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Giboulées en février

ça se couvre !« Le temps se couvre, ça se gâte ! Entend-on sur le zinc, en même temps que : « y a plus de saison ou le temps est détraqué ! » Fichtre alors. Serait-ce un effet du réchauffement climatique qui déclenche un mois à l’avance ces célèbres perturbations cycliques nommées ‘giboulées de mars‘ et que nos voisins anglais si originaux de caractère disent d’avril ?

Toujours est-il qu’hier 12 février et déjà lundi et mardi dernier des nuages chargés de lourdes gouttes puis de grésil lachêrent sur nos contrées de copieuses draches ; cette fois c’est le Belge qui s’exprime dans ce terme évocateur, allusion certaine à ces autres tournures signifiantes de « vache qui pisse » ou de « bâche qui perce« . Le mot ‘giboulée’ serait quant à lui la déformation de l’occitan « giaconda« .

De l’horizon sud, entre Mont de Fléau et Plateau de Madagascar qui bordent les rives de l’Aisne au niveau de la bourgade Bourg-et-Comin cavalcadent vents et nuées qui voilent d’or un pâle soleil d’hiver.

averse

entre or et nacre on ne sait trop qu’admirer en premier

Puis s’exprime le déluge, la vitre extérieure du double vitrage en est toute troublée tandis que le cliquetis léger propre au grésil grésille. Derrière le rideau de pluie le paysage a disparu de ma vue.

la drache

Cependant le filtre polarisant, ajouté au violent contre-jour, produisit un bokeh inattendu bien que prévisible : la faible lumière d’hiver impliquait une grande ouverture et donc une courte profondeur de champ favorable à ces effets parfois agréables. Au reste, une fois le soleil en faction cet effet se teinta, en rappel à la situation antérieure, de merveilleuses franges dorées.

L’atmosphère lumineuse me renvoyait alors de mémoire au Victoria and Albert Museum vers les toiles ‘atmosphériques’ de Frederik Walter, imprécises dans mes souvenirs, tandis que la forme des gouttes déformées en pastilles et leur positionnement sur la toile

gouttes d'or me rappela immédiatement une oeuvre de Redon que je savais où trouver. Cela se fît en effet lorsqu’ayant tiré d’un rayon l’ouvrage : « Redon » par Anne Marie Mascheroni, Edda Fonda et Florence Cadout, CELIV, 1989, n°44, je découvris de nouveau avec plaisir la toile intitulée « l’Arbre rouge » sur laquelle la floraison disperse sur les branches des gouttes florales argentées si proches de celles dorées de la vitre :

Odilon Redon, l'Arbre Rouge

Odilon Redon, l’Arbre Rouge, collection particulière.

Tout cela parce que mémoire et instant se confondent à la faveur de variations ‘climatériques’ infinies et que les sentiments qui affluent en surface de pensées s’alimentent dans les mélanges de tonalités que culture et événements tricotent sur une trame légère et aussi mouvementée que nos giboulées de mars qui pointent le museau en février.

Ours et cerf affrontés sur la façade de Notre-Dame de Vailly-sur-Aisne

localisation des deux sculptures sur la façade

localisation des deux sculptures sur la façade

Perchées au-dessus des contreforts latéraux du portail principal de l’église paroissiale deux sculptures très usées par le temps exposent deux animaux dont l’un se rencontre dans nos mémoires (excepté là où il a été réintroduit) et l’autre dans nos grandes forêts. Il s’agit de deux espèces qui partagent avec l’homme une longue destinée et qui ont marqué les esprits par des récits colportés au fil des siècles, des légendes et toute une imagerie.

ours tenant dans sa gueule un animal (mouton ?)

ours tenant dans sa gueule un animal (mouton ?)

dessin d'interprétation des deux sculptures

dessin d’interprétation des deux sculptures

Sur le contrefort central de gauche, « à tout seigneur tout honneur » : l’ours.

