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Senlis ou l’érection du temps

Senlis est une petite cité que l’on parcourt à pieds bien tranquillement, notre vue s’y promène nonchalamment en ses rues pavées et quand nous levons les yeux sur ses vieilles pierres, le passé se dresse d’un coup en une lisible érection du temps, les plus anciens à hauteur des plus récents.

Bizarrerie. Place forte auguste, cité des Sylvanectes, Senlis enfin et toujours. En toute logique Senlis, royale capitale capétienne, érige ses tours et clochers médiévaux à l’intérieur d’un périmètre fortifié dont on suit la trace au sol sans grande difficulté, quitte à cheminer avec en mains un guide touristique illustré dont le plan renvoie, comme ailleurs, de vestiges en vestiges. Rien là d’extraordinaire et nombre de nos vieilles villes d’Europe étalent ainsi des formes ordonnées inscrites dans l’histoire.

Ce qui rend Senlis originale c’est que la verticalité de ses vestiges les plus anciens se joint et se superpose visuellement à celle des plus récents. Pour comprendre le fonctionnement de l’affaire et donc appréhender au mieux la succession des temps rien ne remplace la descente en sous-sol.

salle gothique XIVe siècle de l'ancien palais épiscopal de Senlis

salle gothique XIVe siècle de l’ancien palais épiscopal de Senlis

Une rénovation réussie du Musée d’art et d’archéologie livre aux visiteurs des aperçus sur les vestiges de murailles du IIIe siècle et d’une habitation gallo-romaine, ainsi qu’une splendide sélection d’ex-votos en provenance du temple de la forêt de Halatte, toute proche. Tous ces maux soulagés, semble-t-il, leurs naïves localisations exprimées dans la pierre, ont quelque chose de bouleversant, qu’une percutante mise en scène renforce.

ex votos gallo-romainsCe blog vous a habitués à des clichés beaucoup plus soignés que ceux sortis ce jour de mon téléphone mobile et je ne vais pas poursuivre en vous offrant trop de médiocrité technique, qui serait quasiment injurieuse quant à la qualité de ce musée. Sachez que vous avez ici, entre Antiquité, Moyen-âge et Temps modernes, de quoi vous régaler. Les vitrines sont attrayantes et documentées sans lourdeur, les objets et peintures de même. Une salle est consacrée à l’artiste Thomas Couture (Senlis, 1815 – Villiers-Le-Bel, 1879) peintre talentueux, vigoureux dessinateur, le plus souvent hors d’influence de la mode du temps. En outre une exposition temporaire met en lumières les peintures naïves aux couleurs chatoyantes de la célèbre Séraphine Louis, dite « Séraphine de Senlis« , et quelques-unes de son ‘sponsor’ ou mécène Wilhelm Uhde. De quoi réchauffer, s’il en est besoin, vos journées estivales jusqu’au début du prochain hiver.

http://www.musees-senlis.fr/Dossiers-thematiques/seraphine-louis-dite-seraphine-de-senlis.html

Revenons, quittant ce lieu magique après avoir flâné vers l’ancien palais royal et le musée de la Vénerie, vers l’érection des temps et observons à titre de preuve l’une des tours de l’enceinte gallo-romaine contre laquelle ou près de laquelle la cathédrale s’appuie :

tour de l'enceinte gallo-romaine de SenlisEn dépit des réserves formulées plus haut quant à la piètre définition du cliché (je remercie Mathieu de me l’avoir confié), constatez qu’il est bien rare en France du nord d’avoir en face de soi autant d’élévation antique jouxtant une tour gothique. Alors profitez de l’aubaine et découvrez ou revisitez Senlis, vous ne regretterez pas votre voyage.

Sous la robe, queue en main, posture inhabituelle et tocsin en cause.

Non, il n’est pas fréquent d’être là, sous la robe, queue des battants en mains ! Cela mérite explication. La voici :

Sous les serres et ergots du coq invisible d’ici, sous la charpente bétonnée pyramidale, entre les rangées d’abat-sons

mais où suis-jej’accède au niveau campanaire, les trois cloches sont bien là.

cloche de PaissyVoici l’explication en ce jour du 1er août 2014 qui, parmi d’autres propositions, a retenu une sonnerie de tocsin facultative en commémoration du 1er août 1914 qui fit entendre, ce dit jour d’inquiétude, le tocsin dans toutes les églises de France. Il annonçait alors dramatiquement la mobilisation générale en vue de la défense de la patrie.

Tocsin, un mot que nos ancêtres eurent hélas à connaître en plusieurs occasions, ils ont craint ce battement rapide et répété destiné à alerter. Il provient de l’occitan ‘tocasenh’ et on le trouve écrit au XIVe siècle sous la forme ‘touquesain’. Pour nous ce jour pas de mauvaise nouvelle à annoncer, seulement trois minutes de recueillement à suggérer, en souvenir des morts de la Grande Guerre. Du reste c’est inscrit au bas de la robe, suffit de monter, de lire :

texte sur cloche« …en souvenir des enfants de Paissy morts pour la France. »

De Paissy et d’ailleurs également puisque cette guerre fut mondiale. Pour atteindre ce haut lieu du clocher d’une église il faut accepter l’escalade, les marches et, ce jour, le tintamarre assourdissant estompé par les oreillettes d’un casque. En effet la corde n’offrait pas la possibilité de battre vite, et surtout de battre deux cloches à la fois, seul et en rythme pour que les sons de l’une se mélangent intimement mais ne se chevauchent pas avec ceux de l’autre. La seule solution fut celle énoncée en titre. Une fois là-dessous on ne peut pas même penser, à cause de la résonance et de la puissance sonore des cloches, elles sont fondues pour cela. Abasourdi l’esprit se fond dans l’action et la pensée se fige.

L’action consiste à tirer simultanément sur les chasses des battants, les bras en croix et les mains agrippées aux queues jusqu’à les amener à la pince de la robe près de l’ouverture de  la lèvre. Tout le reste, jougs et cloches demeurent fixes et la pensée aussi, le mouvement trop vif anesthésiant le combat entre l’éros de la patrie et le thanatos de la guerre. Il faut être là et s’engager totalement pour, au bout de trois minutes, reprendre souffle et songer de nouveau. Reviennent alors, par-dessus les dédicaces du bronze, des lectures  gravées dans l’airain de la mémoire, des notes de Giono, de Genevoix, de tant d’autres encore, des souffles nouveaux tels ceux qui forment le ‘Corps de la France‘, chez Michel Bernard. Puis, la paix revenue dans les artères je redescends alors sur terre, remercie mon aide dans l’ascension et contemple de haut le choeur de Saint-Remy de Paissy, patron dédicacé sur la plus grosse cloche.

choeur de l'église de PaissyAmertume de savoir que ce même jour des êtres meurent par la bêtise des hommes à Gaza et ailleurs, nostalgiques pensées à l’égard de la petite église de Paissy (de la fin du XIIe ou du début XIIIe siècle) dont ne subsistent que des photographies ou des cartes postales anciennes, ou l’insolite présence de l’une des cloches qui servit d’alerte aux gaz pendant la guerre.

la cloche sert à avertir les combattants de la présence de gaz

la cloche sert à avertir les combattants de la présence de gaz

bientôt plus qu'un souvenir

C’est tout cela qui était contenu en germe ce premier août 14 et dans les sonorités pointues et hachées du tocsin nos ancêtres ne pouvaient deviner combien de glas ils allaient entendre, combien de pleurs ils allaient essuyer.

