Jean de La Ville de Mirmont tué le 28 novembre 1914 à Verneuil (Moussy-Verneuil), Aisne

Un talentueux écrivain. Peu connu mais toujours lu depuis la parution de ses premiers poèmes (à partir de 1903), de son « Horizon chimérique » (1911-1912) dont quelques poèmes seront ultérieurement mis en musique par Gabriel Fauré et plus récemment par Julien Clerc, et encore de son original roman à la tonalité toute contemporaine : « les dimanches de Jean Dézert » (1914), Jean de La Ville de Mirmont enchante nos lectures.

Son oeuvre nous est accessible par l’intelligente publication qu’en fit Michel Siffran en 1992 chez Champ Vallon : Jean de La Ville de Mirmont, Oeuvres complètes, poèmes-récits-correspondance. Introduction et présentation générale par Michel Suffran avec un avant-propos de François Mauriac. Seyssel, Champ Vallon, 1992, 352 p.

Jean de La Ville pendant son serviceen 1906

Celui qui a lu, entre autres exemples, le poème XIV de l’Horizon chimérique est tant aspiré par ces vers initiaux qu’il ne peut qu’y revenir encore et continuer ailleurs sa quête d’images et de sonorités, de dépaysements et d’enchantements :

« Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse                                                                           Et roule bord sur bord et tangue et se balance                                                                                   Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ;                                                                                   Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences                                                                       Plus belles que le rythme las des chants humains. … »

Le 24 novembre il écrit à sa mère : « Ma chère Maman, je viens de recevoir ton colis contenant une peau de lapin, un sac de couchage, des chaussettes et le passe-montagne de Suzanne. … … Cette nuit ma fourrure m’a fait rêver que j’étais devenu Cosaque, avec une grande lance et un costume rouge et jaune. Voilà qui amuserait Fanfan si c’était vrai. … Au fond je suis le plus heureux de vous tous, car si je suis emporté, j’espère ne pas même m’en apercevoir ; si je suis blessé, je coucherai dans un bon lit et je serai soigné par d’aimables dames et si je persiste tel quel, grâce à toi je n’aurai pas trop froid. Au revoir, ma chère Maman, bons baisers à vous tous. Ton fils si loin et si près de toi -et sur qui veillent non seulement son étoile, mais toutes les étoiles du ciel.En cette foy je veux vivre et mourir.’ (refrain de la ballade que fit Villon pour sa mère.)

Quatre jours plus tard le sergent Jean de La Ville est tué au front sur le Chemin des Dames, enseveli, la nuque brisée, lors d’un bombardement dans sa tranchée alors qu’il venait de refuser une relève, à Verneuil-Courtonne, aujourd’hui commune de Moussy-Verneuil au nord de la rivière Aisne, entre Vailly-sur-Aisne à l’ouest et Bourg-et-Comin à l’est, à proximité de la ferme du Metz et du Bois des Boules. Engagé volontaire il s’était fait remarquer pour sa bravoure le 2 novembre dans le même environnement. On note que les tranchées allemandes sont très proches et du reste Jean de La Ville cite un exemple de ‘fraternisation’ dans sa correspondance.

citation en l'honneur de Jean de La Ville. JMO 26N646/1, 2 novembre 1914, p.39

citation en l’honneur de Jean de La Ville. JMO 26N646/1, 2 novembre 1914, p.39

57eRI010115_26N646_1La ferme de Metz est à gauche du canal, il n’en reste rien de nos jours. Le Bois des Boules est à sa droite, au-dessus de l’inscription ‘Moussy’. Plan copié sur le site ‘Mémoire des hommes’ 26N646_1 le 1er janvier 1915. Ci-dessous le site de la ferme de Metz en 2013 avec la maison d’écluse et sa plaque.

la ferme était immédiatement au-delà du canal et de l'écluse à gauche

la ferme était immédiatement au-delà du canal et de l’écluse à gauche

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Si le JMO des 27 au 29 novembre mentionne bien des actions énergiques et des disparitions d’hommes dans tout le secteur de Verneuil, Moussy et Beaulne je n’y ai pas trouvé le décès de Jean de La Ville. Il doit figurer dans l’annexe que mentionne ce rapport de JMO et que je ne parviens pas à lire en ligne. Le 28 novembre est signalé un « …bombardement ininterrompu de Moussy, à la fin du jour l’ennemi lance encore quelques grosses bombes sur la partie gauche de nos tranchées du 4e sous-secteur, elles nous tuent un homme et enterrent la section de mitrailleurs du 123e qui est au saillant gauche… »

D’abord inhumé dans le cimetière provisoire de Verneuil son corps fut déplacé en 1919 vers la nécropole de Cerny-en-Laonnois avant que sa famille ne le fasse revenir à Bordeaux dans le cimetière protestant.

