ici en présence de deux éléments : ce village et, de l’autre côté de la rivière, les vestiges ténus d’un autre habitat avec tour, souvent nommé château dans les actes. Les écrits distinguent parfois la tour tenue du roi, du village ou ville tenue des vassaux. Mais on ne sait jamais si on a affaire à l’une ou à l’autre, la partie nord ayant pu également accueillir un habitat un peu développé. Auquel cas il se pourrait que la partie actuelle du village corresponde à une extension du premier habitat ou même, bien que moins probable, à un village défendu par une fortification tardive de la fin du XVIes.  Toujours est-il que ce lieu est dans l’obédience des seigneurs de Braine, Baudement, Coucy et qu’il se trouve assiégé dès les années 920 par les Normands ? (pas de source fiable cependant) puis à diverses reprises lors de la Guerre de Cent-Ans, puis encore des terribles conflits de la fin du XVIes. responsables de maintes destructions dans notre région.

Outre une étrange harmonie le site montre bien quelles interrogations insastisfaites trottent dans la tête de l’historien de terrain qui ne parvient pas à établir une vérité absolue. Savant de la chose écrite il est précautionneux et plein de retenue devant la réalité d’un modelage du terroir dont il voudrait fixer l’origine et la destinée. De nouvelles avancées technologiques permettront peut-être à nos successeurs de trancher.

Le toponyme (pons arceius plutôt que pons arsus) confronté à son voisin Vieil-Arcy (vetus arceius et vieil arceys) -plutôt que Vicus arsius qui doit être une déformation latine erronée qui apparaît en 1297, suggère le déclassement de Vieil-Arcy lorsque Pont-Arcy a pris de l’importance, c’est-à-dire après l’établissement d’un pont et d’une fortification ayant entraîné l’installation voisine de ce nouveau village devenu plus important que le précédent. Mais là encore nous questionnons plus que nous ne résolvons. Dans sa démarche circonspecte l’historien se rapproche de celle du commissaire ou de l’inspecteur de police ; c’est à dessein que j’emploie l’adjectif circonspect qui étymologiquement signifie ‘regarder autour de soi’. D’où pour conclure élégamment, et avec la surprise que ce blog intègre de temps à autre, cette citation de Montaigne, Essais, L II, chap. XII : « ce n’est pas tant par pudeur qu’art et prudence qui rend nos dames si circonspectes à nous refuser l’entrée de leurs cabinets, avant qu’elles soient peinctes et parées pour la montre publique. »

A partir de ces deux dernières notes, en somme, je vous invite à lire le temps de l’histoire comme vous lisez l’heure sur le cadran de vos montres, qu’il soit circulaire ou carré. Sauf qu’en ce qui concerne les montres l’habitude vous a fait oublier l’apprentissage de cette lecture. Avec un peu d’entraînement et peut-être l’aide de l’homme de l’art, vous convertirez désormais des formes et des structures spatiales en bandeaux chronologiques. Toutefois soyez compréhensif :vous remonterez le temps comme il en est d’un mouvement à ressort, pas à la seconde près. L’historien n’a pas encore son quartz mais il aime suivre le mouvement des rouages, examiner le balancier, son retour, son rythme, sa période. Quelle tactique !

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