« …mais à travers le bruissement des arbres et la voix de la femme, il entendait la tocsin, la générale, le fracas lointain des chevaux et des canons sur le pavé. » Anatole France, Les dieux ont soif.

La plus grosse cloche porte cette dédicace en lettres rapportées majuscules :

« J’ai été bénite l’an de NS 1930 le 18 mai sa sainteté Pie XI étant pape bénite par sa grandeur Monseigneur Mennechet évêque de Soissons Paul Dejole curé de la paroisse en presence de MMRS vaillant maire Bourre adjoint Graux et Beroudiaux membres du conseil paroissial Boesse architecte Faucon entrepreneur je m’appelle Gilberte Madeleine mon parrain a été Gilbert Huberlant et ma marraine Madeleine Vaillant je sonne en l’honneur de St Remy patron de Paissy »

La cloche moyenne porte : (incertitude sur quelques termes)

« Je m’appelle Jeanne Madeleine mon parrain a été Jean Béroudiaux et ma marraine Madeleine Graux j’ai été bénite en présence de M. Rillart de Verneuil député de l’Aisne et du Conseil Vaillant maire Bourre adjoint Georges Graux Louis Demoulin Eugene Pierrat Charles Herbillon Remy Labre Maurice conseillers municipaux Je sonne en souvenir des enfants de Paissy morts pour la France ».

Les figures de ces cloches sont des croix simples, un Christ Roi et un Christ Sacré Coeur ; les rinceaux sont des palmes et guirlandes de fleurs et de pampres dans le style Art déco.

La marque du fondeur indique : « Chalette, ets Ronat, Loiret » q’uil faut comprendre comme : établissements Ronat à Chalette-sur-Loing, Loiret où ce fondeur a travaillé de 1924 à 1938.

Figure1WGrClocheTxtWla petite cloche ne porte aucune dédicace ni marque.

Maurice Denis à Fère-en-Tardenois

Vous avez bien lu. Maurice Denis a en effet oeuvré pour l’église Sainte-Macre de Fère-en-Tardenois. Ce fut, une première fois, pour amoindrir par l’art la souffrance d’Etienne Moreau-Nélaton qui eut la douleur de perdre son fils Dominique à la guerre, la Grande comme on dit (11 mai 1918). Alors, avec le talent de la réalisatrice Marguerite Huré, il dessine et met en lumière. La commande était de 1923 et l’inauguration eut lieu en août 1924. Soutenu par un ange le martyr s’élève vers le Christ en croix. L’artiste a commenté son travail : « …un ange emporte le martyr vers le Christ dans la gloire, mais c’est le Christ douloureux de la croix qui l’accueille. »

en mémoire de Dominique Moreau-Nélaton

A droite saint Louis et en dessous un soldat mourant et un autre épaulant. A gauche saint Martin et un pauvre, homme de la terre. Le clocher de l’église et le champ de colza évoquent Fère.

Ce n’est pas tout. Ce fut une seconde fois pour satisfaire aux désirs de quelques paroissiens.

En effet dans le même temps la paroisse de Fère commande en souscription à Maurice Denis des vitraux avec pour thème les quatre évangélistes. L’artiste présente alors un ouvrage proche de celui de l’église Notre-Dame de Genève et il se représente lui-même dans le visage de saint Luc. Ces vitraux mis en place en 1924 sont hélas soufflés lors de la mise à feu de charges explosives en 1940. Ils sont déposés en 1941 puis transférés à Paris. Redécouverts récemment ainsi que des fragments restés à Fère deux d’entre eux sont restaurés par les Ateliers Berthelot et reviennent à Fère dans des caissons lumineux disposés au fond de l’église où on peut les admirer. Dans un Bulletin paroissial de 1924 Maurice Denis témoigne :

« Saint Jean, le plus grec des Evangélistes est devant un temple grec en ruines, pour rappeler que le meilleur de la pensée grecque est passé dans le dogme chrétien. C’est aussi le plus eucharistique. De là les raisins et le blé qui se trouvent en bas de la composition. Enfin l’aigle, symbole de l’Evangéliste, plane dans le ciel. texte : In principio erat Verbum, pour rappeler à quelles hauteurs se meut la pensée de saint Jean ».

« Saint Luc évangéliste de la Vierge dont on prétend qu’il a peint le portrait ; étant peintre, il est représenté devant un chevalet. Marie portant l’Enfant divin apparaît dans le ciel. En bas le boeuf, emblème de Luc, sacrifié par un enfant, fait allusion au début de l’Evangile qui raconte l’histoire du sacrifice de Zacharie. Le texte : Magnificat anima mea Dominum, insiste sur la portée mariale de l’Evangile de saint Luc. »

MDenisJeanW MDenisLucWSinguliers destins que ceux des hommes et de leurs oeuvres !

Commentaire rédigé avec l’aide d’un document édité par la Ville de Fère et la rédaction de Fabienne Stahl, Claire Denis et Véronique David. Ce dimanche 15 juin 2014 l’église de Fère était ouverte au public dans le cadre des ‘Journées de patrimoine de pays et des moulins’ et une équipe locale accueillait avec compétence et amabilité les visiteurs. Ainsi ai-je eu l’idée de rédiger ces lignes, un autre article suivra avec d’autres vitraux ou oeuvres de cette église.

L’initiative de cette action est à mettre au compte de la « Maison du Tourisme du Sud de l’Aisne, 9 rue Vallée, 02400 Château-Thierry (0323835114)

Site : www.chateau-thierry-tourisme.com          accueil.ot@otrct.fr

Merci aux membres de l’équipe présents dans l’église ce jour.

16 avril 1917 et les marches de Craonne aujourd’hui.