Il tient dans sa gueule un agneau. Il fut durant des siècles le roi des animaux, devant le lion. Mais au moment où est construite la façade de l’église, vers la dernière décennie du XIIe siècle, tel n’est plus le cas. Sa chasse fut vivement appréciée dans l’Antiquité, tout comme celle du sanglier, ce sont des animaux assimilés au guerrier, porteurs de courage et d’audace virils. Puis à partir du VIIIe siècle et jusqu’au XIIe siècle, l’Église va provoquer la chute de l’ours pour le remplacer par le lion, porteur d’une culture méditerranéenne et biblique encore présente au sud de l’Europe. D’animal prestigieux l’ours va devenir animal ridicule de foire, à moins qu’un personnage doté de sainteté ne vienne à l’apprivoiser, soulignant ainsi la puissance divine sur la nature et le passage de la bestialité à l’humanité. Ainsi les saints Colomban, Corbinien, Gall, Rustique et Vaast relient l’ours à un épisode de leur vie.

ours dressé par saint Corbinien, broderie contemporaine par Sœur Marie-Dominique, bénédictine de l'abbaye de Limon, cathédrale de la Résurrection d’Evry

ours dressé par saint Corbinien, broderie contemporaine par Sœur Marie-Dominique (bénédictine de l’abbaye de Limon), dans la cathédrale de la Résurrection d’Evry

Des théologiens à la suite de saint Augustin, « Ursus est diabolus » font de l’ours un représentant du Diable, décrié qu’il est dans plusieurs versets bibliques. À la fin du Moyen-Age, l’ours devient même l’illustration de quatre péchés capitaux sur sept : colère, luxure, paresse, goinfrerie ; seule sa femelle est parfois revêtue de qualités, comme l’est aussi celle du léopard, les seuls rivaux du lion dans les bestiaires. L’ourse est bonne mère quand l’ours est voleur et violeur.
Largement entamée dans les premiers siècles du Moyen-Age la déchéance de l’ours va être proclamée dans les deux derniers par la propagation rapide et étendue de ses méfaits, transmise en particulier par le célèbre « Roman de Renart ». Même si parfois Brun le baron négocie en diplomate, représente Noble son roi ou devient chef d’armée, il est avant tout porteur de naïveté, maladresse et stupidité dont se gausse Renart le goupil.

cerf broutant, sculpture

cerf broutant parmi les rameaux

En vis-à-vis, au-dessus du contrefort central de droite, un cerf qui broute dans les rinceaux, bois étendus le long du col.

La chasse du cerf fut vilipendée durant l’Antiquité. Ce gibier n’est pas courageux, sa viande est molle et peu hygiénique : « Tu laisseras le cerf au vilain », conclut le poète Martial au premier siècle. Cette mauvaise réputation va durer longtemps et ce n’est guère qu’au XIIIe et surtout XIVe siècle que le cerf va devenir l’espèce la plus noble à chasser. Le plus célèbre traité de vénerie français rédigé dans les années 1387-1389, le « Livre de chasse » de Gaston Phébus, comte de Foix, met spécialement en avant la chasse à courre de ce gibier et bien d’autres témoignages écrits vont dans le même sens, le cerf est devenu gibier royal par excellence. L’Église, généralement opposée à la chasse va privilégier, comme pis-aller, la chasse du cerf plutôt que celle du sanglier ou de l’ours. Elle s’appuie en outre sur les Pères de l’Église et la tradition latine pour mettre en avant l’aspect solaire du cerf, médiateur entre le ciel et la terre. L’hagiographie met en scène des saints et un cerf porteur d’une croix lumineuse entre ses bois, ainsi Hubert ou Eustache, chasseurs repentis. Et surtout, le cerf renvoie à un verset biblique très commenté : « Comme le cerf après l’eau vive, mon âme a soif de toi mon Dieu… » (Ps., 41, 2). Des théologiens médiévaux vont prêter au cerf des vertus christiques, ils en font un symbole de la résurrection, un ennemi du serpent, image du démon ; il figure sur certaines cuves baptismales. À la fin du XIVe siècle des souverains français et anglais vont même faire du cerf un support de leurs armoiries, ainsi Charles VI après son sacre et une chasse en forêt de Senlis.

le cerf de saint Hubert, église N.-D. d'Ambleny, fresque composite. Début XVIe siècle probable.

le cerf de saint Hubert, église N.-D. d’Ambleny, fresque composite. Début XVIe siècle probable.

