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Lumières d’orage

L’été est là et d’un coup sa lumière habituelle fait place à un étrange éclairage connu et craint tout à la fois. Dans le même temps de lourds nuages d’abord fixes se déplacent en tous sens et des tourbillons de vents tempétueux font ployer les arbres, onduler leurs rameaux et soulever de menus débris du sol.

Vous avez deviné l’approche de l’orage.

 

nuages d'avant l'orage
peu avant de lourds nuages emplissent le ciel et semblent conquérir l’horizon

       Puis l’affaire se précise. Les teintes vives s’estompent et font place à une lumière laiteuse qui enrobe tout. Les verts deviennent bleutés puis gris puis jaunâtres, suivant les lueurs dans le ciel tourmenté. Peu avant le paroxysme un jaune orangé terreux suinte de partout :

début d'orage

Sauve-qui-peut ! On est dedans, on attend. L'éclatement va se produire.

Alors tout peut arriver, la crainte est vive. De grosses gouttes explosent que la lenteur du déclenchement de l’appareil convertit en têtards :

des gouttes d'orage

attendues les gouttes d'orage laissent craindre néanmoins la grêle.

Puis la pluie omniprésente jaillit d’un horizon l’autre, dans tous les sens, portée par des vents en bourrasques imprévisibles.

pluie d'orage

à choisir entre 'bâche qui perce' ou 'vache qui pisse'

La période du romantisme d’abord a maintes fois privilégié cette forme d’intempérie pour la traduire en mots, en couleurs et sonorités : Chateaubriand, Hugo… Rousseau, Troyon et toute « l’école de Barbizon« , suivis d’autres, et Beethoven et cent autres depuis. Les cimbales et toutes variétés de caisses ont résonné dans tant de ‘symphonie fantastique’. En peinture le rendu technique de l’éclairage le plus proche qui me soit venu à l’esprit en observant le ciel devant ma vue est celui plaqué de main de maître sur un panneau peint à l’huile par Constant Troyon, appartenant aux collections du ‘Musée Pouchkine’de Moscou. Il date de 1851 et s’intitule justement ‘avant l’orage’. Splendide restitution, voyez ci-dessous :

scène d'avant orage brossée par Troyon

une exactitude des tons et de l'ambiance à couper le souffle (d'Eole ?)

Image subtilisée à Jean Bourete, L’école de Barbizon et le paysage français au XIX ème siècle, Ed. ‘Ides et calendes’, Neuchatel,1972, 272 p.

André Gide, dans ‘les nourritures terrestres’ (1897) décrit ainsi le phénomène météorologique et son ressenti :

« …Le ciel s’était chargé d’orage et toute la nature attendait. L’instant était d’une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s’étaient tus. Il monta de la terre un souffle si brûlant que l’on sentit tout défaillir ; le pollen des conifères sortit comme une fumée d’or des branches. Puis il plut. »

J’aime beaucoup également le synthétisme abrupt et signé de Jean Giono, ici à partir de ‘Jean le Bleu’ (1932) :

« …Les rossignols du lavoir chantaient encore. L’orage maintenant tenait tout le rond du ciel. »

Soleil et lumières d’été de retour roulent les dernières billes de glace, simple jeu naturel vécu comme tel quand, par chance, les éléments déchaînés n’ont pas causé de dégâts.

pour jouer

« T’as d’beaux yeux tu sais ! »

Toujours dans l’oreille et l’oeil en dépit de sa date, 1938, cette interjection prononcée par J. Gabin à Michelle Morgan suivant les dialogues de J. Prévert et la conception de M. Carné. Nelly réplique alors : « embrassez-moi !  » Nous sommes dans la transposition du roman « le quai des brumes » de Pierre Mac Orlan, paru en 1927.

Amoureux de nature comme vous savez j’ai succombé aux charmes tout frais tout neufs d’une jeune libellule de marque « grande Aeschne » sortant des ateliers de cette nature très prodigue tant que l’homme ne la tue pas. En effet ses yeux alors encore en construction étaient superbes. La belle avait quitté son exuvie (non retrouvée in situ cette fois) voici peu et prenait de l’ampleur très lentement aux rayons du soleil, agrippée à la première plante venue. J’ai eu tout temps de photographier car elle ne s’est envolée que 36 heures plus tard. Les photos suivantes sont suffisamment évocatrices pour se passer de commentaire. J’ai déjà par le passé, vers 2000, marqué mon intérêt pour cet insecte ici, reproduisant par le dessin aquarellé l’une de ces exuvies :

http://jpbrx.perso.sfr.fr/aeschna.htm

imago de Grande Aeschne

jeune Grande Aeschne aux ailes non perpendiculaires au corps

imago de Grande Aeschne

insecte presque parfait, prêt au vol

thorax et ailes de Garnde Aeschne

demie carlingue en tenue de première sortie

gros plan sur yeux de libellule Grande Aeschne

thorax et tête de Grande Aeschne fraichement éclose

 

22/11/1890 – 09/11/1970 Qui ?