Chaque année des centaines de marcheurs guidés notamment par M. Noël Genteur, habité par le souvenir tragique d’avril 1917, parcourent les collines du Chemin des Dames dans les pas des combattants encore bien décelables dans les tranchées et trous d’obus du ‘Plateau de Californie’ et des espaces voisins. La déambulation mémorielle débute à 5 h 30 pour se terminer tard en soirée autour des croix illuminées du cimetière militaire de Craonnelle. Nous avons déjà évoqué ce fait et le 16 avril 1917 sur ce blog ici :

http://voirdit.blog.lemonde.fr/2008/04/14/16-avril-1917-lheure-h/

Cette année une trouvaille inattendue survenue en novembre dernier alors que je prenais un peu de sable cuisien sous l’étage lutétien de ma cave m’inspire ces lignes. En effet à peine avais-je pelleté en vue de planter des endives qu’un brodequin est apparu. Surprise, les godasses, godillots, croquenots et autres souliers de nos poilus sont d’ordinaire des fragments tout noirs, craquelés, cassants alors qu’en ces heures m’arrive une chaussure montante fort bien conservée, brun clair, encore un peu souple et pourvu des oeillets et clous caractéristiques de cet équipement indispensable au poilu. On reconnaît du reste à la semelle les modèles réglementaires de 1912, modifiés à plusieurs reprises, qui montrent une partie de l’avant de la semelle dépourvu desdits clous.

Surprise plus grande encore le soldat -qui était grand, la pointure est de l’ordre du 44, avait pris soin de garnir l’intérieur de son brodequin d’un fond de foin qui subsiste étrangement. La bonne conservation de cette sorte de relique tient au fait que le sable qui l’a remplie et entourée est un milieu sans oxygène, de faible humidité constante et quasiment sans variation de température.

brodequin de poiluavant du souliersemelle de brodequin de poiluEn ont-ils fait des kilomètres tous ces poilus dont certains ont achevé leur parcours dans les ravins qui jouxtent cette cave, ravins de la Dhuys et du Mourson, de Paissy, de Troyon…. !  Sans cesse affleurent sur ce champ de bataille des débris en tout genre qui témoignent de ces vies stupidement fauchées. Il n’est pas même nécessaire que la mémoire agisse par elle-même, sans raison apparente, chaque découverte fortuite nous entraîne dans le souvenir douloureux de ces quatre années de cauchemar.

« 22 septembre 1917. PC Frise*. Cette nuit aménagement de la tranchée de soutien. Mise à jour de macchabées, comme disent dans leur impitoyable argot les poilus : le sol est comme farci de cadavres. Partout où l’on fouille la pioche coule brusquement dans la pauvre chair humaine décomposée ; elle délivre subitement de cette terre maudite des bouffées de puanteur. … … Celui trouvé cette nuit a été enseveli le long de la tranchée. Il est couché dans le sens du nouveau tracé, et le hasard du creusement a fait apparaître, débordant  la paroi à hauteur de poitrine des passants, un pied dans son brodequin, une main dans son gant noir de chair décomposée… »     

* vers Troyon, Moulins, Paissy

Coeurdevey Edouard, Carnets de guerre 1914-1918, Plon, 2008, 932 p. (Extrait p. 630)

Pour conclure sur une note plus gaie voici ce que rapporte Joseph Tézenas du Montcel le 5 février 1917, depuis le Ravin de Troyon :

 » …Les huit coups de canons de la batterie de Paissy nous ont rappelé que l’heure du déjeuner approchait. Je suis revenu affamé -comme d’habitude- ! et j’ai trouvé le capitaine, pour qui le confort en campagne n’est pas un vain mot, très occupé avec son ordonnance à passer la revue de ses six paires de chaussures : il a la manie de la chaussure -manie qui se conçoit d’ailleurs chez un fantassin, et que je partagerais volontiers- et il y a quelque chose de touchant dans le soin qu’il leur prodigue.  »                   Joseph Tézenas de Montcel, L’heure H, Etapes d’infanterie 14-18. Economica, 2007, 404 p. (Extrait p. 103) 

après avoir tant marché, brodequins et bandes molletières aux pieds, le poilu s'assoupit.

après avoir tant marché, brodequins et bandes molletières aux pieds, le poilu s’assoupit.

Dessin de Sem dans ‘Un pékin sur le front’, Pierre Lafitte, 1917 et du même auteur : « … d’un petit pas nerveux, ils martèlent, égratignant le sol pierreux et des étincelles jaillissent de leurs souliers ferrés… »      

 

Sommereux, sa main c’est le pied !

De passage dans le canton et à Grandvilliers (Oise) j’ai à coeur, sur avis familial de bon conseil, de visiter rapidement, en une première approche, deux églises voisines. Celle de Le Hamel et celle de Sommereux. La première est connue pour un pélerinage à Notre-Dame issu d’une légende médiévale revivifiée au XVIe siècle, la seconde pour être celle d’une ancienne commanderie du Temple (1). Comme il arrive aujourd’hui le plus souvent l’une était ouverte et l’autre non. Je n’évoque pas Le Hamel, bien que l’édifice, son contenu et sa légende le mériteraient -ce sera pour une future note de blog. En revanche la lumière blanche émanant de la pierre de Sommereux sur le fond presque anthracite des nuages de mars en giboulées m’incita à contourner l’édifice, faute de pouvoir entrer sous les voûtes ancestrales. Bien m’en a pris. Sur le revers d’un contrefort d’angle du choeur une pierre attire mon regard. Elle porte une main tracée au contour comme on en voit dans certaines grottes préhistoriques et dans l’art rupestre en général, voyez plutôt :

une main dessinée au contourFortement intrigué je commence par examiner d’autres pierre alentour. Certaines portent le même type d’oxydation ou d’enduit ancien (à vérifier ultérieurement par un examen plus poussé) présent sous forme de lambeaux. Celle où figure la main a été dégarnie de ce revêtement superficiel pour tracer ce dessin en relief à peine décelable à la vue mais bien sensible au toucher. La petite taille de cette main ne peut être que celle d’un jeune enfant. Le dessus de cette main a été de même dégagé dans la masse brune pour y implanter une croix. Assez souvent les pierres extérieures des églises, à hauteur d’homme là où fut autrefois le seul cimetière autorisé, présentent des graffiti avec noms, dates, croix ou, plus rarement, d’autres motifs. Je n’ai pas mémoire d’avoir rencontré ailleurs une main de cette sorte.

doigts, main, croixHypothèse :

La plus probable est que cette gravure soit le témoignage d’un ensevelissement d’enfant au pied de cette main et de cette croix. Certaines coutumes locales font état de la volonté d’inhumer aussi près que possible des murs du lieu sacré. Assez souvent ces témoignages émouvants de pratiques désormais oubliées, dont ces tracés de signes divers, semblent être assez répandus entre le XVIIe siècle et les premières décades du XIXe siècle. Intervalle bien large qu’une étude attentive des églises rurales du secteur permettrait sans doute d’affiner.

