Selon ce qui est quasiment devenu une habitude, voire une coutume, nous avons le plaisir d’accueillir pour la ronde du 15 mars la contribution de M.- Christine Grimard : ‘Promenades en Ailleurs’ — https://mariechristinegrimard.wordpress.com/
Le thème de la ronde s’appuie sur le mot « cuisine(s) et l’incipit : « ils vont où les oiseaux ? » Pour ma part je serai accueilli par Jacques, ‘la vie de Joseph Frisch’ : https://jfrisch.wordpress.com/
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« Ils vont où, les oiseaux, maman, quand l’hiver revient ?
Ils se cachent au fond de leur nid ?
Ils s’envolent jusqu’au bout du ciel ?
Ils partent pour les îles ?
Dis maman : ils vont où les oiseaux ? »
L’enfant, le menton dans les paumes, regarde l’oiseau noir posé sur la fenêtre de la cuisine. Le petit animal réchauffe ses plumes au premier soleil de mars. Il déploie ses ailes, les secoue puis les replie. Il regarde sans crainte l’enfant qui l’observe. Au moindre geste inquiétant, il lui suffirait de s’envoler. Ses ailes sont sa planche de salut, elles ne lui ont jamais fait défaut. Mais il n’en aura pas besoin, il a vu le regard de l’enfant. Il sait qu’il l’aime. Il n’a rien à craindre.

L’enfant chantonne pour l’oiseau :
« Il est allé où, l’oiseau, posé là sur mon balcon ?
Il est allé dans les îles pour goûter à la vanille
Il est allé dans la plaine pour tricoter de la laine
Il est allé dans la brume pour lisser ses belles plumes
Il est allé sur la mer pour trouver des éphémères
Il est allé en forêt pour y cueillir des bleuets
Il est allé au marché pour trouver sa fiancée
Il est venu par ici pour devenir mon ami. »
Maman s’approche, le sourire aux lèvres. Son petit poète a bien du talent ! Il déroule les mots comme un peintre étale ses couleurs. Il entend son pas et se tourne vers elle :
« Ecoute, écoute, Mamounette, ma chanson pour l’oiseau !
Tu crois qu’elle lui plaira ? Tu crois qu’il m’aimera ?
Oh, il est parti…
Tu crois qu’il reviendra demain ?
Je voudrais qu’il soit mon ami !
Et toi, tu l’aimes ma chanson ? »
La mère entoure ses épaules de ses bras. Elle est si fière de lui. Elle lui murmure à l’oreille :
« Elle est très belle ta chansonnette mon poussin. Belle et douce comme ton cœur. L’oiseau l’aime beaucoup, je l’ai vu dans ses yeux. Il reviendra demain et les autres jours pour que tu lui chantes encore. Et il chantera avec toi, tu verras… »
L’enfant ferme les yeux. Il rêve qu’il vole avec l’oiseau. Il appuie sa joue contre le bras de sa mère. Elle sent si bon. Son parfum le berce, mélange de cannelle et de jasmin.
L’air est doux, on sent que le printemps arrive.
« Tu sens la fleur de sucre, maman. Tu sens bon comme le printemps ! »
« C’est parce que je t’ai préparé des petites surprises sucrées pour le goûter. Elles seront bientôt cuites, il suffit d’un peu de patience. »
L’enfant fait la moue. Il n’aime pas le mot « patience », un mot qui signifie qu’il faut attendre son plaisir. Un mot qui montre que l’on a du temps devant soi. Il sait qu’il n’a pas de temps à perdre. Il a tant de choses à voir, à entendre, à goûter. Il n’est pas sûr d’avoir tant de temps à vivre. Demain est si loin et le monde est si grand.
« Mamounette, claque tes doigts et ça sera prêt ! »
Maman sourit. Elle jette un coup d’œil vers le four où des cannelés dorés caramélisent doucement. Encore quelques minutes et la cuisson sera parfaite, ils seront craquants à extérieur et moelleux à l’intérieur, doux et savoureux comme le miel à peine sorti de la ruche.
« La cuisine c’est de l’amour et c’est aussi du plaisir à partager, toi et moi. » dit-elle en berçant l’enfant.
« Ta cuisine c’est de la magie, Mamounette. Répond l’enfant. Tu mélanges des choses bizarres dans un grand pot, tu claques des doigts et c’est parfait ! »
« Même la magie a besoin de temps, mon poussin. Une grande dame nommée Colette qui aimait les animaux autant que tu les aimes, disait : « Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine. »
« Tu vois, dit l’enfant, j’avais raison. Ta cuisine, c’est de la magie ! »
Maman, sort les cannelés du four. Un parfum de sucre mêlés de fleur d’oranger embaume la cuisine. Le regard de l’enfant est doux comme le goût du plaisir qu’ils partageront bientôt. Elle n’oubliera pas ce regard, celui de l’amour infini qu’ils ont l’un pour l’autre. Un amour plus fort que le temps.

L’homme pose le sachet sur la tablette. La vieille dame se redresse sur ses oreillers. Elle regarde ce grand jeune homme et le trouve très beau.
« Vous êtes très beau, jeune homme, lui dit-elle. Qui êtes-vous ? »
Il ne relève pas, lui sourit et sans se décourager, lui dit :
« Regarde, Mamounette, je t’ai apporté des cannelés. Ils embaument la fleur d’oranger. »
Sa mère ouvre le sachet. Elle se délecte du parfum qui s’en dégage. Son regard pétille. Elle sort un cannelé et le tend au jeune homme, puis se ravise, le dévisage et lui dit :
« Tiens mon poussin, ils ont l’air très bons ces cannelés. Je ne me souviens pas les avoir sortis du four, même s’ils sont encore tièdes. Tu t’es bien amusé à l’école aujourd’hui ? Raconte-moi pendant qu’on partage le goûter. Après, on ira voir si l’oiseau est revenu pour écouter ta chanson. »
L’homme la regarde, un peu interdit. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas prononcé autant de mots à la suite. Elle ne parlait plus depuis quelques semaines. Il prend le cannelé qu’elle lui donne et le pose au coin de la table, puis la serre dans ses bras et l’embrasse. Elle se blottit contre lui. Il fait durer l’étreinte, il est inutile qu’elle voie les larmes qui coulent sur sa joue. Puis elle s’écarte de lui et dit :
« Tu vois, mon poussin, Colette avait raison, la cuisine c’est de la sorcellerie ! ».
Texte et photos : M. Christine Grimard