La seconde date, plus connue de nous, devrait vous mettre sur la voie, surtout ce jour.

Il s’agit en effet de Charles de Gaulle, né à Lille le 22 novembre 1890 comme l’annonce ce faire-part parental reproduit d’une collection particulière :

 

faire-part de naissance de Charles de Gaulle

Vous savez toute la suite et ce n’est pas ici que vous apprendrez aujourd’hui quelque chose de nouveau sur cet illustre Français.

Je l’ai vu et entendu un jour de juin 1964 à Soissons où j’étais alors un élève de dix-huit ans pensionnaire au lycée de garçons des Cordeliers. Assez âgé donc pour me souvenir de quelques impressions très ordinaires. Très chaude journée. Ayant quitté clandestinement le lycée vers midi je me suis rendu Place de l’Hôtel de Ville où le général devait prononcer un discours. Foule très dense et police de même dans les rues, exclamations favorables et spontanées, tendance bon enfant. Comme un camarade de classe m’avait remis le matin même une boîte de cartouches longues « 22 long rifle » , je l’avais en poche. Par précaution, ayant déjà eu à entrer en contact avec des représentants de l’ordre, il m’a semblé nécessaire de m’en défaire provisoirement dans un canal d’écoulement d’un dauphin d’une rue proche, ce qui fut fait et ce qui a sans doute contribué à enregistrer l’événement historique dans ma mémoire. Je suis ensuite parvenu à me faufiler jusqu’au niveau du cinquième rang de la foule environ et le Président de la République m’est apparu tout à fait conforme aux images des journaux télévisés, des hebdomadaires et des livres d’histoire : Le verbe haut, tout comme la stature, les bras mobiles et le visage animé. J’étais heureux d’être là, de partager des émotions avec une foule bruyante peuplée d’inconnus et ce fut la première fois de ma vie que j’ai approché d’aussi près un personnage d’importance. Aujourd’hui je ne saurais rien dire de plus, sinon d’ajouter : « j’étais là », autrement dit de certifier le fait volontaire d’avoir vu et entendu de près l’un de ceux qui ont fait l’histoire de ce pays.

Ce sont des mots qui font exister les deux, et l’Histoire et le Pays. Des mots du jour je n’ai aucun souvenir, sans doute furent-ils assez anoduns pour ne pas inscrire Soissons ce jour-là dans l’Histoire. Alors je me borne, ou plutôt m’ouvre l’esprit dans la citation de deux passages des « Mémoires d’espoir », ouvrage que je me suis procuré le 7 octobre 1970, ne sachant nullement que l’auteur ferait définitivement partie de l’histoire le mois suivant. Quant au livre, plus de cent mille exemplaires ont été vendus en deux jours ! Les première phrases sont toute gaulliennes évidemment : « La France vient du fond des âges. Elle vit. Les siècles l’appellent. Mais elle demeure elle-même au long du temps. »

J’en extrait une autre citation relative aux ‘allocutions à la nation‘, du chapitre ‘le chef de l’Etat‘ :

« Toujours je leur parle beaucoup moins d’eux-mêmes que de la France. Me gardant de dresser parmi eux ceux-ci contre ceux-là, de flatter l’une ou l’autre de leurs diverses fractions, de caresser tel ou tel de leurs intérêts particuliers, bref d’utiliser les vieilles recettes de la démagogie, je m’efforce au contraire de rassembler les coeurs et les esprits sur ce qui leur est commun, de faire sentir à tous qu’ils appartiennent au même ensemble, de susciter l’effort national. »

Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, * Le renouveau 1958-1962, Plon, 1970, p.302.

A ce moment de ma vie ce Président n’était pas pour moi « l’Homme du 18 juin », ni le Libérateur de Paris, épisodes que je n’avais pas vécus mais celui qui avait permis à la France de sortir tout récemment du bourbier algérien, quel qu’en fut le coût pour lui, militaire d’abord. Alors pour cela entre autre j’étais gaulliste.