Quoi qu’il en soit nous sommes en présence d’un émouvant témoignage, de la formulation iconographique d’un espoir qui fait suite à la désillusion en ces temps où la mortalité infantile et celle de l’enfance atteignait des proportions que seules les régions les plus déshéritées du globe connaissent encore. D’où le clin d’oeil du titre qui n’est pas provocation gratuite mais rappel. Ou encore compassion mémorielle si cela se peut et mise en perspective : nombre de nos contemporains n’ont cesse de se lamenter alors que leur sort est infiniment meilleur que ne fut celui de nos ancêtres pas si lointains… Peut-être parce que l’absence de sens propre à la post-modernité a englouti tout espoir d’au-delà meilleur ?

(1) cette commanderie est attestée entre 1160 et 1180 environ, puis documentée encore en 1280 (mention de la chapelle du temple) et 1288 par le don de la motte d’Araines, paroisse de Rogy, Somme, à cette maison par Robert de Catheux.

Bourg-et-Comin ou apprendre à regarder pour tenter de comprendre

Certains noms de lieux fournissent à l’historien spécialiste une place dans le temps et parfois l’idée d’une forme initiale dans le développement de l’endroit, donc un marqueur de l’espace . Ainsi en est-il des toponymes burg, bourg et leurs dérivés. Dans le cas qui nous intéresse –Bourg-et-Comin- le rattachement de Comin, ancien lieu habité fixé au-dessus de Bourg, peut être aisément isolé et enlevé pour plus de lisibilité du mot qui retient notre attention. Comin, accroché au ‘plateau de Madagascar‘ parce que vu du ciel ce plateau dessine une forme semblable à l’île, présente à la fois une surface accueillante pour l’agriculture et, sur ses bordures, des replis favorables à des abris sécurisants creusés dans la falaise calcaire : habitat troglodyte. Le plateau forme aussi un ‘éperon barré‘, c’est-à-dire une surface autrefois défendue et fermée du côté le plus large par un fossé. Dans notre région ces éperons artificiellement fortifiés datent le plus souvent de l’époque celtique. Il en est ainsi à Comin où des fragments de poterie de ‘La Tène‘ ancienne ont été trouvés. Ensuite jusque la fin de l’époque gallo-romaine on note encore des traces d’occupation. Pour ce qui est des creuttes il convient d’être prudent dans l’interprétation car on n’a aucune certitude : on a bien des restes de poteries devant les entrées ou à proximité mais rien pour l’intérieur. Ce matériel a pu glisser du sommet. Au moyen-âge ‘Coumi’ ou ‘Comi’ ou ‘Coumin’ sont mentionnés de la fin du XIIe au milieu du XIIIe siècles sans plus de détails. Voilà pour cet écart fréquemment associé au nom de Bourg dans l’Histoire.

superposition de l'ancienne carte de Cassini et d'image satellite contemporaine élaborée par David Rumsey

superposition de l’ancienne carte de Cassini et d’une image satellite contemporaine, élaborée par David Rumsey

Revenons au bourg et donc à Bourg. Les mentions écrites les plus anciennes donnent ‘Burgum et Cominum‘ 1184 ; ‘Burgum super Axonam‘, 1224 = Bourg sur Aisne ; ‘Bourc sur Aisne’, 1377 et ‘Bourcq en Launoys’ (Bourg en Laonnois), 1515 et 1628.

Ici le spécialiste de l’évolution des formes urbaines ou d’habitat s’attend à trouver, à cause du toponyme ‘Burg’ issu du germanique, une trace quelconque de fortification ancienne, c’est-à-dire le plus souvent la trace d’une défense par fossés et buttes, où la terre pelletée est omniprésente et signe l’action humaine qui se mue en forme géométrique. La promenade à pieds au travers des rues n’est pas ici signifiante, sauf… Reste encore, en complément souvent productif l’examen du cadastre, de préférence le plus ancien que l’on pourra trouver. Là encore, bien qu’intéressant en soi, l’examen du cadastre de 1832, conservé aux Archives départementales de l’Aisne, visible en ligne, n’apporte pas vraiment ce que l’on attendait.

gros plan sur un extrait du cadastre de 1832 ; AD Aisne, 3P 0117-_08, section C, 2e feuille. Réorienté au nord.

gros plan sur un extrait du cadastre de 1832 ; AD Aisne, 3P 0117_08, section C, 2e feuille. Réorienté au nord.

L’espace bâti, en gris hachuré, ne laisse pas voir nettement une forme qui pourrait faire penser à un dispositif de défense. Toutefois au nord-nord-est de l’église un espace vide intrigue un peu. A l’époque aucune construction n’apparaît dans le village au nord de la route Vailly-Beaurieux.

L’analyse globale de la topographie indique que le village est bâti sur une faible élévation d’environ 30 m. de dénivelé qui l’isole de l’Aisne et de la retombée molle des pentes du plateau dans le sens sud-nord, et d’une vingtaine de m. dans le sens ouest-est. J’ai noté que la promenade n’avait rien apporté de précis sauf… Et bien ce sauf est une invitation à pousser la porte du cimetière et à observer. Là tout devient perceptible : il suffit de voir les maisons accolées sur plus d’un demi-périmètre au pied de ce qui est une butte artificielle, sorte de motte, pour comprendre l’évolution des lieux. La butte n’a pas été faite pour recevoir un cimetière, elle a subsisté au cours des temps et un jour son propriétaire a cédé le terrain à la commune pour y installer le cimetière auparavant sans doute autour de l’église comme cela se faisait partout. Les photos suivantes illustrent mon propos et confirment ces assertions. Le seul obstacle à l’observation des faits est qu’ici la hauteur de la butte excède à peine le toit des maisons et celles-ci cachent le vestige depuis les rues.

AngleNordEstW église depuis talus de la motte ToituresTalusEstWOn peut désormais estimer qu’un jour, vers les XI-XIIe siècles, le seigneur du lieu que nous ne connaissons pas, a fait édifier cette butte de terre dans le but d’y installer sa résidence et celle de quelques associés et que dans son prolongement ouest il a de même modifié quelque peu le terrain d’origine pour y placer des manants protégés par une simple palissade et peut-être des fossés peu profonds aujourd’hui disparus. Le plan cadastral ne fournit pas une forme circulaire nette mais l’implantation des maisons ne laisse pas de doute sur une plus forte expression de cette forme à l’origine.

