La « blessure de Vailly » et Joë Bousquet.

Vailly, qui se prononce ‘Véli’ est un bourg d’environ 2200 habitants situé à 18 km à l’est de Soissons et à 45 km à l’ouest de Reims. L’Aisne borde sa limite sud et le plateau du Chemin des Dames s’incline en de multiples découpes digitées sur son flanc nord. Au cours de l’Histoire sa position l’a souvent placé sur le trajet des troupes, 1914-1918 étant la période qui l’a vu presque totalement détruit.

Carte postale allemande célébrant la victoire de Vailly

carte postale allemande célébrant la victoire à Vailly le 31 octobre 1914

Prise et reprise la ville sera à nouveau sous le feu de l’ennemi lors de son avancée éclair du 27 mai 1918. Le général Ludendorff parvient quasiment à retrouver lors de cette offensive les positions allemandes de septembre 1914.

Dans ce contexte survient un épisode célèbre en littérature que l’Association du Patrimoine et de l’Environnement Vaillysiens mettra en valeur entre les 8 et 21 novembre prochain comme en témoigne l’affiche ci-dessous que j’ai conçue pour l’occasion.

Affiche relative à Joë Bousquet et Vailly

Nous appuyant sur l’aide du Centre Joë Bousquet de Carcassonne qui nous prête l’exposition relatant les deux rencontres entre Denise Bellon photographe et J. Bousquet en 1946 et 1947 et avec la participation des institutions représentées par leur logo sur l’affiche, nous présentons en effet un ensemble de photographies et de correspondances, moyen pour nous de mettre en avant et faire connaître l’événement singulier que fut la « blessure de Vailly » dans la vie littéraire de Joë Bousquet.

            Contexte affectif propre à Joë Bousquet en mai 1918 : 

Il a reçu trois jours auparavant, le 24 mai, une lettre de sa bien aimée Marthe qui lui fait part de la réaction de son père à l’annonce de leur amour, fait qui l’oblige à s’engager moralement. Il décide alors de la quitter et lui en fait part. Il se trouve donc en position de dépit et réagit en s’exposant inutilement à l’ennemi. Réaction isolée de sa part ? Non.

En juin 1917 et vers le même lieu il s’était déjà illustré par bravade, peu de temps après son baptême du feu le 16 avril 1917 car engagé le 10 janvier 1916, à l’âge de 19 ans, il n’avait pas encore eu l’occasion de combattre. Mais ce 2 juin 1917 donc, alors qu’il était en observation il prend seul la décision de tirer sur un Allemand de la tranchée adverse, ce qui déclenche une riposte immédiate et un assaut au cours duquel est tué son ami le sergent Canet et bien d’autres soldats français.

De plus en janvier 1918 il avait reçu une lettre de Marthe qui lui annonçait son intention de se suicider : sa réaction d’alors était encore et toujours la même, s’exposer et combattre. Par chance son engagement volontaire dans le combat lui vaut cette fois non la mort mais une nouvelle citation à l’ordre de l’armée.

      Toujours est-il qu’on est en présence d’un jeune combattant audacieux prêt à tout pour prouver sa bravoure et pensant de cette manière contrôler des sentiments personnels qui ont pour objet la passion amoureuse. Dit d’une manière plus abrupte cela donne : la mort il l’a bien cherchée ! Et de tout cela nous avons la preuve en recoupant tous les témoignages qu’il a lui-même donnés à ses correspondants et visiteurs au cours de sa vie d’écrivain et d’amateur d’art. On ajoute encore, s’il le fallait, que ce jour du 27 mai notre jeune homme (21 ans) agité portait une paire de bottes rouges, sans doute un modèle du genre : ‘bottes d’aviateur’ et de couleur sans doute plus proche du fauve que du rouge vif. Une façon bien voyante en tout cas de monter à l’attaque, plus proche de la tenue flamboyante des premiers mois de la guerre que des vêtements bleu horizon portés peu à peu depuis l’année 1916. 

