16 avril 1917 et les marches de Craonne aujourd’hui.

Chaque année des centaines de marcheurs guidés notamment par M. Noël Genteur, habité par le souvenir tragique d’avril 1917, parcourent les collines du Chemin des Dames dans les pas des combattants encore bien décelables dans les tranchées et trous d’obus du ‘Plateau de Californie’ et des espaces voisins. La déambulation mémorielle débute à 5 h 30 pour se terminer tard en soirée autour des croix illuminées du cimetière militaire de Craonnelle. Nous avons déjà évoqué ce fait et le 16 avril 1917 sur ce blog ici :

http://voirdit.blog.lemonde.fr/2008/04/14/16-avril-1917-lheure-h/

Cette année une trouvaille inattendue survenue en novembre dernier alors que je prenais un peu de sable cuisien sous l’étage lutétien de ma cave m’inspire ces lignes. En effet à peine avais-je pelleté en vue de planter des endives qu’un brodequin est apparu. Surprise, les godasses, godillots, croquenots et autres souliers de nos poilus sont d’ordinaire des fragments tout noirs, craquelés, cassants alors qu’en ces heures m’arrive une chaussure montante fort bien conservée, brun clair, encore un peu souple et pourvu des oeillets et clous caractéristiques de cet équipement indispensable au poilu. On reconnaît du reste à la semelle les modèles réglementaires de 1912, modifiés à plusieurs reprises, qui montrent une partie de l’avant de la semelle dépourvu desdits clous.

Surprise plus grande encore le soldat -qui était grand, la pointure est de l’ordre du 44, avait pris soin de garnir l’intérieur de son brodequin d’un fond de foin qui subsiste étrangement. La bonne conservation de cette sorte de relique tient au fait que le sable qui l’a remplie et entourée est un milieu sans oxygène, de faible humidité constante et quasiment sans variation de température.

brodequin de poiluavant du souliersemelle de brodequin de poiluEn ont-ils fait des kilomètres tous ces poilus dont certains ont achevé leur parcours dans les ravins qui jouxtent cette cave, ravins de la Dhuys et du Mourson, de Paissy, de Troyon…. !  Sans cesse affleurent sur ce champ de bataille des débris en tout genre qui témoignent de ces vies stupidement fauchées. Il n’est pas même nécessaire que la mémoire agisse par elle-même, sans raison apparente, chaque découverte fortuite nous entraîne dans le souvenir douloureux de ces quatre années de cauchemar.

« 22 septembre 1917. PC Frise*. Cette nuit aménagement de la tranchée de soutien. Mise à jour de macchabées, comme disent dans leur impitoyable argot les poilus : le sol est comme farci de cadavres. Partout où l’on fouille la pioche coule brusquement dans la pauvre chair humaine décomposée ; elle délivre subitement de cette terre maudite des bouffées de puanteur. … … Celui trouvé cette nuit a été enseveli le long de la tranchée. Il est couché dans le sens du nouveau tracé, et le hasard du creusement a fait apparaître, débordant  la paroi à hauteur de poitrine des passants, un pied dans son brodequin, une main dans son gant noir de chair décomposée… »     

* vers Troyon, Moulins, Paissy

Coeurdevey Edouard, Carnets de guerre 1914-1918, Plon, 2008, 932 p. (Extrait p. 630)

Pour conclure sur une note plus gaie voici ce que rapporte Joseph Tézenas du Montcel le 5 février 1917, depuis le Ravin de Troyon :

 » …Les huit coups de canons de la batterie de Paissy nous ont rappelé que l’heure du déjeuner approchait. Je suis revenu affamé -comme d’habitude- ! et j’ai trouvé le capitaine, pour qui le confort en campagne n’est pas un vain mot, très occupé avec son ordonnance à passer la revue de ses six paires de chaussures : il a la manie de la chaussure -manie qui se conçoit d’ailleurs chez un fantassin, et que je partagerais volontiers- et il y a quelque chose de touchant dans le soin qu’il leur prodigue.  »                   Joseph Tézenas de Montcel, L’heure H, Etapes d’infanterie 14-18. Economica, 2007, 404 p. (Extrait p. 103) 

après avoir tant marché, brodequins et bandes molletières aux pieds, le poilu s'assoupit.

après avoir tant marché, brodequins et bandes molletières aux pieds, le poilu s’assoupit.

Dessin de Sem dans ‘Un pékin sur le front’, Pierre Lafitte, 1917 et du même auteur : « … d’un petit pas nerveux, ils martèlent, égratignant le sol pierreux et des étincelles jaillissent de leurs souliers ferrés… »      

 

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