Nos deux animaux (l’ours a été mal identifié jusque-là à Vailly, en lion, chien ou loup) se font face, à un moment où l’un détrône l’autre ; ces sculptures sont révélatrices des mentalités du temps et leur figuration est utilisée à titre de catéchèse. On décèle ici l’énorme influence du théologien et enseignant Hugues de Saint-Victor dont les théories sur l’usage de l’image étaient connues et appréciées de tout clerc cultivé de l’époque : le décor de notre église a un sens qui fut voulu et mis en scène par l’un d’entre eux lors de la transition entre art roman et art gothique.

Aller plus loin : Michel Pastoureau, L’ours, Histoire d’un roi déchu. Seuil, 2007.

Premier septembre 1715, « le roi est mort, vive le roi ! »

Un bien long règne et la jeunesse du roi artiste enfouie sous le poids de la fonction, des convenances et des pressions diverses. Trois cents ans, un espace de temps à la fois loin et proche selon le regard et les connaissances que l’on a. Vous avez lu sur ce blog ici et là, au gré de ma fantaisie, quelques notes relatives au bourg de Vailly-sur-Aisne. Y aurait-il aujourd’hui un rapport entre cette modeste agglomération et ce roi si connu de par le monde ? C’est la question que je me pose, sans pouvoir, une fois de plus, trouver une réponse immédiate. Un rapport oui, voyez donc :

Notre église Notre-Dame de Vailly abrite en son sanctuaire de remarquables boiseries XVIIIe siècle que l’on dit sans preuves provenir de l’abbaye de Vauclair. Pourquoi pas puisque des habitants du lieu ont acheté des objets ou biens nationaux mis en vente par les liquidateurs d’un temps. Ces boiseries ont été pillées par les Allemands durant le premier conflit mondial puis en partie restituées par la commission de Wiesbaden. Fort bien.

De fort belle facture, celle d’un professionnel à n’en pas douter, voyez en particulier les chérubins, elles attirent le regard et incitent à comprendre. Elles illustrent la fonction du sanctuaire qui est avant tout liturgique et qui ici met en avant l’eucharistie, l’ancienne et la nouvelle alliance ; elles s’organisent notamment autour de la célébration liturgique de la veillée pascale. A cela rien d’étonnant si ce n’est la qualité de ces sculptures sur chêne.CherubinsPuttiJPBW

DessinBibleCiboireManipuleColoriseWDessinArcheGlaiveEncensoirColoriseWDessinTablesTiareCroixEtoleColoriseWLes dessins favorisent la lecture des motifs et thèmes visibles sur les photographies ci-dessous :

VaseEtolleOffrandesW TablesLoiSacerdoceCroixWEncensoirArcheTrompettesWD’accord, un excellent travail de sculpteur qui connaît son affaire. Mais Louis XIV dans tout cela ?….

La prochaine fois que vous visiterez la chapelle royale de Versailles créée vers les années 1700 et terminée en 1710 regardez donc de près les sculptures sur bois, sur pierre et les bronzes ciselés et vous constaterez que le dessin de certains des trophées d’église qui ornent ce superbe édifice établi pour la gloire du roi et celle de l’Eglise sont très proches de celui présent à Vailly. Bien entendu si inspiration il y a, que nos boiseries proviennent ou non de Versailles, il faut bien considérer que ces motifs ont sans doute été copiés sur ceux de Versailles. Les artistes qui ont travaillé à Versailles n’ont peut-être pas oeuvré ailleurs mais les dessins de leurs sculptures ont été copiés. Ce n’est pas très original mais il serait très précieux d’en connaître davantage sur nos magnifiques boiseries vaillysiennes.