Vitré : anno Domini 1513

De passage à Vitré, l’oeil attentif aux lumières et aux formes, j’ai retenu dessinés dans le bois, dans la pierre quelques appels signifiants. L’un d’eux portait gravé dans la pierre comme il aurait pu l’être cursivement noté sur un parchemin une lettre, trois lettres puis quatre chiffres. Assez pour rappeler la fuite du temps aux passants du futur, en l’esprit du propriétaire qui n’imaginait pas sans doute qu’en 2010 encore quelqu’un lirait son message… Puis-je moi-même savoir si en 2507 cette pierre sera en place ? Non mais j’espère seulement qu’il en sera ainsi et qu’en 2013, tout près de nous donc, certains fêteront le demi millénaire. Assez écrit, de quoi s’agit-il ?

maison 1513 à Vitré

Au premier regard vous pensez être devant une toile abstraite. Il n’en est rien, que du concret mais abrégé. Il faut lire en effet, selon l’habitude des temps médiévaux : A(nno) D(omi)ni 1513 et ces signes sont gravés sur une pierre bien apparente d’un hôtel particulier que voici dans son entier :

hôtel particulier 1513

Un autre encore, à peine éloigné, jetait dans le ciel d’août une bien curieuse tourelle et des brillances d’ardoises fantastiques et même fantasmagoriques car elles m’ont fait penser aussitôt à l’un ou l’autre de ces lavis rouillés que Victor Hugo a tant aimé laisser à l’imagination de ses lecteurs.

Hôtel du Bol d'Or à Vitré

Un dernier appel encore, en bout de rue, en fin de parcours, laissait entendre qu’après le repas je pourrais reprendre ma quête de signes et de sens dans cette ville riche en inattendues demeures alors que dans ma mémoire ne restait apparemment inscrites que les lignes structurantes de son château, assez connu pour que je ne livre ici que deux photos ‘souvenir’.

vieilles maisons de Vitré

cour intérieure du château de Vitré

façade du château de Vitré

 

Comme nous le fait judicieusement remarqué Jeandler, ami du web (http://jeandler.blog.lemonde.fr) ces toitures de Vitré sont probablement sorties de quelque rêve. Et bien oui et c’est à Victor Hugo que j’ai pensé en les photographiant car qui mieux que lui sait illustrer des rêves par les mots ou par le dessin, le lavis ; ces encres diluées se meuvent dans les volutes cérébrales de ses lecteurs et l’emmènent en songe. Ainsi, retrouvant sa Juliette en des circonstances agitées que nous relate fort précisément et avec talent M. Jean-Pierre Montier dans « Deux voyages amoureux en Bretagne, Victor Hugo » ; Ed. Ouest-France, 2009 ; notre écrivain a profité de son séjour breton pour crayonner et j’ai extrait du livre de M. Montier une ‘plume et encre brune du Vieux saint-Malo’ où les toits surgissent :

 

 

vieux Saint-Malo

Il m’a semblé que les maisons et toitures de Saint-Malo ancien et disparu vues par Victor Hugo ont un air de parenté certain avec celles du Vitré d’aujourd’hui, restaurées et bien vivantes. Rien que pour cela quittez donc l’autoroute et parcourez les vieilles rues de Vitré. Graphitez, lavissez vous aussi !

 

 

Au-dessus des chaumes jaune paille

Au-dessus des chaumes jaune paille piquetées de rares brins encore verts surgit sur le plateau l’angle vif du vieux clocher ruiné encadré de grands arbres.

le clocher ruiné de Bourgon

A l’approche, intrigué après avoir lu sur la carte IGN au 100 000e que se tient là une ruine nommée exagérément « cathédrale », le promeneur découvre d’abord un chemin qui longe un étroit ravin et débouche à proximité du sol en place d’une ancienne carrière de pierres à ciel ouvert que l’on croirait une ma&re asséchée :

sol de base d'une ancienne carrière de pierres

Derrière des arbres apparaît bientôt ce qui reste d’un choeur d’église et d’une nef

choeur de Notre-Dame de Bourgon

 

nef et choeur

Des commentaires reproduits sur panneaux nous permettent de comprendre l’histoire du lieu. Nous sommes ici en présence d’un village des XI-XIVe siècles nommé Bourgon, détruit et donc abandonné en grande partie lors d’un épisode de la Guerre de Cent-Ans puis revigoré au XVIe siècle, moment où l’on fait quelques extensions à l’église alors réparée et toujours accompagnée de son cimetière.

Puis peu à peu le village décline à nouveau, est abondonné au bénéfice de Morcourt à moins de 500 mètres au nord-ouest. Morcourt modeste hameau dépendant de Feigneux qui a attiré quelques peintres au tournant du XXe siècle.

