Philippe Borrell et « la main de Massiges », in memoriam

Des circulations d’idées bâtissent aléatoirement ce blog nourri de passions et d’amitiés. En ce jour du 11 novembre mettons en avant Philippe Borrell que des liens ‘aliniens’, familiaux ou de localisation géographique font émerger soudain.

La lecture du dernier bulletin (n°36, octobre 2013) publié par l’Association des Amis du Musée Alain et de Mortagne m’apprend par la plume alerte de la Présidente Catherine Guimond dans ses ‘Lectures croisées Alain-Mauriac‘ que la vie de Philippe Borrell a croisé celle de Mauriac et d’Alain avant de se terminer dans le chaos de septembre 1915 en Champagne. En quelques lignes Alain puis Mauriac donnent à lire rapidement quels faits ont lié ce jeune homme à leur parcours. En fait ces deux auteurs célèbres ont oublié par accident ou délibérément jusqu’à l’existence de notre combattant et c’est de son dernier combat qu’il va être question ici en ce jour favorable à remembrance guerrière. Vous trouverez dans le bulletin cité ci-dessus les circonstances ‘littéraires’ propres à chacun (p. 86-87).

Philippe Borrell naquit à Bordeaux le 26 janvier 1890 et fut élève du lycée de Bordeaux de 1897 à 1906 en même temps que Mauriac. Il obtient l’agrégation de philosophie en 1913 après un brillant passage à l’E.P.H.E.S.S. et   à Normale Sup où Alain l’a connu.

Survient la mobilisation et la guerre *. D’abord en Lorraine son régiment, le 146 e d’infanterie dans lequel il officie en tant que capitaine se trouve en Champagne à partir de la fin août 1915 quand débute une bataille de reconquête voulue par l’Etat Major à partir du 22 septembre. Philippe Borrell commande le 2e Bataillon, 7e compagnie à environ 15 km au nord-ouest de Sainte-Menehould, à proximité de la bordure occidentale de la sylvestre Argonne. Après une intense préparation d’artillerie, l’une des premières de cette ampleur, son bataillon est chargé de prendre des tranchées allemandes puissamment fortifiées dans une zone de collines peu élevées mais très découpées et assises en un chapelet de buttes successives en forme de doigts de main et dans un contexte de  craie propre à cette région que la pluie forte des jours précédents a rendu particulièrement glissante et gluante. Nous sommes dans ‘la main de Massiges’ devenue si tragiquement célèbre dans les communiqués officiels.

Les Journaux de Marche et d’opération (JMO) publiés désormais sur le site bien connu des spécialistes et amateurs ‘mémoire des hommes’ rendent parfaitement compte de l’âpreté des combats et de la complexité stratégique de l’affaire. Ainsi en est-il du JMO 26N695/4 du 146e RI. La bataille s’engage en effet sur un front d’environ 25 km d’ouest en est, entre Aubérive et Ville-sur-Tourbe. Le relief, bien que modéré, cache nombre de replis de terrain aux artilleurs, contre-pentes exploitées par les Allemands pour y installer des abris sûrs que l’artillerie n’a pu détruire tous.

D’abord victorieuse sur la première ligne allemande la percée française va s’arrêter sur les secondes lignes au prix de pertes importantes. Dans ce contexte saisissant d’horreurs et de bravoure mêlées le bataillon de Borrell se déporte sur sa gauche et se trouve immobilisé par les mitrailleurs et l’artillerie ennemie. Le 25 septembre 1915 Philippe, 25 ans, tombe au champ d’honneur. On ne sait exactement où, il est porté disparu tout comme ce triste soir, 25 officiers sur 29 et 528 hommes de troupe sur 2260 pour ce régiment, l’un des composants de cette attaque. Médaille militaire avec croix, voilà tout. Toute cette boucherie pour en moyenne 4 km en profondeur de terrain récupéré sur l’ennemi qui perd dans la bataille 26000 prisonniers et 140 000 blessés, tués ou disparus sur l’ensemble du front de cette bataille de Champagne.

fiche signalétique au nom de Philippe Borrell, porté disparu le 25 septembre 1915 à Massiges

liste partielle (suite sur la page suivante du journal) des officiers blessés, tués ou disparus d’après le JMO 26N695/4 du 146 RI

circonstances et raisons de l’imparfaite reconquête du 25 septembre 1915 d’après le JMO du 146 RI en Champagne

Ces lignes sont bien peu pour rappeler ces faits qui pourtant ne guérissent pas l’Homme de sa folie meurtrière quand des événements la déchaînent. Notre  héros espérait sans doute un avenir autre, probablement d’exception, vu son parcours. Il n’a eu le temps d’écrire, encore élève, qu’un court article sur la notion de pragmatisme publié en 1907 dans la Revue de Philologie ainsi qu’une étude sur Spinoza publiée en 1911 chez Bloud et Cie.