Pour des raisons de droits d’images je place ici un extrait iconographique capturé sur le travail de M. Sébastien Bontemps, chargé de cours à Paris I qui a étudié les sculptures de la chapelle royale de Versailles. Je mettrai ici plus tard de meilleurs documents si je peux en trouver qui soient libres de droits. Ci-dessous un lien vers l’article de M. Bontemps.

http://www.academia.edu/4348843/Lornement_sculpt%C3%A9_autour_de_1700_le_troph%C3%A9e_d%C3%A9glise_et_la_chapelle_royale_de_Versailles

L’ornement sculpté autour de 1700 : le trophée d’église et la chapelle royale de Versailles

VersaillesChapRoyaleTropheesArticleDenisBontempsWVous constatez sans peine qu’une analogie est présente dans le dessin entre Versailles et Vailly, ce qui surprend tout de même un peu, même si on lit entre Vauclair et Versailles !

Qu’on se le dise et que chacun apporte sa pierre à cet édifice de recherches, toujours en mouvement, jamais terminé.

Le « Jardin des Poilus »

Ce jardin, au fond comme tout jardin composé, n’existe que par la volonté de ses créateurs, il a du jardin la nécessaire artificialité. A sa manière il raconte un pan d’Histoire et n’appartient à la catégorie des jardins botaniques qu’à la marge. Sa petite surface vous permettra d’en faire rapidement le tour, si vous vous y perdez ce ne sera que par votre imagination.

Dans Paissy suivez la falaise, comme si vous étiez au bord de la mer. Vous êtes arrivés. Notre jardin s’ordonne dans l’opposition visuelle entre le vertical rocheux et l’horizontalité végétale, d’où de nombreuses lignes de niveau en correspondance avec les strates géologiques.
Ce n’est pas sa seule raison de paraître. En effet de sanglants combats affectèrent ce lieu dans les sombres années 1914-1918. Au printemps 1917, le seize avril, fut déclenchée ici la bataille du Chemin des Dames.
Alors pour promouvoir la paix quoi de mieux qu’un Eden parsemé d’arbustes et de fleurs ! Cent ans plus tard vous déambulez en compagnie d’espèces végétales souvent communes sur une faible surface d’un demi hectare, accompagnés de citations d’époque en provenance d’écrits de « Poilus ».
Notre choix : mettre en scène dans ce jardin l’histoire locale marquée par la vie des troglodytes qui ont perforé la falaise pour en extraire la pierre des cathédrales et le drame national et mondial que fut la Grande Guerre. Ici interfèrent la topographie du lieu et le souvenir des Poilus vivifié par des textes qu’ils ont écrits et dans lesquels le monde végétal qu’ils évoquent fut comme un havre de paix, un paradis perdu.
Ouvert les samedi 6 et dimanche 7 juin, de 10 à 12 et de 14 à 18 heures
Chez M. et Mme Boureux Jean-Pierre, 34 rue de Neuville, 02160 Paissy.
Contact :  jpbrx[arobase]club-internet.fr
Coordonnées GPS : 49° 25’ 37,67 N et 3° 41’ 58,30 E
Parking à proximité pour trois voitures, les autres le long de la rue.
Quelques détails supplémentaires ici : http://www.jardindespoilus.wordpress.com
Le « Jardin des Poilus » sur le site national du « Rendez-vous au jardin » :
http://rendezvousauxjardins.culturecommunication.gouv.fr/Histoire-s-de-jardins/Paix-retrouvee

Logo officiel "Jardin des Poilus" Paissy

 

 

 

 

 

un aspect du jardin en mai une arche découpée par la guerre dans le sous-boisci-dessous article du journal « l’Union« , édition de Soissons, datée du 30 mai 2015, p. 12 :

 article L'Union30mai2015W

image Google Earth

image Google Earth

exemple d'un des textes affiché dans le jardin

exemple d’un des textes affiché dans le jardin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nouvelle ronde de mai 2015

Ce mois j’ai le grand plaisir d’accueillir « , http://simultanees.blogspot.fr/  » dans le cadre d’une ronde périodique qui tourne  dans l’ordre du tirage au sort :

écrira chez :
qui écrira chez :
puis :
etc.
chez
chez
chez
Jean-Pierre Boureux : http://voirdit.blog.lemonde.fr/
chez
chez
Dominique Autrou (c’est moi) : http://dom-a.blogspot.fr
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Voici le texte d’Hélène Verdier pour cette ronde :

le mai des phoques

cliché NASA, via Wikipedia

cliché NASA, via Wikipedia

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est une immense péninsule, un croc de sable et de marais arrimés à la mer, une curiosité géologique fatalement promise à la disparition. C’était une fin de journée, j’avais envie de bout du monde. Il fallut pourtant s’arrêter, renoncer à l’atteindre, le soleil s’apprêtait à plonger sur les terres dans ce monde à l’envers. C’étaient les derniers jours d’avant le mois de mai.