Après avoir salué et félicité en pensée le propriétaire du terrain et des ruines qui entretient joliment ce site d’allure très romantique nous lisons la description relatée en 1851 par un certain Victor Offroy, de Dammartin et publiée le 28 octobre dans « le Journal de Senlis« 

« …Bientôt on arrive à Morcourt ; ce village s’adosse sur le versant de la plaine qui descend dans la vallée, ses chaumières s’isolent chacune dans le petit champ qui l’enferme, et fument parmi les arbres qui les abritent ; on dirait des nids d’homme se cachant là, dans les touffes de végétation. Ses habitants vivent de la terre qu’ils cultivent, ils ne connaissent d’autres biens que ceux de leurs récoltes, d’autres révolutions que celles des saisons : c’est une petite colonie séparée du monde et demeurant étrangère à tout ce qui s’y passe ; heureux qui se plaît là ! »  

Ici encore debouts une pierre tombale de 1857, quelques bases de monuments funéraires, un chemin pierré et même la vieille porte du cimetière dorment en paix entre althéas et hybiscus.

Passants qui passez là laissez les choses en l’état et ne pensez qu’au repos des os et des pierres d’ici ; les uns attendent la résurrection annoncée, les autres repoussent grâce aux soins attentionnés de nos contemporains la lente érosion dans le temps !

J’attendais Froissard et les Chroniqueurs mais je suis plutôt chez Gérard de Nerval et ses « Filles du feu » et « Sylvie ».  Entre chevauchées et rêveries il faut choisir pour préserver au mieux ces pierres, dentelle mîtée du temps qui est, qui était et qui fut.

Le sujet des ruines peint évoque chez l’amateur Hubert Robert parmi d’autres peintres. Pourtant je choisis une église de Rouen, en ruines, dessinée par Corot, sans doute lors de sa jeunesse. Il doit s’agir de l’église Saint-Pierre de Rouen et je la prends dans : Dessins français, de Prud’hon à Daumier par André Vantoura et coll., Ed. Art et dessins S.A., Fribourg, 1966, n°79.

église Saint-Pierre de Rouen, dessin par Corot

mine de plomb du Musée du Louvre ; 28,4 x 22,9 cm

Un extrait d’un poème de Pierre Seghers s’accorde à l’harmonie du site :

« Qui passe renaîtra                                                     Se fera mot, couleur, musique, sera pierre                     et poussière demain, mais la vie reviendra                      et tous les incendies, les guerres, les massacres              la corrosive écume,les pollens et les vents                     en vain seront sur nous. Rien ne nous atteindra. » 

Pierre Seghers, Derniers écrits, Poèmes pour après           Eclats. Postface de Colette Seghers.                               Editions Fanlac, 2002, p.66




Suzanne, vous connaissez ? Ou Thunbergia alata, sexy en diable

Connaissez-vous Suzanne, celle qui a les yeux noirs ? Laquelle, me direz-vous, elles sont au moins deux ? En effet, elles sont deux et permettez-moi de vous présenter la plus enjoleuse, la plus fatale. Celle qui ne vous lâchera pas de sitôt, vous agrippant, vous entortillant, vous…, telle une liane, qu’elle est. On la dit africaine, on la sent brésilienne. Une latinos pas farouche. Gagne sa vie en participant à des séances photos où Eros l’observe. Elle sait y faire, surtout avec le photographe qu’elle trompe habilement par des métamorphoses infimes, soignées, évocatrices, semblant imperceptiblement passer en un clin d’oeil d’un genre à l’autre. Une pose en rondeur, en courbes, en ondulations. La belle fait chavirer notre photographe, l’oeil rivé au viseur.                                                                                                                                 pièce florale après floraison

Le miroir bascule et, coup d’oeil suivant, il en perd la raison ses sens le trompant. Les courbes laissent place à une certaine ligne directrice qu’il connaît. Bouleversé il demande à la belle de lui dévoiler son intimité.

Thunbergia en fruit

Graines dans leur enveloppe finement velue. Lors de la dessication celle-ci éclate tout d’un coup et bruyamment, s’ouvrant en deux et laissant ainsi s’échapper les graines

fruit en coupe avec graines

Quelques jours suffisent pour, d’une belle parée de tant de charmes, voir poindre la rose de Ronsard. Sic transit gloria mundi. Allez vous rhabiller dit le photographe amoral qui ne tilte qu’en présence de jeunes épanouies.

traces étoilées du décollement du fruit

Alors il comprend tout, revient sur terre en botaniste accroché à sa terre. Ce qu’il avait rêvé autre n’est qu’un ensemble reproducteur en fonctionnement étalé dans le temps. Comme toujours chez les plantes et dans la nature. Par manque d’observation on néglige souvent cet aspect des choses.