Toutefois ce site manque singulièrement de documentation écrite et nous ne pouvons y suppléer. Nous devrions avoir des sources sur les détenteurs anciens du territoire, d’autres plus récentes sur l’aménagement de l’espace au XIXe siècle… Or nous n’avons rien. Ceci ne met pas en cause notre analyse mais la rend fragile. Il faut bien que l’appellation de ‘burg‘ et ‘bourg‘ ait été donnée avec assez de raisons, le hasard n’a rien à faire ici. Le lieudit ‘derrière les murs’ au nord de la butte accrédite notre point de vue. Alors cogitons encore et encore. Ensemble ?

autre visualisationtopographie générale et localisation supposée d’une sorte de basse-cour à l’ouest de la défense primitive.

Quant au déplacement de population entre l’habitat de Comin et celui de Bourg, il se vérifie en maints endroits du territoire, soit par excès de population, soit, plus souvent, à cause de l’insécurité des temps. La population se réfugie sur une hauteur mieux défendue que le fond de la vallée, passage obligé. La possibilité ici de creuser soi-même des abris dans la falaise calcaire incite encore à trouver refuge sur la hauteur de Comin.

Notre ‘Ronde’ de février 2014

J’ai le plaisir d’accueillir ici en ce mois de février un texte et des photographies de Franck, http://quotiriens.blog.lemonde.fr/ sur le thème « Lumière(s)« fixé par notre ronde, dans sa sixième édition. Les participants à cette ronde sont énumérés en fin d’article et j’écris sur ‘le blog graphique‘ : http://gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com/

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Peindre la lumière du temps

Monet, des peupliers au fil du temps

des peupliers par Monet

La lumière est l’unique sujet peint par Monet. La lumière maquille le sujet qui n’est que prétexte, valet de chambre pour habits de lumière, miroir aux alouettes. Il peint l’atmosphère et les couleurs ont la lumière du temps qui change. Ses toiles traduisent les impressions avant l’aube frissonnant quand le noir se dilue, les ombres se détachent sur la pâleur de l’horizon, le premier chant timide transperce le voile flottant que le matin retire. Plus tard, au mitan du jour, quand le soleil à son zénith dompte les ombres soumises, au crépuscule qui allonge les formes jusqu’à l’ultime rupture: peindre, peindre à nouveau et encore, sous le même angle, le même portail de cathédrale, la même meule de foin, le même coude de la Creuse où fuit infiniment -comme le temps- un rapide sous le filtre des nuages qui glissent silencieux. A vouloir traduire le kaléidoscope capricieux de la lumière d’un jour qui passe, immortaliser ses impressions, comment Monet peut-il laisser sur ses toiles « le transitoire, le fugitif, le contingent » qui, par définition, ont déjà disparu dès que l’œil s’en détache, ne serait-ce que le bref instant pour chercher sur la palette leur miroir. Les plus grands s’en étonnent, jusqu’à Cézanne pour qui « Monet n’est qu’un œil, mais quel œil ! »

Monet, des ‘Creuse’

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En touches de couleurs, la Petite Creuse court et oblique pour retrouver la Grande Creuse derrière la butte. Au loin, plusieurs collines s’entrecroisent et le ciel -sa lumière- qui semble écrasé mène pourtant le bal, ou l’ambiance, quand terre et eau se teintent de son humeur.

La vue qui se présente à la sortie de l’ascenseur du neuvième étage chaque matin et chaque soir m’évoque Claude Monet. Un irrépressible besoin de fixer la lumière de l’instant me pousse à prendre, avec le même cadrage, la photo du même point de vue dont la variation de teintes en fait un paysage chaque fois sinon nouveau, du moins différent. Une infinie variation de tons et d’éclairages qui fascine quand on assemble les clichés en série, quand un seul vu isolément pourrait sembler banal. Je me demande ce qu’aurait fait Monet si il avait eu accès aux moyens technologiques actuels de photographie. Comment aurait-il utilisé son œil exceptionnel? On sait ce qu’en ont tiré d’autres artistes postérieurs au peintre, comme Warhol ou Wesselmann, en reprenant le concept des séries. Dans son immense production (plus de deux mille toiles recensées), Monet va peindre vingt-trois tableaux pendant son séjour de deux mois en Creuse, de mars à mai 1889, dont une série, une des premières, de onze toiles sur le coude de la Creuse à différents temps de la journée et sous des temps –ciels- différents.

« La vue qui se présente à la sortie de l’ascenseur du neuvième étage chaque matin et chaque soir m’évoque Claude Monet… »

l'Oratoire

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Quelles sont cette rage qui l’habite, cette obstination qui le nourrit, lui qui peste et se désespère, sur les berges de la Creuse, du temps capricieux qui l’oblige à peindre sous la pluie, jusqu’à attraper des gerçures qu’il calme en plongeant sa main meurtrie dans un gant imbibé de vaseline? Immortaliser l’instantanéité, c’est comme mettre en bouteille le flux et le reflux d’un océan millénaire. A quoi bon s’entêter? Quoi de plus fluctuant que les reflets de la lumière sur une mer agitée, ou sur un plan d’eau où flottent des nuages? Qu’à cela ne tienne, le porte-drapeau de l’impressionnisme, le pilier du pleinairisme est avant tout le peintre de la lumière et de ses reflets sur l’eau.

Monet, les nymphéas

Giverny

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Il finira par trouver les sources de la lumière dans l’étang de Giverny, son jardin qu’il va peaufiner pendant plus de trente ans. Il perdra la vision du scintillement des couleurs éteint sous le rideau d’une cataracte qu’il fera opérer en désespoir de cause, quand les couleurs deviendront magma incohérent d’une rétine obscurcie. Jusqu’à la fin, les impressions retrouvées de sa rétine directement transmises à la pointe de son pinceau, sa quête de la lumière l’amènera au fil de l’eau où il la trouvera flottant au milieu des nymphéas. Il ne lèvera plus son regard, fasciné par le monde et les fées qui défilent sur le miroir de l’eau.

nympheas de GivernyMerci à ‘Quotiriens‘ pour ses lignes vibrantes de ‘Lumières‘ et rendez-vous chez les rédacteurs qui participent à cet échange dans notre Ronde de Février en suivant les liens ci-dessous :

Guy (chez Jacques) : Emaux et gemmes des mots que j »aime  –>  http://wanagramme.blog.lemonde.fr/ 
 
Jacques (chez Elise) :  un promeneur  –>   http://2yeux.blog.lemonde.fr/ 
 
Elise (chez Danielle) : même si  –>   http://mmesi.blogspot.fr/
 
Danielle (chez Cécile) :  mine de rien  –>   http://dangrek.blog.lemonde.fr/
 
Cécile* (chez Dominique): cecile-r–>   http://cecile-r.over-blog.com/
 
Dominique (chez Alain) : la distance au personnage–>   http://dom-a.blogspot.fr/
 
Alain (chez Franck) : rumeur d’espace–>   http://rumeurdespace.wordpress.com/
 
Franck (chez Jean-Pierre) : quotiriens–>   http://quotiriens.blog.lemonde.fr/
 
Jean-Pierre (chez Gilbert) : voir et le dire, mais comment ?–>   http://voirdit.blog.lemonde.fr/
 
Gilbert (chez Céline): Gilbert Pinna, le blog graphique–>   http://gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com/
 
Céline (chez Hélène) : mesesquisses–>   http://mesesquisses.over-blog.com/
 
Hélène (chez Guy) : loin de la route sûre –> http://louisevs.blog.lemonde.fr/
Nous sommes redevables à Hélène (ci-dessus) de l’organisation de cette ronde et la remercions pour son indéfectible attachement à nos échanges.