Conséquences de « la blessure à Vailly » :

     Paralysé des membres inférieurs J. B. passera le restant de ses jours dans sa chambre aux volets fermés de la rue de Verdun ou dans quelques rares lieux proches. Il entre progressivement en littérature et fait du même coup entrer « la blessure de Vailly » dans la littérature française et internationale.

      Hier 8 novembre nous inaugurions cette exposition racontée ci-dessous par quelques instantanés numériques faisant écho en quelque sorte aux clichés argentiques de Denise Bellon  :

 Mme Annick Venet, Maire et M. Jean-Marie Lebrun, Président de l’APEV

partie de l’assistance

 quelques panneaux de l’exposition photographique

Joë Bousquet par Denise Bellon en 1947

 Joë Bousquet par Denise Bellon en 1947, collection du Centre J. Bousquet de Carcassonne

     Au moment où J. Bousquet fait retour dans la littérature par la publication récente de « Lettres à une jeune fille » par Nicolas Brimo chez Grasset, Vailly-sur-Aisne s’honore d’être associé aussi vivement et douleureusement à la littérature du XXe s. et notre association s’active pour que localement la vie et l’oeuvre de ce poète, écrivain et résistant, amoureux épistolaire des jeunes femmes faute de pouvoir l’être physiquement et passionné d’art, soit mieux connue et demeure vivante.

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     Parmi les nombreuses pages consacrées à J. Bousquet sur le Web on retiendra par exemple la présentation du Centre Joë Bousquet et la Maison des Mémoires de Carcassonne par le Conseil Général de l’Aude :

http://www.cg11.fr/www/contenu/perspectives/P131-05.pdf

Le blog très riche et précisément documenté ‘choses lues, choses vues’ de M. Alain Paire, galeriste et critique d’art aixois qui évoque dans plusieurs notes la singularité de Joë Bousquet, notamment dans un entretien avec Louis Pons ici :

http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=35:louis-pons-parle-de-joe-bousquet-et-de-gerald-neveu&catid=7:choses-lues-choses-vues&Itemid=6

http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=273:1928-1950-max-ernst-et-joe-bousquet&catid=7:choses-lues-choses-vues&Itemid=6

le site personnel très synthétique et à caractère pédagogique suivant :

http://poete.villalier.fr

La présentation de notre exposition par le Conseil Général de l’Aisne :

ici

Une évocation personnelle de Joë Bousquet sur le blogue original, littéraire et aux mille facettes que voici :

http://le-blog-a-vincent.blogspot.com/     (note en date du 7 août 2009)

14 réflexions au sujet de « La « blessure de Vailly » et Joë Bousquet. »

  1. Mathilde

    « Dans la mesure où il s’accepte , l’homme s’enfonce dans la profondeur de sa nature qui est négation. Ainsi , ne sois pas toi si tu ne veux être perdu.
    « Tu sais que ce n’est pas la recherche du bonheur qui le grand mobile des actions des hommes, mais le souhait inhérent à chacun de tes actes . « Ne pas être celui que je suis  »
    Joë Bousquet , un poète qui m’accompagne depuis longtemps.

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  2. voirdit

    Comme il doit être précieux d’être accompagnée par un tel narrateur ! S’il avait pû vous connaître peut-être seriez-vous devenue Poisson d’Or ou Linette ? Ce poète a la réputation d’être difficile. Une première approche incline à penser cela. Une autre, ou seconde, peut faire changer d’avis et des poèmes comme ceux de La Connaissance du Soir, ou encore des lettres sont, me semble-t-il, d’un accès un peu plus aisé. Dans tous les cas notre bourg s’honore de ce messager qui n’avait évidemment pas choisi ni le lieu ni l’heure. Amitiés, JP

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  3. jeandler

    Très émouvante note touchant ce village. Que d’existences fauchées, la fleur au fusil! Absurdité pérenne, alors qu’il y a tant de combats à mener de par le monde.

    Avec mes remerciements pour une identification. Je désespérais de mettre un nom sur cette rencontre.

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  4. voirdit

    à Pierre,
    Depuis quelques milliers d’années l’humanité ne parvient guère à se débarrasser du phénomène de la guerre, comme s’il était irrémédiablement lié à notre condition et bien que le seul combat qui vaille soit celui de la paix. Toutefois ne désespérons pas car des améliorations sont visibles, à commencer par l’Europe ou peu s’en faut.