Venons-en à sa carte d’identité. Notre belle Suzanne a bien sûr un nom, qui est une dédicace. Mais puisqu’elles sont deux il faut choisir l’élue. Est-ce Thunbergia alata ou est-ce Rudbeckia hirtaMa préférence, bien que peu argumentée, va à Thunbergia alata parce que Rudbeckia hirta me semble entrer plus récemment dans la célébrité, en 1918 précisément lorsque cette fleur devint alors l’emblème du Maryland. Le fait me paraît un peu récent pour avoir contribué à nommer.  Quant à l’appellation elle-même de « Suzanne aux yeux noirs » elle pourrait venir du titre d’une nouvelle de Thomas Holcroft publiée en 1803 dans ‘Tales of Mystery’, selon une information que j’ai lue sur le forum de Futura-sciences.

fleur de Thunbergia alata

A l’oeil noir auréolé de soieries nacrées, légères, éblouissantes ; au comportement de liane évoqué d’entrée, je l’identifie désormais de loin. Quelle étrange beauté, d’une si grande simplicité, toute en noir et blanc !

Thunbergia alata au comportement de liane

Elle semble décrite pour la première fois sous cette appellation en 1825 dans Bot. Mag. 52 t. 2591 ainsi que dans le Curtiss’s Botanical 52. Ce nom qui est un prénom et une qualité a fait fortune puisqu’on le trouve employé et traduit en espagnol, anglais, allemand et français, pour le moins.  La prochaine fois que vous la verrez, appelez-la par son prénom et faites-lui un clin d’oeil : elle aime.

Pavie, 1525 et l’amertume. Ou 1664 et le « Strisselspalt » ?

     En 1531 les Etats-Généraux réunis à Bruxelles offrent à l’empereur Charles-Quint une tapisserie tissée d’après les cartons de Bernard van Orley. La tenture composée de sept tapisseries est destinée à commémorer la victoire de Pavie contre François Ier le 24 février 1525. 

     Naguère les écoliers français connaissaient la teneur de la lettre que le roi de France, fait prisonnier lors de la bataille, écrivit à sa mère Louise de Savoie :

« Madame pour vous faire savoir comment se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie qui est sauve ».

     Observant la reproduction partielle de l’une de ces tapisseries je constate qu’un cheval a les yeux bleus et qu’une grande liane de houblon serpente sur l’un des troncs d’arbre entre lesquels se cachent ou passent les soldats. Sans doute ce houblon est-il figuré volontairement. Serait-ce en raison de l’amertume dans laquelle était plongée l’armée française par référence à la même amertume que procure cette plante à la bière ? Peu probable. Serait-ce parce que ses tiges piquantes et agrippantes enserrent leur support, le rendant de la sorte prisonnier ? Peut-être, mais sans doute s’agit-il plutôt d’un écho à l’usage pharmaceutique du houblon qui est antispasmodique.

     Voici le fragment de la tapisserie tel que je le reproduis à partir d’un article de Céline Lefranc, intitulé « La revanche de François Ier » et publié dans la revue ‘Connaissance des Arts’, n° 565, octobre 1999, p.60-63 :

tapisserie de la Victoire de Pavie et houblon

houblon

     Le houblon, Humulus lupulus, liane de la famille des cannabinacées, commune le long des bordures humides de bosquets et bois clairs, présente des pieds mâles et des pieds femelles aux fleurs différentes. Les fleurs mâles sont disposées en inflorescence rameuse tandis que les femelles forment des cônes ou strobiles globuleux ; ce sont elles qui sont ajoutées à la bière et qui lui donnent son goût propre.

cône de fleurs femelles du houblon

cône du houblon = fleurs femelles

fleurs mâles du houblon

fleurs mâles du houblon

      Soudain, à la lecture de mon quotidien préféré me vient un doute. Le 2 septembre dernier ‘Le Monde’ publie un écart publicitaire de ‘Fred et Farid Advertising’ vantant les mérites 5 étoiles, à l’image du ‘Negresco’, du houblon « Strisselspalt » employé lors du brassage de la bière ‘Kronenbourg 1664’. Alors je ne sais plus trop si s’agissant des pieds de houblon qui envahissent le revers de ma haie et le ravin du Mourson, je dois retenir 1525 ou 1664. Autrefois un petit voisin ayant trouvé une capsule de ‘1664’ pensait avoir en mains une antique ferraille. Moi je nage dans la mousse, heureux de découvrir cette variété « Strisselspalt ». Et je trinque à la bonne vôtre, avec mon voisin.

publicité pour la bière 1664

     Déjà un peu d’alcool a exité mes cellules nerveuses. Derrière les arbustes de la haie défilent des dizaines de lansquenets et autres mercenaires de toutes nations, ils se faufilent en criant des harros, des montjoie, cherchant le panache blanc, le cheval à l’oeil bleu. Leurs bannières portent 1664 et 1525 et même 2009. O tempore, O mores !

Songe d’une nuit d’été.

Shakespeare, oui. Acte III, scène 1 ; nous allons y venir.

