On a oublié que Marcel Proust qui aimait tant se coucher de bonne heure fut aussi un voisin délicat. Mais comment le savoir si ce n’est écrit quelque part et comment aurait-on deviné que cet auteur renommé ait pu écrire à une voisine du troisième étage lorsqu’il résidait 102 boulevard Haussmann à Paris ? La découverte récente de quelques lettres retrouvées et publiées chez Gallimard et disponibles à notre lecture et plaisir ce jour, comble cette lacune et pour nous Rémois nous dit l’attachement de Proust envers notre cité.
L’intérêt autre que littéraire, est que Marcel Proust donne dans une de ces lettres datable de Noël 1914 son point de vue sur la récente destruction partielle de la cathédrale suite à l’incendie provoqué par un bombardement allemand en date du 19 septembre 1914.
L’affaire a fait grand bruit et Reims devient alors le symbole de la barbarie germanique. Au reste, astucieusement, Proust assure que « le désastre de Reims, mille fois plus funeste à l’humanité que celui de Louvain – et à l’Allemagne d’abord, dont Reims à cause de Bamberg était la cathédrale préférée – n’est-il pas un crime aussi froidement conçu. »
De fait l’incendie de Reims est relaté partout dans la presse et différents supports écrits, figuré et photographié, pendant et après l’incendie. Marcel Proust analyse ensuite ce qui lui fait apprécier Reims, comparativement à Amiens, Chartres ou Paris. Il évoque également des séjours à Reims qui : « …tant que ma santé me le permet fais aux pierres de Reims des pèlerinages aussi pieusement émerveillés qu’aux pierres de Venise… »
J »aimerais trouver la trace de ces pèlerinages ! Non spécialiste de littérature ma mémoire n’a pas retenu de telles citations chez cet auteur et un rapide parcours de mes notes, une brève excursion chez des amis plus au fait ne m’apporte rien non plus. Attendons la sagacité de quelque érudit concitoyen pour expertiser l’anecdote.
Evoquant ‘le sourire de Reims‘ Proust est dans la mouvance de ce qui s’écrit en son temps ou peu avant (Emile Mâle puis André Michel en particulier) sur cette superbe cathédrale. Peut-être a-t-il lu également dans ‘Le Matin‘ en date du 21 septembre 1914 le bel article d’Albert Londres : « ils ont bombardé Reims et nous avons vu cela ! » où l’auteur établit également des comparaisons avec les cathédrales de Chartres et Paris ? Ce n’est qu’à cause de l’incendie et du bombardement volontaire que ce sourire va devenir à jamais ‘l’Ange au sourire‘. Cela dès 1915 à la suite d’un article du New-York Times relatant l’achat d’une tête d’ange de Reims par un riche industriel américain. Non fondée l’assertion déclenche des recherches à Reims et l’architecte Max Sainsaulieu retrouve la plus grande partie de la tête qui avait été mise à l’abri sitôt l’incendie par l’abbé Thinot. Cet ange, celui de Saint-Nicaise, la tête lui tourne et tourne désormais de par le monde, parfois en voisine de nos non moins célèbres bulles. On ne choisit pas ses voisins.
pastel réalisé par mes soins en 1996 avant que ne se soient répandues les reconstitutions virtuelles colorées sur les monuments. Ci-dessous l’ange au sourire projeté sur la façade de la cathédrale lors de l’une de ces soirées-spectacles par ailleurs évocatrices de certaines formes du passé, même si le contenu ‘scientifique’ est laissé de côté.
l’‘Ange au sourire’ tel qu’il sourit en 2013 sur le portail latéral nord de la façade de la cathédrale Notre-Dame de Reims
Alors, amis lecteurs, si vous trouvez chez Proust une allusion à ses ‘pèlerinages de Reims’ racontés autrement qu’à sa charmante voisine, Marie Williams, je vous serais reconnaissant de me le faire savoir.
-pour en savoir plus sur « l’Ange au sourire » vous pourrez lire nos bons auteurs historiens rémois aux références multiples sur le web, parmi lesquels MM. Patrick Demouy et Yann Harlaut.
-pour fréquenter la compagnie des principaux auteurs qui ont écrit sur ou autour de Reims la lecture de : Dominique Hoizey, Reims entre les lignes, Messene, 1995, 93 p. sera une excellente approche. On complètera utilement par un article récent du même Dominique Hoizey, précis dans sa documentation autant que par son écriture, sur son blog : http://lechatmurr.eklablog.com/recent . Il y expose une correspondance peu connue entre Romain Rolland, Stephan Zweig et Emile Verhaeren au sujet de la cathédrale de Reims. A lire absolument, y compris par des historiens.
un siècle plus tard, la reconstruction de la cathédrale deviendrait déjà objet patrimonial, ce que Proust et Albert Londres n’auraient probablement pas imaginé… Cette manie de la colorisation par la lumière, initiée il y a déjà longtemps par la mise en place des sons et lumières, a au moins le mérite de l’éphémère.
J’aimeJ’aime
Voilà une remarque d’importance, cet éphémère heureux. Je n’en étais point conscient avant d’avoir vu des reconstitutions de temples antiques in-situ, je dirais pour le meilleur et pour le pire, et surtout avant d’avoir vu des peintures appliquées sur des vestiges conservés. On ne fait plus cela aujourd’hui tant mieux. Pour l’hier je me suis laissé tenter, adolescent, par des projections sur le clocher de mon village depuis un toit plat de garage, cela vers 1962. Ce fut une surprise pour beaucoup même si le résultat était assez décevant vu l’éloignement du clocher par rapport à la puissance négligeable du projecteur.
J’aimeJ’aime
Tadié est décidément infatigable. Proust aurait bien aimé, je pense, ces dessins colorisés, supérieurs selon lui (l’idée lui venant de sa grand-mère) à la photographie en se sens qu’ils sont la marque de talents successifs incurvant et exhaussant l’original.
J’aimeJ’aime
Je désirerais vous adresser le catalogue d’une exposition que la bibliothèque municipale de Reims a consacrée à Proust et la Champagne, durant l’hiver 2013-2014. Quelques pages sont consacrées aux « pélerinages ruskiniens à Reims ». La lettre à Mme Williams est effectivement, à ma connaissance, le document qui en dit le plus long sur l’attachement que Proust avait pour Reims. Mais des allusions aux voyages de l’écrivain dans la Cité des Sacres parsèment la correspondance éditée par Philipp Kolb (voir notamment les lettres à Douglas Ainslie (hiver 1899), à Antoine Bibesco (1902) et à Mme Straus (1919) — où Marcel évoque « ce pays de Laon et de Reims où je suis si souvent allé »). Mais il y aussi dans La Recherche des allusions plus ou moins directes à la statuaire de la cathédrale rémoise… La preuve de sa bonne connaissance du « Saint Lieu » (le terme est de Mme Proust mère) est fournie par une lettre où Proust compare la « Médecine » du portail de Reims à celle de Laon : contrairement à la statuette de Laon, celle de Reims n’était reproduite dans aucun des ouvrages de chevet de Proust, et particulier l’Art religieux du XIIIe siècle en France d’Emile Mâle — lequel mentionne cette figure. Il ne pouvait donc l’avoir vue que sur place !
J’aimeJ’aime
Très touché par votre geste et votre lecture attentive de ce blog je vous remercie et vous contacterai directement. J’ai vu l’intéressante et très documentée exposition que la BM Carnegie a présentée.
J’aimeJ’aime