 

 

Reims et les vitraux contemporains de sa cathédrale, dedans, dehors, ailleurs.

L’histoire et les retentissements de la pose des vitraux contemporains dans la cathédrale de Reims sont bien connus. La première artiste contemporaine présente sur le verre de la cathédrale de Reims fut Brigitte Simon en 1961 (puis 1971 et 1981),

Brigitte Simon
grisaille de Brigitte Simon, transept sud de la cathédrale

vint ensuite Marc Chagall en 1974, installé dans la chapelle axiale

Marc Chagall, chapelle axiale du choeur de la cathédrale
Marc Chagall, chapelle axiale de la cathédrale, vue partielle

le troisième en date, Imi Knoebel, fut choisi à l’occasion du huitième centenaire de 2011, présenté immédiatement à la gauche et à la droite du deuxième dans deux chapelles latérales.

Imi Knoebel, vue partielle de l'une des verrières
Imi Knoebel, vue partielle de l’une des verrières

A la fréquentation de Simon et Chagall les Rémois se sont peu à peu habitués, avec Imi Knoebel ils laissent paraître encore, comme moi, quelque effarouchement, de même que les visiteurs, du moins pour ce que j’en entends sous les voûtes. Le figuratif doux de Chagall ne voisine pas bien avec l’abstraction vive de Knoebel, dès lors que les vues simultanées de l’un et de l’autre provoquent la confrontation d’images et donc d’opinion, la mienne étant par définition fort subjective.

confrontation visuelle Chagall - Knoebel
confrontation visuelle Chagall – Knoebel
confrontation reconstituée après rééquilibrage des tonalités et rapprochement artificiel des vues
confrontation reconstituée après rééquilibrage des tonalités et rapprochement artificiel des vues

Depuis l’extérieur, ce qui n’est pas prévu par ailleurs dans le cadre d’une vision habituelle de vitrail, la virulence éclate également, comme on le voit ci-dessous. A gauche Knoebel, à droite Chagall. Ci-dessous des vues plus rapprochées de l’un et de l’autre.

Verrières latérales de Knoebel en vision partielle inversée
Verrières latérales de Knoebel en vision partielle inversée, depuis l’extérieur
vitrail de Chagall en position inversée, de nuit, depuis l'extérieur de la cathédrale
vitrail de Chagall en position inversée, de nuit, depuis l’extérieur

Cette façon de voir est accidentelle et ne correspond en aucun cas à une volonté de mettre en valeur ces vitraux ; elle résulte de l’effet fortuit d’éclairage intérieur de la cathédrale. Cela ne signifie pas que cette manière de voir ne serait pas à développer, après tout la mise en valeur de nuit de nos bâtiments patrimoniaux n’est que la résultante de modalités pratiques et techniques initiées par l’électricité. La généralisation de cette pratique à l’égard des vitraux permettrait de leur donner une vie nocturne et de compléter autrement l’illumination scénographiée de nos édifices. La seule nuisance est l’inversion par rapport à la volonté initiale de l’artiste.

Dernièrement la visite de la nouvelle exposition du Musée des Beaux-Arts, ailleurs donc, installée en hommage aux fondateurs du musée avant le transfert souhaitable et programmé des collections dans un futur musée à édifier au Boulingrin, m’est apparue comme une épiphanie de cathédrale idéale.

Ai-je été jusqu’alors assez stupide pour n’y avoir point songé ? Mais bien sûr, ce ne sont pas les vitraux de la cathédrale qui sont l’objet d’un débat, qu’on se satisfasse ou que l’on se chagrine de leur présence, depuis l’intérieur ou l’extérieur de leur écrin, mais seulement le manque de lisibilité de la cathédrale depuis le vitrail de Knoebel offert au musée lors des cérémonies dudit huitième centenaire. C’est ailleurs et non dedans ou dehors que la rumination d’art fait saliver, et c’est ici. Voyez ce vitrail, puis approchez et vous serez vous aussi convaincus de cette intuition diabolique.

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vue sur la cathédrale depuis le vitrail de Knoebel au Musée des Beaux-Arts de Reims
tours de la cathédrale et clocheton de l’ancienne caserne des pompiers
gros plan sur la cathédrale depuis le vitrail

Les tours de la cathédrale ne sont pas nettes, sa représentation est floue tout comme celle de la tour de séchage des tuyaux de l’ancienne caserne des pompiers de la cité. Là est le feu qui couve. Voilà bien ce qui provoque l’ire ou le contentement de quelques Rémois ; ici la querelle des Anciens et des Modernes n’est qu’une affaire de myopie, d’absence de netteté de vue et en conséquence le point de vue que l’on s’en faisait jusque-là était donc faussé par un énoncé fallacieux de la question. Encore fallait-il le démontrer et peut-être ne s’agit-il que d’un cas d’école rémo-rémois.

Conseil de l’auteur : au cas où mon propre jugement se serait égaré à cause d’une défectuosité de vue inconnue de moi, venez et constatez de vos propres yeux, vous ne regretterez pas votre déplacement quoi qu’il en soit. De même qu’au moins depuis Montaigne nous savons que la vérité est différente d’un côté et de l’autre des Pyrénées, désormais vous saurez que la vision d’un vitrail depuis ses faces internes ou externes et plus encore au-delà de ces faces inspire des réflexions variables et subjectives.

Vous trouverez sur le site de la DRAC : http://www.cathedrale-reims.culture.fr ou celui des ‘Amis de la cathédrale‘ : http://www.amis-cathedrale-reims.fr/                                         des informations sur les vitraux de la cathédrale ou sur leur restauration, dans une tonalité et un sérieux bien différent de la légèreté de cette libre expression.

Pour entrer dans l’art d’Imi Knoebel et sa conception des vitraux de Reims une approche synthétique est donnée par un numéro hors-série de ‘Connaissance des Arts‘, le numéro 499, Reims, la cathédrale et les vitraux d’Imi Knoebel, 2011, 67 p.