Des écrivains de théâtre, de contes, ont repris bien souvent cette vision du ‘Songe d’une nuit d’été’, de même que quelques peintres dont Marc Chagall (une de ses toiles sur ce thème est visible au Musée de Grenoble). En Grande-Bretagne, lors de la période victorienne dans laquelle un courant pictural d’inspiration féérique se développe, des peintres tels que Francis Danby et John Simmons ont traité également ce point de vue nocturne estival.

Shakespeare donc.

Songe d’une nuit d’été, Acte III, scène 1 de W. Shakespeare. Traduction  du site : http://www.inlibroveritas.org  QUATRIÈME FÉE.—Où faut-il aller ?
TITANIA.—Soyez prévenantes et polies pour ce seigneur : dansez dans ses promenades, gambadez à ses yeux ; nourrissez-le d’abricots et de framboises, de raisins vermeils, de figues vertes et de mûres ; dérobez aux bourdons leurs charges de miel, et ravissez la cire de leurs cuisses pour en faire des flambeaux de nuit que vous allumerez aux yeux brillants du ver luisant pour éclairer le coucher et le lever de mon bien-aimé ; arrachez les ailes bigarrées des papillons, pour écarter les rayons de la lune de ses yeux endormis. Inclinez-vous devant lui, et faites-lui la révérence
. …
     On lit que Titania ordonne d’allumer des flambeaux de cire aux yeux du ver luisant… Certes il ne s’agit pas des yeux mais du ventre, Shakespeare n’était pas nécessairement naturaliste. Toujours est-il que John Simmons peint une jolie Titania aux ailes qui me semblent celles du Grand Paon de nuit, approchant une allumette du ventre d’un lampyre. Cet insecte est correctement représenté. Nous savons que c’est la femelle lampyre qui pour attirer le mâle agite dans la nuit le dessous de son ventre dont les annelets terminaux sont porteurs de luciférine qui sous l’action de l’énergie et de l’oxygène émet un rayonnement de couleur verdâtre. Le mâle et les oeufs sont également porteurs de cette singularité, de moindre effet cependant. Notre ver n’est donc pas un ver mais un insecte. Je vous présente la femelle, vue de dessus et de dessous et vous constaterez ainsi que l’extrêmité de son abdomen montre des sections terminales différentes des autres, elles apparaissent de couleur claire et ce sont elles qui brillent dans la nuit, offrant parfois aux herbes des talus un scintillement étoilé des plus agréables. L’insecte hélas, perturbé par la clarté artificielle et excessive de nos cieux ne trouve plus guère sa femelle et n’y voyant goutte dans la nuit éclairée décline inexorablement ; ainsi peut-on dire que le lampyre broie du noir à cause du lampadaire qu’il jalouse. 

femelle de lampyre vue de dessus

femelle lampyre de dessous

lumière du monde, état off, -pour M. lampyre (Lampyris noctiluca L.)

luminescence du lampyre femelle

luminescence biologique, état On. (iso 3200, 1/10e s)

luminescence avec appoint artificiel

     Fragment de date du journal « Le Monde » éclairé par « La Lanterne » magique du lampyre, un monde ! (iso 3200, 1/20 s. et appoint lumineux par lampe de poche faible)

 Quand autrefois , non pollués d’éclairage artificiel les ciels et les nuits des peintres étaient peut-être plus féconds, à l’image des nuits des lampyres, alors ils avaient loisir de rêver et peindre. Ainsi John Simmons en 1866.

Simmons J., Songe d\\'une nuit d\\'été

Simmons, Songe...gros plan

Simmons, Songe d’une nuit d’été, « Titania »

Merci à Christopher Finch et aux Editions Abbeville, qui en 1994 ont publié le tableau de Simmons conservé à Bristol (Museum and Art Galery). Il s’agit d’une aquarelle sur papier de format 34,3 x 26,7 cm, reproduite p. 141 de l’ouvrage : « l’aquarelle au XIXe siècle » qui m’a été offert par mon amie Jeanne Buttner en souvenir de son mari Raymond, peintre amateur talentueux, fin connaisseur des maîtres qu’il m’a fait apprécier.

     Il faut encore que je vous dise que notre lampyre ne vit pas seulement d’amour et d’eau fraîche, comme vous vous en doutez, mais qu’il apprécie tout comme nous l’escargot ; non au beurre mais liquide à souhait, grâce aux enzymes qu’il injecte dans le corps du cornu après l’avoir anesthésié par quelques rapides morsures. Vous le savez bien la nature c’est toujours prédations et inventions. Et comme vous connaissez maintenant les moindres de mes manies vous avez tout de suite le réflexe d’aller voir chez … ? J.-H. Fabre comment vit notre bête du jour et sur le net, qui ne vaut cependant pas le livre de chevet, c’est ici :

http://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/ver_luisant.htm

     « Nous sommes tous des vers…. Mais je crois que je suis un ver luisant. »

Winston Churchill, dans un extrait de conversation avec Violet Bonham-Carter. Citation trouvée sur le site ad-hoc : http://www.evene.fr.