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  5. Vincent Steven

    … mais que savons-nous vraiment de ce Joé Bousquet-là et de la (vraie) blessure de « Vailly » (prononcer « Velly » et non pas « véli »— « à Vailly en vélo, à Paris en paro », Pseudo-Prévert — et de cette rencontre improbable et « initiatique », là, ce jour de mai 1918, avec cette autre-même, Max Ernst ? Qu’en savons-nous ?
    « Honorer » Bousquet, à l’occasion d’un 90e anniversaire (de quoi ?), ici, en ce non-lieu d’infinie souffrance, d’infinie Histoire — d’absurdité humaine — que fut Vailly, c’est oublier que sa conviction, sa sensibilité, sa révolte, intimement encore, refusaient tout cela… (En ce temps-là, le pacifisme était révolutionnaire !) N’est-ce pas Tristan Tzara, n’est-ce pas André Breton, vous, ses amis ?
    Commémorer, quel drôle de mot qu’on n’arrive pas à mastiquer.
    Décidément, l’Histoire (avec sa grande hache, P. Desproges) reste écrite par les vainqueurs… ; tandis qu’à la guerre, ce sont toujours les mêmes qui meurent… N’est-ce pas Joé Bousquet, et vous, bons à rien et à mourir de son unité disciplinaire, qui l’avez, contre son gré, sauvé ?!

    V.S.

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  6. voirdit

    à Vincent,
    Les historiens commémorent des faits précis. Dans le contexte de la blessure de J. Bousquet la date est connue et les 90 ans y font référence. Quant à la blessure elle-même J.B. la replace sans cesse dans ses différentes oeuvres, ne la localisant jamais très précisément sauf à dire ‘devant Vailly’. C’est un peu seocndaire par rapport à la souffrance accumulée. Mais laisser croire que J. B. fut pacifiste pendant cette guerre est une approche périlleuse. Ultérieurement oui, tout à fait. De même qu’il fut réistant à sa manière lors du second conflit. Quant à la rencontre avec Ernst ce fut une rencontre de combattants qui ne se sont pas identifiés, encore moins reconnus. Quand ils se sont rencontrés ils ont constaté qu’au dit jour de cette blessure, ils se trouvaient l’un en face de l’autre au milieu de leur armée et ont cru renforcer ou fonder ainsi ultérieurement leur amitié. Rien de plus, rien de moins. Car J.B. croyait aux signes qu’il découvrait ou fabriquait. Au reste tout écrivain élabore et construit des systèmes, fonde et crée des paysages mentaux à partir d’un existant. Merci de vos remarques. JP.

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  7. Vincent Steven

    Bonjour,

    Je n’en disconviens pas. En effet la réalité de l’écriture, c’est de produire du symbolique, et c’est sur ce symbolique-là que l’imaginaire (littéraire notamment) déploie ses ailes et prend son envol (cf. Gaston Bachelard).

    Encore moins écrivain qu’historien, le Général Vignier lui-même n’échappe pas à la symbolique de l’Histoire et à l’imaginaire qui s’en échappe. Sans doute n’avait-il pas lu Freud mais il a su merveilleusement rêver Vailly.

    Par ailleurs, ce n’est pas pour rien que du fond d’une existence que l’on dit « re-tranchée » — excusez du peu ! — Joé Bousquet a pu persévérer dans un travail d’écriture dont, par exemple et entre autres, André Breton a bien saisi l’importance et l’acuité. Sonne carcasse !

    Quant à la vraie nature du pacifisme de J.B., à l’improbable rencontre avec Max Ernst, à Breton, Dada, la révolution surréaliste, etc., la question reviendra bien sur le tapis.

    Autre question pertinente ou impertinente : Vailly va-t-elle maintenant s’attaquer à la commémoration de Roland Dorgelès et de ses « Croix de bois » ?

    Très sincèrement vôtre.

    V.S.