Il aurait pu habiter, il habitait sans doute, dans l’une des ces maisons — gris d’argent des essentes de bouleau qui se marient au bonheur des lumières de toutes les saisons. Les encadrements blancs des fenêtres transformaient en tableaux les reflets des paysages, ramures encore nues des arrières-hivers en surimpression sur les flamboyances d’automne, et tout ce blanc de neige maintenant délaissé. Il marchait ce soir là sur la plage, sur la fin de sa vie. Son chien noir gambadait, comme gambadent les chiens sur l’étendue des dunes, courses, bonds, volte-faces, arrêts la truffe au vent, amical et joyeux. Sous les lumières jaunes du soleil qui se couche, Il désirait parler.

Tendant la main vers le banc de sable, Il montra les minuscules points noirs agglutinés aux limites de l’invisible, entre terre et océan. Les phoques, dit-il, les phoques sont là — je me souvins alors de la baie de la Somme, près et lointaine derrière l’horizon au mois de mai dernier, les phoques nageaient, plongeaient, gracieux, disparaissant parfois pendant de longs moments pour réapparaître plus loin, et nous les regardions.

Au mois de mai, dit-il, ils sont là, en bancs agglutinés. Ils arrivent, attirés par les saumons dont ils se nourrissent. Puis viennent les  requins blancs qui dévorent les phoques. À l’approche des monstres, on entend alors, a-t-il dit, aux rives de l’océan pleurer les phoques. Les saumons quant à eux ne savent pas pleurer.

Le soleil dessinait sur la dune des portraits en série, le vieil homme en Thoreau, son ombre sur le Cape Cod, et la mienne. Nos vies se sont croisées dans l’ordre des saisons un même mois de mai. Ce mois de mai 1862 il quitta le monde, ce même mois je trouvai ce même et autre monde quelques années plus tard.

HelenePhoto2

HelenePhoto3Cape Cod, 26 avril 2015, Franges du Bray, 12 mai 2015. Clichés de l’auteur sauf mention contraire

Cervantès, ses os retrouvés

Vraisemblablement le squelette de Cervantès (1547-1616) a été retrouvé là où lui-même avait souhaité être inhumé. Pour cela il a fallu d’abord reconnaître l’emplacement de l’église détruite dans laquelle depuis 1871 on subodorait sa sépulture. Il y serait inhumé avec au moins seize autres individus, dont un prêtre, selon l’anthropologue Francisco Eetxeberria directeur de l’équipe de recherches. Les registres de 1616 mentionnaient cet état de fait. Les squelettes sont rassemblés en ‘réduction’ dans une fosse située au troisième niveau inférieur de la crypte de l’ancienne église. Il semblerait que les analyses ADN préconisées ne puissent affirmer quoi que ce soit, faute de comparaison suffisante.

Cette nouvelle lue dans Le Monde daté du 19 mars 2015 et signée par Sandrine Morel, correspondante de ce quotidien à Madrid fut pour moi une incitation à relire certains passages du célèbre « Don Quichotte de la Manche ». Là, surprise !

Don Quichotte édition du Club français du livre

Comme si l’auteur avait anticipé son parcours dans l’au-delà dans l’une de ses séquences abracadabrantesques dont il a le secret, nous voici projetés dans une scène extraordinaire où nos héros Don Quichotte, Sancho et Rossinante sont aux prises avec une troupe d’une vingtaine de fantômes chevauchant, ‘enchemisés’ dans des robes blanches ou noires et escortant un cadavre dans une litière. Après les avoir questionnés don Quichotte s’impatiente et décide de foncer dans le tas, lance en avant. Il renverse et poursuit. Le premier jeté à terre, une fois les autres enfuis répond enfin au chevalier : « Je m’appelle Alonzo Lopez et suis natif d’Alcovendas. Je viens de la ville de Baéza, en compagnie de onze autres prêtres, ceux qui fuyaient avec des torches. Nous allons à Ségovie, accompagnant un corps mort qui est dans cette litière. … …nous portons ses os à Ségovie où est la sépulture de sa famille ». Le blessé reproche alors au chevalier redresseur de torts d’agir de bien vilaine manière, ce à quoi don Quichotte rétorque : « Vous cheminiez la nuit, vêtus de surplis blancs, des torches à la main, marmottant entre vos lèvres, et couverts de deuil, tels enfin que vous ressembliez à des fantômes et à des gens de l’autre monde ».