Bonne nuit d’étoiles lampyriques ! Accompagnée par Mendelssohn ?

Complément documentaire ajouté le 3 juillet 2018 :

Hier soir sur pelouse étincelle un point jaune verdâtre. Un quart d’heure après ce rapide aperçu je décide de recueillir l’insecte pour le photographier. Suprise : le piège brillant a fonctionné, ce sont deux individus que je récolte. L’accouplement vient d’avoir lieu et la femelle baisse d’un ton le luminaire des étoiles. De ce fait j’ai la satisfaction de découvrir le mâle qui lui, peut-être, ne sera pas ravi de cette mise en scène plutôt réservée aux stars.

accouplement des lampyres, profil et dessus

En dessous d’ailes : papillonnons !

     Selon les années, le temps qu’il fait, nous voyons plus ou moins de papillons. Cet été est favorable à certains, à ceux que l’agriculture des trente dernières années a laissé en vie en dépit de la restriction considérable des étendues végétales variées d’antan. Alors ne boudons pas notre plaisir d’observer des dessous d’ailes affriolants sans doute pour les ressortissants de cette cohorte ailée.

     Le plus brillant représentant de la famille, sous nos latitudes, est probablement le Machaon (Papilio machaon),  Grand Porte-queue remarquable, qui avec son cousin « le Flambé » apprécie hautement le vol à voile alentours des collines orientées au sud. Les naturalistes décrivent l’action ainsi : « hill-topping ». Chez moi ils se contentent de parader, planer, virevolter de capitules en épis floraux. Des jaune, azur et orange, ainsi que d’autres couleurs, emprisonnées entre des lignes noires de sertissage, comme le seraient des émaux cloisonnés, magnifiques et qui, soudain, s’animeraient. Pour moi son retour annuel évoque les jours d’été de l’enfance quand, alors nombreux, les machaons et leurs alliés ailés comblaient de satisfaction mes escapades à « l’Abondin », colline sacrée vaillysienne. Là, de grottes en savarts, d’histoire guerrière en observations pré-naturalistes, je tentais passionnément de comprendre le monde. Si ce lieu fut en quelque sorte initiatique pour quelques gamins de Vailly-sur-Aisne, il le fût parce qu’il présente un paysage lié à la Grande Guerre et que de ce lieu on voit bien : un « mirabeau », un « mons mirabilis ». Pour moi il était de plus lié à toute bête des savarts et les grottes voisines servaient de terrain d’expérimentations diverses. Vincent, un ami correspondant l’a évoqué ici, dans un projet de vidéo : http://sites.google.com/a/excentric-news.info/sous-le-clavier/accueil/horizontalite

     Je comprends mal pourquoi de nos jours, la soif de connaître puis le bonheur de goûter qui s’en suit, semblent avoir déserté nos campagnes et nos villes. Il me semble pourtant que dans cette évolution néfaste l’histoire a moins souffert que l’histoire naturelle. C’est pourquoi ces jours-ci j’apprécie d’autant mieux la lecture des lignes de M. Yves Delange, éminent naturaliste botaniste qui s’est dernièrement intéressé à la quasi disparition de l’enseignement des sciences naturelles : « Plaidoyer pour les sciences naturelles » … , introduction par Richard Moreau, chez l’Harmattan, 2009.  A méditer pour s’engager à inverser la tendance autant que faire se pourra !

dessus et dessous d'ailes du Machaon

     Une migration abondante de Vanesses Belle-Dame (Vanessa cardui) nous vaut la présence d’une multitude de ces papillons actuellement. Ils sont si nombreux à la mi-journée sur les buddleia (voir plus bas) que j’entends le froissement de leurs ailes en un froufroutement gracieux dans les senteurs miellées que le zénith solaire avive. Ces Vanesses nonchalantes, comme les Vulcains et les Paons du Jour de leur cour, aiment se poser au sol de temps à autre et ployer leurs ailes en lents battements qui recueillent la chaleur et la renvoient vers le thorax.

