Allez donc faire se rencontrer ces deux-là, drôle d’idée. Un espace géant, un espace minuscule et partiellement souterrain. Et bien justement il y a du souterrain là-dessous.
Dans les multiples galeries souterraines de Paissy, en un endroit donné figure, inscrit au charbon de bois : 1814.
Ailleurs, un peu plus loin on devine gravée dans la paroi rocheuse une liste de noms propres et des mots tels que peur, cachés… Alors l’historien de service fait une rapide recherche :
Mais oui c’est vrai existait à Hurtebise avant la Première Guerre mondiale un monument du reste remplacé par un autre de nos jours. Et puis à l’horizon au-delà et un peu caché par un château d’eau la silhouette de l’empereur se détache sur l’horizon plat du Chemin des Dames. Massif et lorgnant, c’est lui, Napoléon. Alors tout s’explique d’un coup. 1814 ce sont les dernières batailles d’un empire français acculé par les ennemis en nombre, des sursauts à Montmirail et puis ici encore le 7 mars.
Et à quelques enjambées à l’occident une église se découpant sur le ciel : Saint-Remy de Paissy, remplacée de nos jours par une autre, comme le susdit monument . Toujours est-il qu’au soir de la bataille, certains des braves villageois de Paissy, n’eurent qu’une idée en tête : châtier les ennemis prisonniers, leur faire payer diverses exactions. Bien que quelques habitants aient secouru des blessés, d’autres ont été achevés et certains prisonniers ont été enterrés vivants après avoir été grillés sur de la paille enflammée : nos sources sont contradictoires ! Ce qui fâche des officiers russes. Les Russes et c’est de bonne guerre se mettent donc en chasse des Paissois détrousseurs de cadavres. Voilà nos villageois contraints de trouver refuge dans une ancienne carrière de pierres qu’ils connaissent bien. L’ennemi les y retrouve, bouche les entrées/sorties et y met le feu. Onze Paissois vont mourir dans les boyaux, enfumés comme blaireaux et renards. « Un de nos témoins, M. Billiard, était dans la carrière avec sa mère. Le nombre de personnes qui périrent atteignit le chiffre de onze » relate l’instituteur dans une monographie de Paissy rédigée en 1888. Les autres, connaissant des galeries ignorées de l’ennemi parvinrent à s’échapper. Quelle histoire !
La Russie ensuite n’inquiète plus Paissy. Ni la France. Mieux même une véritable russomania se met en place à la fin du XIXes. dans le contexte des recherches d’alliance. Ainsi une convention d’assistance militaire est signée dès 1891 entre la France et la Russie et ratifiée officiellement par les Etats en 1893 et 1894. Elle met fin à la stratégie de Bismarck et scelle l’alliance franco-russe.
buvard des « Entremets Francorusses » établissement « La Confiserie Franco-Russe » fondé par Emile Cornillot en 1896
Vous ne me croirez pas mais Paissy joue le jeu et s’invite indirectement à la table des grands, fait la fête et lève son verre au tsar Alexandre III. Incroyable, non ? Lisez-vous-même :
Procès-verbal du Conseil Municipal de Paissy le 15 octobre 1893
(l’amiral Avellan commandait l’escadre russe ancrée à Toulon)
Chacun alors pressentait la guerre mais personne ne savait que son imminence allait provoquer tant de souffrances et de deuils. Avec Louis-Robert Carrier-Belleuse et son frère Pierre (dont le père Albert-Ernest Carrier de Belleuse sculpteur célèbre était né à Anizy-le-Château en 1824) on préférait s’illusionner d’une guerre rapide, vivement victorieuse grâce à la force de nos armées et celles de nos alliés :
A l’heure où des pourparlers discrets font écho à ces anciennes alliances dans les couloirs de la diplomatie française, ce jour de la venue du Président de Russie, M. Dmitri Medvedev, il n’est pas sans intérêt de signaler qu’un modeste village du Chemin des Dames caché dans les creux de ses falaises, Paissy, a subi, avec bien d’autres lieux, les péripéties qui lui ont été imposées par l’histoire de la Nation. Espérons du moins que de nos jours la grande Russie, la France et nos voisins puissent construire un espace de paix en Europe, dans une commune Maison Europe comme aiment à formuler les Russes. Saint-Petersbourg et l’Ermitage Oui, Leningrad et la guerre Non.
Crois-tu?
D’un côté, les intérêts (que nous ne faisons que soupçonner) et de l’autre des réflexes de peur et d’ignorance font que cette rencontre est essentiellement cinématographique. Le réel étant autre chose que la réalité.
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Tout l’esprit d’une époque. N’a-t-on pas construit et inauguré en grandes pompes un pont, à Paris, baptisé « Alexandre III » et qui ne fait qu’enjamber la Seine? Esprit XIXème siècle, celui de la Tour Eiffel, phare du Monde.
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>> à Pierre,
Je ne crois rien et n’ai pas d’autre liberté que de lire des déclarations officielles. Le domaine des relations diplomatiques est chasse gardée du pouvoir, ne s’échappent que menus gibiers. Economie et défense y font loi ; cette zone marque les limites de nos démocraties, les autres régimes s’entourant par ailleurs d’encore plus de secret. Peut-il en être autrement ? La solution serait évidemment une gouvernance de notre espèce à l’échelle planétaire : on en est loin !
L’alliance franco-russe de la fin du XIX e s. marque le succès français des recherches d’alliances que les états maîtres du monde ont engagé à cette période de forte rivalité économique, France et Grande-Bretagne se partageant quasiment la planète. L’empire de Russie, renaissant, laissait alors entrevoir des assurances -surestimées, de défense et de commerce. Il est intéressant de voir que l’opinion publique s’est fortement impliquée dans cette alliance au moment où l’esprit de revanche et la crainte orientaient les esprits.
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Engouement, certain, tellement fort,
jusque dans les emprunts, russes, de 1888 et de 1906!
De fort belle mémoire.
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Même mémoire, belle ? Des coupons voisinaient dans un tiroir de la maison de ma grand-mère avec ceux du royaume chérifien du Maroc…. Les russes ont été négociés je crois voici quelques années pour une bouchée de pain sans doute autour d’un samovar. Ainsi s’écoule l’histoire, dans nos placards certaines fois.
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