Après quoi Don Quichotte relève le blessé et lui permet d’aller rejoindre sa troupe. Son servant Sancho le qualifie alors du nouveau titre de ‘chevalier de la triste Figure‘ tant sa mine est déconfite et ses traits horribles. Sancho dissuade son maître de courir sus au-devant de la troupe afin de vérifier si le corps dans la litière était de chair ou d’os : « Croyez-moi, l’âne est pourvu, la montagne est près, la faim nous talonne : il n’y a rien de mieux à faire que de nous en aller bravement les pieds l’un devant l’autre ; et comme on dit, que la mort aille à la sépulture et le vivant à la pâture. »

Alors, faute de mieux pouvoir faire, pourquoi les autorités espagnoles ne laisseraient-elles pas les os blanchis de Cervantès et de ses compagnons de dernière heure là où ils se trouvent, refusant de désigner l’un plutôt que l’autre ? Les premiers ne seront-ils pas les derniers ? Cela ne dérangerait en rien l’érection d’un cénotaphe en hommage à l’un des grands auteurs du Siècle d’Or. Et l’aventure de nos héros de continuer, ravissant pour toujours le lecteur qui si longtemps après la mort du célèbre écrivain, sourit encore à la lecture du parcours rocambolesque du trio enchanté à travers la Mancha.

fac similé de l'édition de 1757fac-simile de l’édition de 1757

Mudo : de son éclectisme goûter les saveurs

Logé comme un prince d’Eglise en un écrin qui hésite entre Renaissance et gothique, inspiré par un préfet éclairé, et dernièrement revisité avec talent, le Musée départemental de l’Oise (Mudo) vient de (ré)ouvrir avec le soutien du Conseil général de l’Oise et divers concours. En 1305 l’évêque de la cité avait eu à affronter l’ire des bourgeois, à se protéger parmi les vestiges des remparts gallo-romains derrière une porte fortifiée. L’un de ses successeurs, Louis Villiers de l’Isle Adam, deux siècles plus tard fit élever ce palais qui protège aujourd’hui les collections que vous pouvez fréquenter gratuitement, sauf le mardi. Profitez-en sans modération.

rempart gallo-romain de Beauvais

vestiges du rempart gallo-romain, consolidé ou reconstruit récemment

Protégé par une porte fortifiée édifiée au début du XIV e siècle, tout près de la cathédrale et de l'église antérieure visible ici à droite

Protégé par une porte fortifiée édifiée au début du XIV e siècle, tout près de la cathédrale et de l’église antérieure visible ici à droite

façade du palais épiscopal qui fut aussi palais de justice

façade du palais épiscopal qui fut aussi palais de justice

LanternonPalaisWle lanternon protège trois cloches dont l’une de 1508

Les collections de peinture, essentiellement du XIXe siècle, ainsi que d’autres expressions artistiques, se répartissent dans un espace lumineux centré sur une salle dédiée au peintre senlisien Thomas Couture. Sa grande oeuvre (9 m. x 5 m.) : l’Enrôlement des Volontaires de 1792, rayonne sur l’un des murs entourée de quelques toiles préparatoires de bel effet. On la scrute sur deux niveaux, en toute visibilité. Les deux photographies suivantes en présentent une vue partielle (partie supérieure) et l’une des études.