Vanesse Belle-Dame

lumière arrière comme s’il s’agissait d’un vitrail

dessous de Belle-Dame

dessous d’appas autrement mis en valeur, et en dessous, le feu du Vulcain (Vanessa atalanta) enflamme les coeurs, alors que les dessous d’un Azuré laisseraient de glace ? :

dessous du Vulcain

dessous d'aile d'un Azuré

et le Demi-deuil (Melanargia galathea) alors, ferait-il tout à demi, lui qui a de quoi satisfaire le verrier ?

dessous du demi-deuil

     Quant au Citron (Gonepteryx Rhamni), reconnaissable à sa couleur et à la délicate découpe de ses ailes, il préfère généralement ne montrer que ses dessous, agrémentés de deux points orangés. Sans doute l’avez-vous déjà rencontré au printemps avec ses compères du jaune, le Soufré, le Souci et le Fluoré.

papillon Citron

     D’autres encore présentent des dessous plus discrètement colorés,notamment parmi les membres de la famille des Nymphalidae. Leur détermination passe souvent par l’examen de leurs dessous. Je ne peux déterminer par la photographie les deux exemplaires ci-dessous (Myrtil et Tabac d’Espagne, avec grande réserve ?)

Tabac d'Espagne ?

     J’espère que cette longue présentation des dessous d’ailes, accompagnée de noms parfois curieux tant en français qu’en  latin, vous donnera, qui sait ? l’envie peut-être un jour ou l’autre, de mettre un nom sur ces insectes aimés des enfants et qui animent tant nos journées estivales. Les plus motivés pourraient du reste participer à l’opération de comptage dirigée par le Muséum National d’Histoire Naturelle et Noé Conservation, qui vise à mieux quantifier la présence de nos papillons les plus répandus, en nombre d’espèces limité, et accessible à tout un chacun. Y prenant part je peux vous signaler que le plus grand nombre de Vanesses Belle-dame rassemblé simultanément en un seul lieu en juillet fut de 28.

C’est ici : http://www.noeconservation.org/index2.php?rub=12&srub=31&ssrub=98&goto=contenu

Et pour conclure cette note : pages blanches ou pages jaunes ?

Jules Renard, Histoires naturelles, le papillon :

         « le billet doux, plié en deux, cherche une adresse de fleur. »                        Ed. FR Gallimard, 1967, p.117   

     Les aurait-il chassés ?  Sisley a peint cette scène élégante que j’ai photographiée depuis un calendrier édité par la Compagnie Electro-Mécanique en 1973. Ludique plus que prédatrice sans aucun doute, sur fond musical de Schubert peut-être (« der Schmetterling ») ou de Debussy ou encore Chausson inspirés par Théophile Gautier.  A vous de voir, d’écouter ou de lire.

Sisley, chasse aux papillons 

               

Verts d’été.

     En été on oublie vite que le vert est partout alentour, parfois tout au plus tempéré par le bleu du ciel. A l’ombre, près de la mare qu’une algue verte mystérieuse a envahie, quelques fruits de gouet ensanglantent les scolopendres aux feuilles nouvelles vert anglais.

Scolopendres et fruit de gouet

     Sur l’eau s’affrontent les insectes piqueurs : un bourdon malencontreusement tombé est victime des gerris, ceux qui marchent sur l’eau grâce aux poils huilés de leurs pattes. Belle est leur gesticulation dans l’éclairage rasant.

gerris et bourdon

ronde des gerris

gerris posé sur l'eau

     Sur la pellicule d’algues inconnues d’étranges traces témoignent de marches nocturnes volontaires ou non.

traces lisibles mais par qui ?

     J’attends le déchiffreur de cette écriture, propositions attendues de vous chers lecteurs et lectrices. Tout près de l’eau, impassible une splendide aeshne (A. juncea ?) dépose ses oeufs dans la mousse portée par une pierre de rive. Merveilleux spectacle, splendide adaptation du vivant. Hélicoptère blindé et museau monstrueux, inutile lecture d’aventures de science fiction.

     grande aeshne des joncs ?

     Sous-bois quitté, en pleine lumière, juchée sur une touffe de chardons-Marie, s’expose la sauterelle verte, la bien nommée.

grande sauterelle verte

      Même le garenne, d’une rare abondance cette année, contemple toute cette verdure, à en manger, à en rêver. Il sait sans doute que ce n’est pas cette espèce qui est consommable, tout comme l’a exprimé Apollinaire dans « Alcools » :

« Voici la fine sauterelle,

La nourriture de saint Jean,

Puissent mes vers être comme elle,

Le régal des meilleurs gens. »  

Apollinaire, Alcools,  NRF, 1920.                                                                               

   garenne réfléchissant

     Il ne craint ni la halebarde qui protège des feuilles au lait âcre, ni la cétoine qui vient d’aterrir sur les pétales d’une rose de la haie du jardin pour en croquer quelques étamines. Craintif et malin il est tout à son aise car il sait que le renard qui d’ordinaire le guette a été éliminé par les chasseurs.

épines en hallebarde

cétoine atterrissant sur une rose

cétoine

    Saoûlé de vert, même métallisé et même bleu, à en avoir la nausée, je vous laisse au souvenir des belles vertes et des belles bleues des nuits du 15 août à venir, après celles du 14 juillet advenues et perdues dans les cieux d’été.