Jean de La Ville de Mirmont tué le 28 novembre 1914 à Verneuil (Moussy-Verneuil), Aisne

Un talentueux écrivain. Peu connu mais toujours lu depuis la parution de ses premiers poèmes (à partir de 1903), de son « Horizon chimérique » (1911-1912) dont quelques poèmes seront ultérieurement mis en musique par Gabriel Fauré et plus récemment par Julien Clerc, et encore de son original roman à la tonalité toute contemporaine : « les dimanches de Jean Dézert » (1914), Jean de La Ville de Mirmont enchante nos lectures.

Son oeuvre nous est accessible par l’intelligente publication qu’en fit Michel Siffran en 1992 chez Champ Vallon : Jean de La Ville de Mirmont, Oeuvres complètes, poèmes-récits-correspondance. Introduction et présentation générale par Michel Suffran avec un avant-propos de François Mauriac. Seyssel, Champ Vallon, 1992, 352 p.

Jean de La Ville pendant son serviceen 1906

Celui qui a lu, entre autres exemples, le poème XIV de l’Horizon chimérique est tant aspiré par ces vers initiaux qu’il ne peut qu’y revenir encore et continuer ailleurs sa quête d’images et de sonorités, de dépaysements et d’enchantements :

« Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse                                                                           Et roule bord sur bord et tangue et se balance                                                                                   Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ;                                                                                   Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences                                                                       Plus belles que le rythme las des chants humains. … »

Le 24 novembre il écrit à sa mère : « Ma chère Maman, je viens de recevoir ton colis contenant une peau de lapin, un sac de couchage, des chaussettes et le passe-montagne de Suzanne. … … Cette nuit ma fourrure m’a fait rêver que j’étais devenu Cosaque, avec une grande lance et un costume rouge et jaune. Voilà qui amuserait Fanfan si c’était vrai. … Au fond je suis le plus heureux de vous tous, car si je suis emporté, j’espère ne pas même m’en apercevoir ; si je suis blessé, je coucherai dans un bon lit et je serai soigné par d’aimables dames et si je persiste tel quel, grâce à toi je n’aurai pas trop froid. Au revoir, ma chère Maman, bons baisers à vous tous. Ton fils si loin et si près de toi -et sur qui veillent non seulement son étoile, mais toutes les étoiles du ciel.En cette foy je veux vivre et mourir.’ (refrain de la ballade que fit Villon pour sa mère.)

Quatre jours plus tard le sergent Jean de La Ville est tué au front sur le Chemin des Dames, enseveli, la nuque brisée, lors d’un bombardement dans sa tranchée alors qu’il venait de refuser une relève, à Verneuil-Courtonne, aujourd’hui commune de Moussy-Verneuil au nord de la rivière Aisne, entre Vailly-sur-Aisne à l’ouest et Bourg-et-Comin à l’est, à proximité de la ferme du Metz et du Bois des Boules. Engagé volontaire il s’était fait remarquer pour sa bravoure le 2 novembre dans le même environnement. On note que les tranchées allemandes sont très proches et du reste Jean de La Ville cite un exemple de ‘fraternisation’ dans sa correspondance.

citation en l'honneur de Jean de La Ville. JMO 26N646/1, 2 novembre 1914, p.39

citation en l’honneur de Jean de La Ville. JMO 26N646/1, 2 novembre 1914, p.39

57eRI010115_26N646_1La ferme de Metz est à gauche du canal, il n’en reste rien de nos jours. Le Bois des Boules est à sa droite, au-dessus de l’inscription ‘Moussy’. Plan copié sur le site ‘Mémoire des hommes’ 26N646_1 le 1er janvier 1915. Ci-dessous le site de la ferme de Metz en 2013 avec la maison d’écluse et sa plaque.

la ferme était immédiatement au-delà du canal et de l'écluse à gauche

la ferme était immédiatement au-delà du canal et de l’écluse à gauche

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Si le JMO des 27 au 29 novembre mentionne bien des actions énergiques et des disparitions d’hommes dans tout le secteur de Verneuil, Moussy et Beaulne je n’y ai pas trouvé le décès de Jean de La Ville. Il doit figurer dans l’annexe que mentionne ce rapport de JMO et que je ne parviens pas à lire en ligne. Le 28 novembre est signalé un « …bombardement ininterrompu de Moussy, à la fin du jour l’ennemi lance encore quelques grosses bombes sur la partie gauche de nos tranchées du 4e sous-secteur, elles nous tuent un homme et enterrent la section de mitrailleurs du 123e qui est au saillant gauche… »

D’abord inhumé dans le cimetière provisoire de Verneuil son corps fut déplacé en 1919 vers la nécropole de Cerny-en-Laonnois avant que sa famille ne le fasse revenir à Bordeaux dans le cimetière protestant.

Un autre écrivain mort jeune, Emile Despax, a été tué quasiment au même lieu le 17 janvier 1915. J’ai évoqué son souvenir sur ce blog ici : http://voirdit.blog.lemonde.fr/2013/01/18/emile-despax-pensee-pour-lui-ce-17-janvier-2013-en-reference-au-17-janvier-1915-a-la-ferme-du-metz-de-moussy-verneuil-02/

Notons encore qu’une approche originale du parcours créatif de Jean de La Ville a été produite par Jérôme Garcin dans son roman ‘Bleus horizons‘, nrf, Gallimard, 2013, 224 p.

La « Lettre du Chemin des Dames », de bonne tenue, a également évoqué la vie et la mort de Jean de La Ville  par la plume de Guy Marival, Lettre n° 23 de l’automne 2011, p. 5-8.

D’autres renseignements vous seront accessibles sur Internet, par exemple et entre autres sur le site consacré au 57e RI par Bernard Labarbe qui publie les récits de son grand-père Raymond Labarbe : http://raymond57ri.canalblog.com.

Le mot de la fin avec Michel Suffran op. cit. p. 49 :

« Ne l’idéalisons pas. Ni stèle, ni piédestal. Donnons-lui ce qu’il demande, et rien de plus. Voilà. Accordons à ce jeune homme intact la place qu’il mérite et qu’il a conquise : non celle d’un gisant, non pas même celle d’un survivant… La place d’un vivant. Et non point devant nous mais parmi nous. Debout, juste au milieu de nous. »

 

Philippe Borrell et « la main de Massiges », in memoriam

Des circulations d’idées bâtissent aléatoirement ce blog nourri de passions et d’amitiés. En ce jour du 11 novembre mettons en avant Philippe Borrell que des liens ‘aliniens’, familiaux ou de localisation géographique font émerger soudain.