Avant de mourir il a pu voir ces ciels profondément bleus de la Champagne autrefois dite ‘pouilleuse’, souvent non cultivée encore en 1915, sauf en finage des villages et parsemée de pinèdes. Une sorte de lande de forte amplitude thermique parcourue de moutons qui à certaines heures n’est pas sans évoquer des paysages de l’Oranais. Il l’a sentie sous ses souliers cloutés depuis le Perthois de Vitry jusqu’à ces terres à outardes plus au nord où les villages exposent leurs maisons de torchis et de bois bien protégées des toitures à faible pente débordantes, lignées de tuiles ‘canal’.

tuile canal employée en Argonne

aspect d’un toit couvert de tuiles ‘canal’ ou courbes, certaines sont encore surmontées d’un nez d’appui pour la tuile supérieure, comme plusieurs exemplaires trouvés en fouilles à Vanault-le-Châtel prouvent l’existence aux XIIe-XIVe siècles.

Après guerre nombre de villages ne seront pas reconstruits, tels Tahure, Hurlus, Mesnil-les-Hurlus, Perthes-les-Hurlus…

* Dans une lettre d’Alain à Elie et Florence Halévy datée du 30 septembre 1914 on lit : « Mon Borrell est blessé, convalescent à Nice« . Etat de fait qu’Alain avait du reste signalé le 28 septembre dans un courrier à Mme Salomon. Sources : Alain, correspondance avec Elie et Florence Halévy, nrf, Gallimard, 1955, p. 147 et note p. 419

Dans sa biographie d’Alain, André Sernin évoque les relations d’Alain et Borrell dans plusieurs passages et en particulier celui-ci : « L’autre ‘vétéran’ auquel Alain faisait allusion dans ses Notes de 1946, sans le nommer, est Philippe Borrell… …citation d’Alain = « Il était de tous le premier parti à la guerre, mais il n’alla pas plus loin que la bataille de l’Aisne (sic) ». la localisation est fausse dans l’esprit d’Alain en 1946 mais si le département de Massiges est bien la Marne, la rivière Aisne n’en est éloignée que de sept petits kilomètres.

André Sernin, Alain Un sage dans la cité, Robert Laffont, Paris, 1985, 478 p. Extrait p. 103

Si des lecteurs trouvent des renseignements plus précis sur cet élève d’Alain et relation de Mauriac, qu’ils veuillent bien me les communiquer.

7 réflexions au sujet de « Philippe Borrell et « la main de Massiges », in memoriam »

  1. PHILIPPE RAYMONDE

    j’effectue des recherches généalogiques sur ma famille mon arriere grand père est mort pour la France le 25 SEPTEMBRE 1915 il faisait parti du 23 ème régiment d’infanterie colonial je possède un document me disant qu’il est Mort pour la France ce jour il se prénomme ROGER Emile Hippolyte Ferdinand j’ai fait des recherches dans Mémoires des Hommes il n’apparaît pas je voulais la liste des Morts pour la France de la Ville de Massiges mais elle n’apparait nul part comme dans d’autre villes je vous remercie à l’avance si vous pouvez m’aider car je suis heureuse d’avoir retrouvé cet arrière grand-père

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  2. Henri

    Bonjour,

    Je m’intéresse à Philippe Borrell qui était un grand ami de mes grands-parents (je crois même que c’est par lui qu’ils se sont connus !) et serais intéressé par tout échange d’informations à son sujet.
    Cordialement

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      1. Michel Corteville

        Bonjour, joie d’en savoir sans doute un peu plus sur Borrell, de Mirebeau en Poitou (monument au mort) ainsi que Marie Borrell sa parente, auteur d’un rapport sur un fait religieux survenu a Mirebeau et conservé au Vatican; Dès que dactylografié il sera disponible à tous, merci de tous renseignements sur Borrell.

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    1. Michel Corteville

      Bonjour, joie d’en savoir sans doute un peu plus sur Borrell, de Mirebeau en Poitou (monument au mort) ainsi que Marie Borrell sa parente, auteur d’un rapport sur un fait religieux survenu a Mirebeau et conservé au Vatican; Dès que dactylografié il sera disponible à tous, merci de tous renseignements sur Borrell.

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