CoutureVendGPpartieSuperieureW enrôlement des volontaires de 1792Dans les autres salles chacun composera son menu comme il est naturel de faire lorsque les étals sont garnis d’abondance dans la diversité. Aucune règle autre que l’attirance personnelle, avec parfois une incitation des conservateurs à comparer, avec raison, un même endroit vu par deux peintres ou bien encore un même lieu à des moments séparés dans le temps et décrits par des personnalités que rien ne rapproche a priori. Ainsi ai-je retenu les ruines du château de Pierrefonds par Jean-Baptiste Corot presque débutant et sa reconstruction par Viollet-le-Duc selon Emmanuel Lansyer,

CorotRuinesPierrfdsWPierrefonds par Lansyerou bien encore la célèbre vasque romaine de la Villa Médicis par Corot toujours puis par Maurice Denis. Vous composerez à votre guise, apprécierez selon vos penchants et goûts.

   Corot, Vasque de la Villa MedicisWMaurice Denis, Vasque de la Villa MédicisRien n’est véritablement à comparer dès lors que l’éclectisme propre au XIXe siècle ne suggère en rien des rapprochements ou des oppositions systématiques. Pourquoi ne pas apprécier dans un même élan de sympathie la douce caresse d’ Albert-Ernest Carrier-Belleuse (sculpteur et peintre originaire d’Anizy-le-Château (1824) dans le marbre ou la sensualité très politique du peintre vendéen Merry-Joseph Blondel qui nous propose une synthèse des trois journées de juillet 1830, les Trois Glorieuses, que n’auraient sans doute pas dénigrée les trois cavaliers enfants de roi sans pour autant le faire savoir aux adeptes de la monarchie. Quant aux républicains ils touchent là de la vue l’objet de leurs supposés fantasmes :

Carrier-Belleuse, buste de femme au rosier, 1858

Carrier-Belleuse, buste de femme au rosier, 1858

Trois Glorieuses, Blondel, 1830Vous l’avez compris je pourrais vagabonder en votre compagnie sous les auspices de l’art, sans raison, sans but mais pas sans rêves. Là est l’essentiel. Sans doute est-ce pour cela aussi que la modernité dans ses installations surprenantes, pour reléguée qu’elle soit dans le grenier, n’en est pas moins stupéfiante, aimable et émouvante dans la surprise qu’elle engendre. Voyez plutôt, je vous tiendrai modérément informés ensuite :

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Deux vues captées de "Axis Mundi" par Charles Sanderson

Deux vues captées de « Axis Mundi » par Charles Sanderson

De quoi s’agit-il ici ? De mots projetés, mots sélectionnés par l’auteur Charles Sanderson, Finlandais, sur la charpente du XVIe siècle du ‘Mudo’. La surface de ce grenier est d’environ 500 m2 et sa hauteur = 14 m. Effet de surprise garanti. On y est on rêve, on sort : rêveries en tête. Heureusement les images ne touchent pas tant que la réelle présence de ce lieu ponctué de lettres.

Ce beaucoup est-il tout ? Pour cette note de blog un  peu longue, presque. Je réserve toutefois pour la sortie (mais en laissant pour votre soif un « espace boutique » qui présente aussi de séduisants vestiges de bois sculptés) une salle gothique de la porte d’entrée bâtie autour de 1305 et décorée de même. Dans un angle un curieux combattant gaulois du premier siècle vous dévisage, à moins que ce ne soit vous qui ne soyez scotché par son fixe regard. Il nous vient de près, Saint-Maur-en-Chaussée, et n’a daigné sortir de terre qu’en 1984, pour notre étonnement encore :

premier siècle de notre ère, mais au fond, sans âge, là est le mystère de l'art...

Quand, soudain, du voûtain, au-dessus de ma tête, tombèrent des sons de flûte, de viole, de cornemuse, de trompette marine, de tambourin. J’ai levé les yeux et vis les musiciennes, charmantes, charmeuses même et aussitôt j’ai aimé leurs écailles, leurs nageoires, leurs queues. Plusieurs se sont dérobées au photographe, pas les cinq. Voici l’une d’elle, ainsi s’offre-t-elle à vous comme à moi :

sirèneElles ont été peintes à fresque peu après l’édification de la porte, donc au tout début du XIVe siècle et ont été restaurées tout récemment.