Un autre écrivain mort jeune, Emile Despax, a été tué quasiment au même lieu le 17 janvier 1915. J’ai évoqué son souvenir sur ce blog ici : http://voirdit.blog.lemonde.fr/2013/01/18/emile-despax-pensee-pour-lui-ce-17-janvier-2013-en-reference-au-17-janvier-1915-a-la-ferme-du-metz-de-moussy-verneuil-02/

Notons encore qu’une approche originale du parcours créatif de Jean de La Ville a été produite par Jérôme Garcin dans son roman ‘Bleus horizons‘, nrf, Gallimard, 2013, 224 p.

La « Lettre du Chemin des Dames », de bonne tenue, a également évoqué la vie et la mort de Jean de La Ville  par la plume de Guy Marival, Lettre n° 23 de l’automne 2011, p. 5-8.

D’autres renseignements vous seront accessibles sur Internet, par exemple et entre autres sur le site consacré au 57e RI par Bernard Labarbe qui publie les récits de son grand-père Raymond Labarbe : http://raymond57ri.canalblog.com.

Le mot de la fin avec Michel Suffran op. cit. p. 49 :

« Ne l’idéalisons pas. Ni stèle, ni piédestal. Donnons-lui ce qu’il demande, et rien de plus. Voilà. Accordons à ce jeune homme intact la place qu’il mérite et qu’il a conquise : non celle d’un gisant, non pas même celle d’un survivant… La place d’un vivant. Et non point devant nous mais parmi nous. Debout, juste au milieu de nous. »

 

5 réflexions au sujet de « Jean de La Ville de Mirmont tué le 28 novembre 1914 à Verneuil (Moussy-Verneuil), Aisne »

  1. Philippe de Bois-Guillaume

    Ce 29 novembre 2013.
    Bonjour cher historien-poète,
    Avec Apollinaire qui lui aussi nous ramène à la Grande Guerre, ces deux derniers vers de « Cors de chasse * » :
    « Les souvenirs sont cors de chasse
    « Dont meurt le bruit parmi le vent.
    Si les poètes meurent à la guerre et leur souvenir parfois parmi le vent, leurs poèmes courent toujours.
    Merci, ami, de le montrer avec ce beau poème de Jean de La Ville de Mirmont. Quant au livre de Jérôme Garcin, quelle écriture qui fait honneur à son auteur et au poète rappelé à notre mémoire !
    * poème publié en septembre 1912, inspiré par la rupture avec Marie Laurencin en juin précédent.

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    1. voirdit Auteur de l’article

      cher Philippe de Bois-Guillaume, ami des poètes et donc d’un autre Guillaume blessé le 17 mars 1916 aux Bois des Buttes sur la commune de la Ville-aux-Bois-les-Pontavert au pied de la colline du Chemin des Dames dans sa partie orientale au sud de Craonne, que de vers à réciter en hommage à tous ces écrivains morts à la guerre ou qui, par chance, ont échappé à cette mort attendue ! Rien qu’au Bois des Buttes sont passés Apollinaire, Dorgelès et de Gaulle et sans doute d’autres encore moins connus. Sans compter Yves Gibeau dont la tombe dans l’ancien cimetière de Craonne domine ce secteur de l’immense champ de bataille et qui a eu une grande part dans l’érection d’une stèle en hommage à Apollinaire en ce Bois des Buttes. Aujourd’hui grâce à internet on trouve assez aisément renseignements et photographies se rapportant à ces faits. Merci de suivre mes pérégrinations sur le Chemin et les sentiers car la géographie du secteur est propice aux sentes plus qu’aux grands axes.

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  2. un promeneur

    très belle et complète évocation. Quel gâchis ces années de guerre, combien de talents perdus …Comme l’éruption (inévitable ?) d’un volcan, aussi violente et incompréhensible en apparence – et cependant l’Histoire, les avant-propos, tous ces chemins menant vers le stérile affrontement (quels vainqueurs ?) et qu’on discerne maintenant -. Puis revenir au présent, lire alors les journaux comme des manuels d’avant-histoire, se dire parfois que nous sommes peut être dans l’œil d’un cyclone.

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    1. voirdit Auteur de l’article

      Ah, Promeneur ! j’espère que vous vous trompez et que nous ne sommes pas trop proches de l’oeil d’un cyclone mais l’historien sait que la longue période de tranquillité qu’a connue l’Occident s’achève sous nos yeux étonnés et qu’un basculement s’opère incontestablement. Jusqu’où, vers où ? Les témoins directs de 14-18 ont vécu tel chamboulement. Les plus aptes à l’écrire y ont trouvé parfois une féconde inspiration, ainsi peut-on suivre, par exemple dans la pensée de Pierre Teilhard de Chardin, toute une évolution à partir de son séjour sur le Chemin des Dames au printemps 17. Sa « grande monade » trouve en ces lieux l’origine de sa spirale évolutive.

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