De l’aube à l’aurore ou des lueurs aux couleurs

Avez-vous déjà observé, en ces jours les plus longs leurs commencements et en ces nuits les plus courtes leurs disparitions ? Le passage de la nuit au jour a ceci de singulier qu’il emplit votre observation au point d’en annihiler le principe d’analyse : tout va très vite et se fixer sur un élément dérange la compréhension de l’ensemble. La photographie peut-elle aider ? Sans doute mais le rendu peu fidèle des couleurs par manque de lumière nuit (c’est le cas de l’écrire…).

Il faut rappeler d’abord le sens des mots : l’aube précède l’aurore, l’aube est affaire de lueurs. On n’y voit goutte mais on perçoit déjà des lueurs qui permettent l’identification de quelques formes. Il est 4 heures 8 minutes 42 secondes (heure légale en France), clic-clac voici le résultat :

aube du premier juilletPhotographie : f/2,8 ; 1/15 s. ; 6400 iso. Les deux suivantes sont prises dans les mêmes conditions techniques. On commence à distinguer les lignes du paysage et la forme des végétaux qui se découpent sur un ciel bleuté ; le vert de la végétation apparaît sur le fond de ciel le plus clair et sur certains reflets du feuillage, selon les espèces. Il s’agit bien de l’aube telle que définie dans les textes de maints observateurs depuis l’Antiquité. La coloration d’ensemble (et non des couleurs précises) est blanchâtre à bleutée, imprécise.

Le temps de noter et de réfléchir puis une minute plus tard tout bascule :

entre aube et aurore d'un premier juilletIl est 4 heures 09 minutes 34 secondes. Le ciel prend des tons bleus plus marqués qui font ressortir des tons rosés en lisière de ce bleu ou jaunâtres vers les verts mieux définis dans les lumières qu’à la minute précédente. Sur la roche calcaire que je sais parsemée de différents ocres certaines couleurs peuvent être observées et nommées. Toutefois un nuancier chromatique photographié dans la minute qui suit et dans les mêmes conditions techniques montre que toutes ses teintes ne sont pas encore identifiables :

couleurs entre aube et auroreOn parvient à isoler relativement bien certains bleus et violets, des jaunes et ocres et difficilement la gamme des verts et des rouges. Pour comparaison optique nous donnons ci-dessous ce nuancier photographié à 9 heures 26 minutes ce même jour et tempéré par charte de couleurs :

L’oeil est donc trompé quand il croit déceler beaucoup de couleurs à l’apparition du jour c’est à dire à l’aurore, moment pourtant où les roses, les ocres et des bleus commencent à illuminer la clarté du jour naissant. L’aurore a des couleurs que ne connaît pas l’aube.

Des écrivains, des peintres, des soldats en campagne, des ‘chemineaux’ ou marcheurs connaissent l’émotion de ces instants. Je retiens le célèbre Robert-Louis Stevenson qui avec Modestine contemple les Cévennes et note ses impressions de voyage en 1879. Il exprime le dernier temps de la nuit. Rappelons qu’à la même époque des peintres créent le mouvement  ‘impressionniste’ dont l’une des toiles fut presque involontairement nommée : ‘impression, soleil levant’ ; école ou courant qui s’appuie en particulier sur l’observation des couleurs physiquement explorée antérieurement par les travaux de Chevreul.

….Il s’y découvrait un gris rougeâtre derrière les pins jusqu’à l’endroit où apparaissait un vernis d’un noir bleuté entre les étoiles. …je portais une bague d’argent, je pouvais la voir briller doucement, lorsque je levais ou abaissais ma cigarette…Le monde extérieur de qui nous nous défendons dans nos demeures semblait somme toute un endroit délicieusement habitable. Chaque nuit, un lit y était préparé, eût-on dit, pour attendre l’homme dans les champs où Dieu tient maison ouverte. »

Et l’aurore, vue par Chateaubriand, quelque part vers Arlon en septembre 1792, lorsque blessé et malade il quitte « l’Armée des Princes » pour gagner bientôt Jersey :

… « Je me levai néanmoins dans l’intention de faire ma cour à l’aurore : elle était bien belle, et j’étais bien laid ; son visage rose annonçait sa bonne santé ; elle se portait mieux que le pauvre Céphale de l’Armorique ».

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1ère partie, Livre VII.

C’est avec ces formulations très inspirées que je clos cette note, vous incitant sinon à marcher comme Stevenson, du moins à prendre le temps, l’un de ces matins, entre aube et aurore,  de décrire vous aussi ces précieux instants où l’émotion prend le pas sur l’observation et que l’univers entier semble offert à votre contentement. Simple, gratuit, onirique et hautement mémorisable. Essayez donc !

6 réflexions au sujet de « De l’aube à l’aurore ou des lueurs aux couleurs »

    1. voirdit Auteur de l’article

      à Lignesbleues,
      Merci de souligner l’oeil aux aguets, qui serait novateur et précis de surcroît. Je finis par rédiger presque comme si cela allait de soi, derrière l’observation. C’est bien l’observation la clé de toute nouvelle ouverture au monde. Que de fois ai-je lutté pour en imposer la nécessité première au monde de l’enseignement : elle n’est jamais assez mise en valeur parmi les facultés développées par le système éducatif, ne serait-ce que par la difficulté qu’on a à l’évaluer. Quand vous serez auprès de vos sureaux, cherchant les oreilles, notez bien les nuances d’odeur que dégagent l’écorce et les rameaux, vous qui décelez si bien les senteurs marines, les évoquez talentueusement dans les registres de la mémoire, mais les ‘oreilles de Judas’ n’aiment rien tant que les odeurs d’outre-tombe…

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  1. jody

    Si je devais écrire un des plus beaux poèmes sur la nature l’amour la paix, je choisirais plutôt le mot aube et non aurore, l’aube c’est un mot plus joli si on veut parler de la rosée du matin, de la nature qui se réveille, de la colombe blanche qui vole dans le ciel, de la découverte du premier amour quand on est adolescent.

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    1. jpbrx Auteur de l’article

      Merci pour votre commentaire et je regrette cette faute que je m’empresse de corriger, sympa de me la signaler. Même avec attention on laisse passer, pour diverses raisons, la plus naturelle étant une sorte d’autocorrection mentale, surtout à l’écran. Belles observations, matin ou soir selon l’humeur du jour !

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