En savoir plus : http://mudo.oise.fr

Mudo, Musée de l’Oise, 1 rue du Musée, 60000 Beauvais. 03 44 10 40 50

Ronde du 15 janvier 2015

Dans le cadre de notre ronde à périodicité variable j’ai le plaisir d’accueillir ce jour « MESESQUISSES ». Les autres membres de la ronde se répartissent ainsi :

( loin de la route sûre) louisevs.blog.lemonde.fr
écrira chez…
Dominique B  dominique-boudou.blogspot.fr
(Voir et le dire, mais comment ?)  voirdit.blog.lemonde.fr
(un promeneur) 2yeux.blog.lemonde.fr
(Émaux et gemmes des mots que j’aime) wanagramme.blog.lemonde.fr
Dominique A (la distance au personnage) dom-a.blogspot.fr
(Même si)  mmesi.blogspot.fr/
( loin de la route sûre) louisevs.blog.lemonde.fr
Lisons donc et regardons Céline de ‘mesesquisses’
Debout !

Tant qu’il y a un But
En tête
En ligne de mire

tant qu'il y a un BUT
Tant qu’il y a un Cap
En vue
Sans peine perdue
tant qu'il y a un CAP
Tant qu’il y a un sens
A l’effort
Des Visées de vie
tant qu'il y a un SENS
Va
Même à petits pas
Vers ce qui pousse
En avant

Ce qui donne
L’élan

D’être, debout.

VAMERCI à Céline !

Des diables sont entrés dans ma vie et même dans ma cuisine

Des diables, des monstres, des créatures étranges se meuvent entre mes yeux et le cerveau qui semble servir de relais à mes pensées. Sans doute une imprégnation visuelle et optique, à l’origine de ce trouble. Il me semble que sa source est à rechercher essentiellement dans les élucubrations de nos lointains ancêtres du dernier quart du XIIe siècle et son origine géographique suit les rives de l’Aisne, de l’Ailette, de l’Oise, de l’Ourcq, un peu comme avaient déjà procédé avant le Moyen-Age les esprits liés au culte de l’eau. L’ambiance est celle des lieux humides où une végétation dense et variée offre aux regards un environnement tout à la fois paisible et effrayant tel celui du peintre Rousseau.

Imaginez la promenade dominicale d’un manant contraint par l’habitude d’assister à l’office. Il fait bien beau. Notre homme, ou notre dame, arrivé bien avant la messe, déambule mains derrière le dos dans le cimetière attenant à l’église et lève les yeux. Il sait ne pas être à l’intérieur du lieu sacré mais seulement dans sa marge humaine, là où dominent les passions les plus folles, là où s’affrontent les démons, les génies et même les anges messagers. Il entend la rumeur étouffée des combats entre bien et mal et a bien des difficultés à se situer entre ces mondes qu’il craint mais dans lesquels il se complaît.

Modillons8W Modillons9CW Modillons11BW CuveBaptDecorGPW HommeBarbuW HommeRaisinsW MonstreCleVouteW MonstresClocherW RapacesHommesGPW DecorMasqueChevetBWVous constatez que cet univers dérègle vos sens, vous qui êtes raisonneurs, loin des contes, légendes, imageries… Alors quel salut pouvait trouver notre promeneur, sinon la fuite : « et disoit que le diable la tourmentoit, et sailloit en l’air, crioit et escumoit,  et faisoit moult autres merveilles… » Jean de Troyes, Chroniques.

les jambes à son cou, sinon le refuge dans l’église où les anges, Dieu et tous ses saints sauraient lui faire trouver le repos escompté. Quant à votre serviteur, l’esprit tout affairé à détecter les messages laissés dans la pierre par d’habiles maçons sculpteurs, il n’en dort plus. Du coup il se prépare en cuisine une boisson revigorante. Las ! Diantre, voici que sur la toile de lin du torchon un diable est parvenu à s’insinuer dans les plis du tissu, pas d’exorciste dans les parages. Attendre, espérer, mais quoi ?

 le diable sur le torchon

Oups, un jet d’eau et le voilà en fuite ! Quant aux autres diables et créatures infernales taillées dans la pierre je vous dirai un jour leur provenance.