La lecture du dernier bulletin (n°36, octobre 2013) publié par l’Association des Amis du Musée Alain et de Mortagne m’apprend par la plume alerte de la Présidente Catherine Guimond dans ses ‘Lectures croisées Alain-Mauriac‘ que la vie de Philippe Borrell a croisé celle de Mauriac et d’Alain avant de se terminer dans le chaos de septembre 1915 en Champagne. En quelques lignes Alain puis Mauriac donnent à lire rapidement quels faits ont lié ce jeune homme à leur parcours. En fait ces deux auteurs célèbres ont oublié par accident ou délibérément jusqu’à l’existence de notre combattant et c’est de son dernier combat qu’il va être question ici en ce jour favorable à remembrance guerrière. Vous trouverez dans le bulletin cité ci-dessus les circonstances ‘littéraires’ propres à chacun (p. 86-87).

Philippe Borrell naquit à Bordeaux le 26 janvier 1890 et fut élève du lycée de Bordeaux de 1897 à 1906 en même temps que Mauriac. Il obtient l’agrégation de philosophie en 1913 après un brillant passage à l’E.P.H.E.S.S. et   à Normale Sup où Alain l’a connu.

Survient la mobilisation et la guerre *. D’abord en Lorraine son régiment, le 146 e d’infanterie dans lequel il officie en tant que capitaine se trouve en Champagne à partir de la fin août 1915 quand débute une bataille de reconquête voulue par l’Etat Major à partir du 22 septembre. Philippe Borrell commande le 2e Bataillon, 7e compagnie à environ 15 km au nord-ouest de Sainte-Menehould, à proximité de la bordure occidentale de la sylvestre Argonne. Après une intense préparation d’artillerie, l’une des premières de cette ampleur, son bataillon est chargé de prendre des tranchées allemandes puissamment fortifiées dans une zone de collines peu élevées mais très découpées et assises en un chapelet de buttes successives en forme de doigts de main et dans un contexte de  craie propre à cette région que la pluie forte des jours précédents a rendu particulièrement glissante et gluante. Nous sommes dans ‘la main de Massiges’ devenue si tragiquement célèbre dans les communiqués officiels.

Les Journaux de Marche et d’opération (JMO) publiés désormais sur le site bien connu des spécialistes et amateurs ‘mémoire des hommes’ rendent parfaitement compte de l’âpreté des combats et de la complexité stratégique de l’affaire. Ainsi en est-il du JMO 26N695/4 du 146e RI. La bataille s’engage en effet sur un front d’environ 25 km d’ouest en est, entre Aubérive et Ville-sur-Tourbe. Le relief, bien que modéré, cache nombre de replis de terrain aux artilleurs, contre-pentes exploitées par les Allemands pour y installer des abris sûrs que l’artillerie n’a pu détruire tous.

D’abord victorieuse sur la première ligne allemande la percée française va s’arrêter sur les secondes lignes au prix de pertes importantes. Dans ce contexte saisissant d’horreurs et de bravoure mêlées le bataillon de Borrell se déporte sur sa gauche et se trouve immobilisé par les mitrailleurs et l’artillerie ennemie. Le 25 septembre 1915 Philippe, 25 ans, tombe au champ d’honneur. On ne sait exactement où, il est porté disparu tout comme ce triste soir, 25 officiers sur 29 et 528 hommes de troupe sur 2260 pour ce régiment, l’un des composants de cette attaque. Médaille militaire avec croix, voilà tout. Toute cette boucherie pour en moyenne 4 km en profondeur de terrain récupéré sur l’ennemi qui perd dans la bataille 26000 prisonniers et 140 000 blessés, tués ou disparus sur l’ensemble du front de cette bataille de Champagne.

fiche signalétique au nom de Philippe Borrell, porté disparu le 25 septembre 1915 à Massiges

liste partielle (suite sur la page suivante du journal) des officiers blessés, tués ou disparus d’après le JMO 26N695/4 du 146 RI

circonstances et raisons de l’imparfaite reconquête du 25 septembre 1915 d’après le JMO du 146 RI en Champagne

Ces lignes sont bien peu pour rappeler ces faits qui pourtant ne guérissent pas l’Homme de sa folie meurtrière quand des événements la déchaînent. Notre  héros espérait sans doute un avenir autre, probablement d’exception, vu son parcours. Il n’a eu le temps d’écrire, encore élève, qu’un court article sur la notion de pragmatisme publié en 1907 dans la Revue de Philologie ainsi qu’une étude sur Spinoza publiée en 1911 chez Bloud et Cie.

Avant de mourir il a pu voir ces ciels profondément bleus de la Champagne autrefois dite ‘pouilleuse’, souvent non cultivée encore en 1915, sauf en finage des villages et parsemée de pinèdes. Une sorte de lande de forte amplitude thermique parcourue de moutons qui à certaines heures n’est pas sans évoquer des paysages de l’Oranais. Il l’a sentie sous ses souliers cloutés depuis le Perthois de Vitry jusqu’à ces terres à outardes plus au nord où les villages exposent leurs maisons de torchis et de bois bien protégées des toitures à faible pente débordantes, lignées de tuiles ‘canal’.

tuile canal employée en Argonne

aspect d’un toit couvert de tuiles ‘canal’ ou courbes, certaines sont encore surmontées d’un nez d’appui pour la tuile supérieure, comme plusieurs exemplaires trouvés en fouilles à Vanault-le-Châtel prouvent l’existence aux XIIe-XIVe siècles.

Après guerre nombre de villages ne seront pas reconstruits, tels Tahure, Hurlus, Mesnil-les-Hurlus, Perthes-les-Hurlus…

* Dans une lettre d’Alain à Elie et Florence Halévy datée du 30 septembre 1914 on lit : « Mon Borrell est blessé, convalescent à Nice« . Etat de fait qu’Alain avait du reste signalé le 28 septembre dans un courrier à Mme Salomon. Sources : Alain, correspondance avec Elie et Florence Halévy, nrf, Gallimard, 1955, p. 147 et note p. 419

Dans sa biographie d’Alain, André Sernin évoque les relations d’Alain et Borrell dans plusieurs passages et en particulier celui-ci : « L’autre ‘vétéran’ auquel Alain faisait allusion dans ses Notes de 1946, sans le nommer, est Philippe Borrell… …citation d’Alain = « Il était de tous le premier parti à la guerre, mais il n’alla pas plus loin que la bataille de l’Aisne (sic) ». la localisation est fausse dans l’esprit d’Alain en 1946 mais si le département de Massiges est bien la Marne, la rivière Aisne n’en est éloignée que de sept petits kilomètres.

André Sernin, Alain Un sage dans la cité, Robert Laffont, Paris, 1985, 478 p. Extrait p. 103

Si des lecteurs trouvent des renseignements plus précis sur cet élève d’Alain et relation de Mauriac, qu’ils veuillent bien me les communiquer.