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  8. voirdit

    à Vincent,
    Le surréalisme à nouveau sur le tapis, sans aucun doute, mais peut-être pas sur un tissage vaillysien. Pertinence de commémorer Dorgelès ? Peut-être, mais qui dit que ‘les Croix de bois’ serait l’approche la plus originale ? Impertinence de poser la question : peut-être aussi. Là encore tout dépend de l’approche. Que commémorer en effet dans un bourg de 2000 habitants, qui soit à la fois suffisamment attractif, correctement vulgarisé et apte à ne pas déclencher trop de polémique sans rechercher forcément un franc consensus ? Si littérature et histoire me semblent spécialement accordées aux manifestations mémorielles, encore convient-il qu’une certaine logique prenne le pas sur le fait cérémoniel., du moins si l »on recherche la durée dans l’action. Je crois que les maires de ce type d’agglomération se posent ces questions ; de toute manière ils se croient souvent seuls autorisés à trancher, d’autant que la loi les y autorise. Et que vaut un sondage d’opinion si l’avis des consultés n’est pas suffisamment éclairé ? Alors forcément les appellations, parrainages et fêtes reflètent l’opinion commune du temps, à moins que des intellectuels aient su convaincre le peuple de la prééminence de leur juste pensée étayée par de forts discours, d’élégants et fermes écrits. Vaste programme et bonne réflexion ! JP

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  9. Vincent Steven

    Bonsoir,

    Pour ce qui est du surréalisme, je n’adhère pas : le surréalisme s’alimente du surgissement impromptu, à Vailly comme ailleurs… D’ailleurs, je vis ‘surréalistement’ à Vailly… quand j’y suis — L’éclairage ‘Bousquet’ n’y est pas pour rien… mais ce n’est pas la seule raison.

    La question de la commémoration ‘Dorgelès’ n’est pas une provocation…, la question de la ‘rentabilisation’ locale en est une autre.

    Oh, la république des intellectuels, j’y crois encore…, tout comme
    je regrette la démission de beaucoup (trop) d’intellectuels de leur responsabilité (d’intellectuels)… Quant à l’efficacité démocratique des ‘forts discours, élégants et fermes écrits’ (merci Jaurès !), j’en doute de plus en plus, hélas !

    Vaste programme, en effet.

    V.S.

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  10. Corinne

    Bel hommage rendu!
    j’ai trouvé de très belles phrases de cet auteur que je ne connaissais pas écrites par lui surle site que tu as mis le lien:

    « La poésie n’est plus un reflet de l’homme: elle a le poids de son être et porte tous les traits de sa destinée »

    « La poésie est la langue naturelle de ce que nous sommes sans le savoir »

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  11. voirdit

    à Corinne,
    Toujours agréable de te lire et ici de voir qu’une nouvelle lectrice découvre ce poète et écrivain encore assez peu connu en France. La définition qu’il donne de la poésie et que tu as trouvée est révélatrice de son travail introspectif et de son vif regard sur le monde. Malgré ses souffrances et la paralysie partielle il a su découvrir et conserver un parcours humain peuplé d’amitiés et de lueurs d’espérance. Comme un message de Noël en quelque sorte, qui se serait fixé sur l’instant d’un rêve. Joyeux Noël à toi et aux tiens, ainsi qu’aux lectrices et lecteurs de ce blogue, JP

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  12. Ping : L’AMOUR, LA MORT ET LE HASARD [DE JOÉ BOUSQUET] | EXCENTRIC-NEWS

    1. voirdit Auteur de l’article

      Merci pour ce commentaire « d’amical voisinage ». J’invite surtout mes lecteurs qui veulent compléter leurs informations relatives au contenu de ce blog à se rendre sur les blogs des auteurs de commentaires. Les lignes que VincentStevens consacre à Joë Bousquet dans ‘excentric-news’ sont plus qu’un complément à mes lignes, elles vivent. Son blog n’effleure pas comme le mien, n’est pas une approche de surface, il entre dans le vif de ses sujets quand celui-ci n’est qu’une tentative d’approche d’un thème avec pour mission première de vulgariser correctement et si possible avec légèreté et humour, au moins quand le motif s’y prête…

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